Les Villeneuve de Janti
Choisir un nom pour une rue n’est jamais chose facile. Après l’époque où sa destination, une caractéristique géographique ou le patronyme d’un de ses habitants l’imposait de façon naturelle, les conseils municipaux ont eu la responsabilité de ce choix, pas toujours évident.
Parmi les noms de personnes qui ont été choisis pour les rues de Rambouillet, aux côtés d’hommes politiques, de savants ou d’artistes reconnus dans toute la France –et sans aucun lien avec la ville– la municipalité a choisi d’honorer certains de ses habitants.
A l’origine de certains choix, un lien historique évident : d’Angennes, François 1er, Montorgueil, Toulouse (le comte), Penthièvre, le Roi de Rome, Raymond Patenôtre, André et Jacqueline Thome-Patenôtre…
Mais aussi des Rambolitains plus modestes, victimes de la guerre comme Fernand Prud’homme ou Maurice Dechy… des généreux donateurs comme Baumgarth, Lachaux, Potocki, la duchesse d’Uzès… quelques propriétaires qui ont, sinon donné, du moins accepté de céder un bien à la ville afin de permettre la réalisation d’un projet, comme Beziel, Clérice, Gousson, Antoinette Vernes… et naturellement de très nombreux élus municipaux.
Cependant la ville n’a jamais pensé à la famille de Janti qui s’est pourtant illustrée par deux de ses membres. Je voudrais les évoquer ici.
Joseph Villeneuve de Janti (1868-1944)
Joseph Villeneuve (1829-1905) est un modeste vigneron d’Andrésy. Son épouse Philippine Théodorine Warnier est domestique. Ils ont trois enfants, une fille Aline qui décède à 26 ans, et deux garçons, Joseph qui devient médecin et Paul, charcutier (une vocation de chirurgien contrariée ?).
Saluons les efforts que la famille a consentis pour que l’aîné fasse ainsi des études. A la fin du XIXème siècle l’ascenseur social fonctionne : nombreuses sont les familles dont tous les membres acceptent de se sacrifier pour que le plus doué d’entre eux puisse poursuivre ses études et s’élever par son travail et son mérite au-dessus de la condition de ses parents.
Dans le cas présent, des membres de la branche belge de la famille de sa mère ont peut-être apporté leur aide, puisque c’est chez les Pères Jésuites de Bruxelles que le jeune Joseph a pu faire ses humanités. Il suit ensuite des études de médecine à Paris, soutient sa thèse le 16 juillet 1896 et en 1899 le docteur Joseph Villeneuve ouvre son cabinet au 17 place Félix-Faure à Rambouillet.
En 1905, il est nommé Médecin-Adjoint de l’hôpital de Rambouillet. Quelques années après il en devient Médecin-Chef et le restera jusqu’à son décès. Il joue ainsi un rôle important dans l’édification du nouvel hôpital, inauguré le 17 septembre 1933 par le président de la République Albert Lebrun.
Lors de la guerre de 14-18, il dirige en qualité de Médecin-Major l’Hôpital Auxiliaire n° 34 où la duchesse d’Uzès (dont il est le médecin particulier et l’ami) s’engage comme infirmière. Elle met son château de Bonnelles à la disposition de l’Etat, et ensemble ils y reçoivent des blessés et des convalescents durant plusieurs années.
Cependant sa renommée vient d’un tout autre domaine : sa passion pour l’entomologie, et plus particulièrement pour les mouches.
Il publie ses premiers articles scientifiques entomologiques en 1898, et acquiert rapidement dans ce domaine une renommée nationale et même internationale. Il reçoit de nombreux chercheurs dans sa maison de Rambouillet et échange avec les instituts du monde entier, et tout particulièrement avec le Muséum des sciences naturelles de Belgique à Bruxelles, dont il est membre correspondant permanent.
L’entomologie lui doit 284 publications sur des sujets aussi passionnants que l’Étude sur quelques types de myodaires supérieurs (1914), les Espèces nouvelles de diptères de la famille des Cypselidae (Borboridae) (1918), ou la Schwedisch-chinesische wissenschaftliche Expedition nach den nordwestlichen Provinzen Chinas (1936).
178 espèces de mouches portent son nom, et, personnellement, j’évite de les écraser en souvenir de lui.
En 1910 le docteur Villeneuve quitte la place Félix-Faure pour s’installer rue des Vignes. Plus tard (vers 1930) il s’installera au 23 rue Paul Doumer.
Le 14 octobre 1931, au terme d’une procédure commencée en Belgique huit ans avant, il est autorisé à accoler à son nom celui d’une lointaine cousine bruxelloise, Rosalie, dite Rosa de Janti, dont le grand-père Charles Janti (1754-1818) a été anobli en 1776.
