Maurepas
Le 11 mai 1774, accédant au trône de France après la mort de son royal grand-père, le roi Louis XVI m’a écrit cette lettre :
« Dans la juste douleur qui m’accable et que je partage avec tout le Royaume, j’ai de grands devoirs à remplir : je suis Roi ! Et ce nom renferme toutes mes obligations, mais je n’ai que 20 ans et je n’ai pas les hautes connaissances qui me sont nécessaires.
De plus, je ne peux voir aucun Ministre, tous ayant vu le Roi dans sa dernière maladie. La certitude que j’ai de votre probité et de votre connaissance des affaires, m’engage à vous prier de m’aider de vos conseils. Venez le plus vite possible et vous me ferez grand plaisir. »
A 73 ans, en disgrâce depuis 25 ans, je pensais ma carrière terminée, mais on ne refuse pas un tel honneur. Je servis donc à nouveau le Roi, jusqu’à ma mort, à l’âge de 80 ans.
Mais j’ai commencé par la fin !
Je m’appelle Jean-Frédéric Phélypeaux. Ma vie a été bien remplie, et elle mérite que je partage quelques souvenirs avec vous. Et puisque l’histoire se souvient de moi sous mon titre de comte de Maurepas, je vais commencer par vous dire un mot sur mon comté, créé en 1691 pour mon grand-père Louis Phélypeaux de Pontchartain.
Maurepas
Le toponyme de Maurepas désignait probablement à l’origine une « mauvaise pâture ». Il était formé sur les latins malus devenu mal puis mau (pour éviter que deux consonnes se suivent), et pastus qui a donné les mots français paître, ou repas. Forêt et marécages ne devaient effectivement pas fournir des pâtures bien satisfaisantes pour un bétail bien rare. Par contre, le commentaire de Paul Aubert, qui écrit dans sa nomenclature que « la localité doit son nom à la réputation de mauvais séjour que lui avaient faite les voyageurs qui, en raison de la pauvreté de ses habitants, y trouvaient maigre chère et triste logis » est fort désobligeante, et tout à fait injuste. Cependant, bien que comte de Maurepas, je n’y ai jamais séjourné.
En 768 Pépin-le-Bref avait fait don à l’Abbaye de Saint-Denis d’une grande partie du Pays d’Yveline, dont les terres de Maurepas, qui comprenaient aussi Coignières. Mais l’abbaye avait revendu aussitôt celles-ci à une famille locale, qui avait alors pris le patronyme de Malrepast. Elle était vassale du seigneur de Chevreuse.
Maurepas était une région pauvre, mais à un emplacement stratégique, au croisement de la voie romaine de Paris à Dreux, et de celle qui relie Beauvais à Orléans et à Chartres.
Un premier château de bois, avait donc été construit très tôt, en hauteur, remplacé au XIème siècle par une construction en pierres meulières.
Les maisons s’étaient assemblées à l’abri du château, sur la colline, autour de l’église Saint-Sauveur, dans ce que vous appelez aujourd’hui « Maurepas village ».
Elles n’avaient pas d’eau, et devaient la recueillir en citernes. Certes, les sources sont nombreuses, et donnent naissance à la Mauldre, mais elles coulent au pied de la colline. C’est pour cela que la ville s’y est développée dès que le risque d’invasions a disparu.
Le 11 septembre 1432, durant la guerre de cent ans, le château avait été pris et démantelé. Il n’a jamais été reconstruit et les ruines de son donjon ont donc près de six siècles. Vous les voyez telles que je les ai moi-même connues.
Le reste du château a été transformé en une ferme, qui a notamment conservé une de ses tours.
En 1543 le fief de Maurepas fut cédé au duc d’Etampes, dont l’épouse Anne de Pisseleu était la maîtresse de François 1er. En 1551, la duchesse, en disgrâce après la mort de son royal amant, dut le céder à son tour au Cardinal de Lorraine, et comme celui-ci en confia la gestion à Jean du Fay, duc de Chevreuse, la baronnie de Maurepas se retrouva donc à nouveau liée à Chevreuse durant plus d’un siècle.
Les travaux d’assainissement entrepris pour alimenter en eau le château de Versailles asséchèrent les marécages, ce qui permit de développer l’agriculture et d’enrichir un peu la commune.
En 1691 lorsque le duché de Chevreuse fut démembré, le roi Louis XIV érigea les terres de Maurepas en comté, et les céda à mon grand-père, Louis Phélypeaux, comte de Pontchartrain qui était alors son ministre.
J’en ai hérité moi-même à la mort de mon père, Jérôme Phélypeaux, en 1747.
Dans la généralité (description de la circonscription administrative) de Paris de 1753 Maurepas est désignée comme « paroisse du diocèse de Chartres, de 62 feux et 150 communiants. »
Je suis revenu me recueillir dans l’église Saint-Sauveur. Elle existait déjà à mon époque, probablement construite en remplacement d’une église en bois du XIème siècle.
Je n’y retrouve pas les deux cloches que la duchesse de Chevreuse, Marie de Rohan, avait offertes à la ville. On me dit que la première a été fondue durant la Révolution, et qu’il a fallu déposer l’autre en 2010 car la charpente ne la supportait plus.
Dommage pour vous : le son des cloches tenait une place importante dans nos vies.
Il est vrai que Maurepas a maintenant une nouvelle église, dite Notre-Dame de l’Espérance.
Une construction de votre époque, dans laquelle je n’aurais pas reconnu une église, mais qui ne me déplaît pas.
Les Phélypeaux
Nous descendons d’une vieille famille de la noblesse de France. Mon ancêtre Jean Le Picard vivait à Blois, au XIIIème siècle. Il était garde des sceaux du comte.
On trouve ensuite dans notre arbre généalogique plusieurs Picard qui ajoutent à leur patronyme le surnom de Philippeaux, sous de nombreuses variantes orthographiques : Le Picard, Le Picard Phélipeaux, Le Picard de Phélipeaux avant que Raymond Phélypeaux, seigneur de la Vrillière en 1535, n’abandonne le patronyme de Picard pour ne conserver que son surnom. Mais les rois que nous avons fidèlement servis, de génération en génération, nous appelaient souvent par notre titre ou le nom de nos terres : nous étions La Vrillière, Châteauneuf, Pontchartrain ou comme moi : Maurepas.
En ce qui me concerne, je fais partie de la branche dite des Phélipeaux de Pontchartrain, pour nous distinguer de la branche des Phélipeaux de la Vrillière.
Ces derniers ont possédé le château de Chateauneuf-sur-Loire, élevé en marquisat, de même que le château de Tanlay dans l’Yonne. Leur château de la Vrillière est même devenu duché en 1770 et c’est pour mon cousin Louis 1er Phélipeaux que Mansart a construit à Paris l’hôtel de Toulouse, devenu le siège de la Banque de France.
De notre côté, mon ancêtre Paul Phélypeaux a acquis le château de Pontchartain, non loin d’ici, en 1609. Pour son petit-fils, Louis IIème, le domaine de Pontchartrain a été élevé au rang de comté, avec réunion de la baronnie de Maurepas en 1679. Et c’est ainsi que je suis moi-même comte de Maurepas et de Pontchartrain, ainsi que baron de Beynes (l’ensemble constitue un domaine de près de 8000 ha).
Nos armes « d’azur semé de quartefeuilles d’or, au franc-quartier d’hermine » sont devenues les armes de la ville de Maurepas.
Nous sommes fiers d’avoir donné à la France plus de ministres, ministres d’Etat, secrétaires d’Etat qu’aucune autre famille, sans compter des prélats, ambassadeurs, un chancelier de France, des conseillers d’Etat ou autres …
Jean-Frédéric Phélypeaux, comte de Maurepas
Mon père Jérôme Phélypeaux, était secrétaire d’État à la Marine et à la Maison du Roi. Je l’ai mal connu. Sans doute s’était-il fait quelques ennemis puissants, puisque on l’obligea à démissionner de toutes ses charges, à 41 ans. Elles me furent transmises. Je n’avais que 14 ans.
Devenu à 17 ans secrétaire d’Etat à la Marine, je me suis passionné pour tous les aspects de cette fonction que j’ai assumée durant 26 ans.
On me doit la modernisation de la marine royale. La Royale Navy anglaise avait alors un avantage numérique et technique énorme, et j’ai su combler en grande partie notre retard. Grâce à moi, nos convois marchands ont pu traverser les mers, sous escorte militaire, sans crainte d’être attaqués.
Passionné pour les découvertes, j’ai envoyé une expédition scientifique en Laponie en 1736. Une autre en Equateur, en 1739. Elles ont permis de vérifier la théorie de Newton sur l’aplatissement de la terre aux pôles.
J’ai fait explorer toutes les côtes de France, pour en dresser de nouvelles cartes, plus précises, et grâce à moi la bibliothèque du roi s’est enrichie de plus de 10 000 manuscrits anciens que j’ai fait rapporter de Constantinople, de Grèce, de Babylone ou d’ailleurs…
Malheureusement, les femmes n’apprécient pas l’esprit lorsqu’il s’exerce à leur dépend et quelques bons mots me valurent l’hostilité, voire la haine, de plusieurs maîtresses du Roi. En 1749 la Pompadour obtint ma disgrâce et mon exil à 160km minimum de Paris. Nous partîmes donc, mon épouse Marie-Jeanne, et moi-même, nous installer à Bourges.
J’ai lu cette appréciation d’un certain Edgard Faure : « Le poste de ministre exilé était celui où Maurepas pouvait le mieux déployer ses qualités chatoyantes. Il y fit longue et brillante carrière».
Fut-elle brillante ? Il est vrai que nous recevions beaucoup. Je rédigeais mes mémoires en 52 chapitres, et j’entretenais une correspondance suivie avec de nombreux savants, hommes de lettres ou politiques qui me consultaient sur toutes les affaires importantes du temps.
Je fis aussi, dans mes fermes, de nombreuses expériences afin d’améliorer les techniques agricoles.
En 1752 nous fûmes autorisés à revenir dans notre château de Pontchartrain et en 1756, notre exil fut commué en une simple interdiction de revenir à la cour. Je pus donc me partager entre ma campagne et Paris.
Mais longue, certes, fut ma disgrâce puisque ce n’est qu’en 1774, que le jeune roi Louis XVI me rappela à la Cour, ainsi que je l’ai raconté plus haut.
Le roi me fit aménager à Versailles un appartement au-dessus de sa chambre. Dès que j’étais réveillé il montait me voir pour m’entretenir des affaires de l’Etat. Une instruction royale du 3 décembre 1780 précise que « dorénavant tout sera agité chez Maurepas avant d’être proposé au Conseil ».
Il fallait rétablir les finances royales. C’est moi qui fis nommer Turgot aux finances. Il me déçut car c’était un ambitieux qui voulait prendre trop d’influence à mes dépens. Je le fis remplacer par Necker en 1776. Vergennes me doit aussi son poste aux Affaires Etrangères. Il sut convaincre le roi de venir au secours des indépendantistes américains. J’étais pour ma part assez réservé, mais je ne regrette pas de m’être rallié à son avis.
« Sans parlement, pas de monarchie !» avais-je l’habitude de dire. Pour que le roi puisse bénéficier d’un important soutien populaire, j’ai rappelé les Parlements qui avaient été suspendus en 1771.
Je réalise aujourd’hui que j’ai ainsi posé la première pierre de la Révolution, en remettant en selle le pire ennemi du pouvoir royal. On sait ce qu’il en advint, et je n’en suis pas très fier.
La gangrène m’emporta à Versailles le 21 novembre 1781. Je fus enterré, comme plusieurs de mes ancêtres, dans notre caveau familial de Saint-Germain-l’Auxerrois, mais il ne reste plus trace de ma tombe.
Nous n’avions pas d’enfant : mes biens revinrent à ma nièce Adélaïde-Diane-Hortense Mancini-Mazarin, duchesse de Brissac.
Christian Rouet
juin 2023
Merci pour cet article, d’actualité pour la SARRAF qui visitait hier la ferme d’Ithe, ex-dépendance du château de Pontchartrain, et aussi pour le précédent tout aussi passionnant, consacré à Groussay, ça c’est vraiment l’histoire de Rambouillet.