Rosa de Janti n’avait pas d’héritiers et elle avait adopté Joseph Villeneuve le 11 décembre 1923, dans le cadre du Droit belge.
Le tribunal de Versailles en 1928, puis celui de Rambouillet le 14 octobre 1931 authentifient cette procédure et confirment que cette modification patronymique peut s’appliquer en Droit français.
C’est désormais sous le nom de Joseph Villeneuve de Janti que le savant poursuivra ses travaux, et le docteur rambolitain, son activité médicale.

Ses travaux lui ont valu la Légion d’honneur, la médaille des Sociétés savantes, la croix de chevalier de l’ordre de Léopold de Belgique et l’insigne honneur de vice-présider le cinquième congrès international d’entomologie (Paris, 1932). Il fut aussi durant des années le président de la Société d’Horticulture de Rambouillet car sa passion et ses connaissances des fleurs étaient également immenses.
A sa mort en 1944, il a légué une partie de sa collection privée (39 000 spécimens!) à l’Institut royal des sciences naturelles de Belgique, la mairie de Rambouillet n’ayant sans doute pas souhaité nous doter d’un musée de la mouche.
« Sa perte, douloureusement ressentie par sa famille et ses amis affecte profondément les malades qui plaçaient leur confiance dans sa longue expérience et dans les soins dévoués qu’il leur prodiguait. Elle laissera un grand vide dans le monde savant où il s’était fait une place éminente parmi les meilleurs ». (l’Echo d’Ile de France, 16 juin 1944)
Pierre de Villeneuve de Janti (1909-1981)
Né en 1909 place Félix-Faure, Pierre Villeneuve devient comme son père, en 1931, Pierre Villeneuve de Janti.
Il fait des études de Droit, et le Progrès de Rambouillet le félicite le 14 décembre 1934 pour la soutenance de sa thèse qui porte sur le Code Civil de Napoléon.
Le 17 juillet 1941, lorsqu’il épouse Maria Ostrowski il se déclare « rédacteur de contentieux d’assurances » et travaille à Paris. Cependant c’est sa passion pour l’histoire locale qui l’a déjà fait connaître des Rambolitains.
En 1930 le Progrès de Rambouillet lui a commandé un premier article pour analyser le livre que G. Lenotre vient de publier sur Rambouillet.
En 1937 il tient dans l’Avenir de Seine-et-Oise une chronique touristique. Chaque semaine un nouvel article aborde l’histoire de notre région : Etampes, ville d’art, le 10 août, Epernon, le 17, En forêt de Rambouillet, les 24 et 31 etc… Ses premiers articles sont signés tantôt P. de J., tantôt Pierre Villeneuve de Janti.
Bientôt il ne signe plus que Pierre de Janti les centaines d’articles qu’il publie sur l’histoire locale
Il s’investit dans la gestion de la bibliothèque de Rambouillet, qu’il dote d’un système de classement moderne, ce qui lui vaut les remerciements du maire :
« on sait l’intérêt que M. Pierre Villeneuve de Janti porte à Rambouillet et à son histoire. Ses qualités d’érudit et d’historien nous ont valu d’importantes publications qui contribuent à éclairer le passé de notre ville et font de lui l’émule et le successeur des Félix Lorin et des Lenôtre. »(le Progrès de Rambouillet 4 décembre 1942)
Il est membre de la SHARY, société historique et archéologique de Rambouillet qui regroupe les historiens de la région et dont G. Lenotre est président.
En 1947 son livre « Forêt, chasses et château de Rambouillet » fait définitivement de lui l’historien de la vénerie et demeure, aujourd’hui encore, son livre le plus connu. Cet ouvrage, plusieurs fois réédité reste une référence incontournable sur les chasses royales.
Son père était le grand connaisseur des mouches, Pierre est le grand connaisseur des cerfs : il y a une continuité évidente dans l’amour de la nature… mais un changement dans la taille des sujets !
En plus de ses nombreux articles, Pierre de Janti publie en 1966 « Forêt, et chasses de Rochefort », en 1971 « Histoires de chasse » et « Esquisse historique de l’Yveline », en 1974 « Propos sur Dampierre »… et dans ses « Propos sur l’ancien Rambouillet », un passionnant résumé de l’histoire de la ville, il évoque en outre son maître et ami G.Lenotre à qui il voue une grande admiration.
Une rue de Janti ?
J’évoquais la possibilité d’une rue de Janti : Pierre l’aurait méritée pour ses travaux d’historien, et Joseph encore plus pour ses études d’entomologie et la reconnaissance internationale qu’elles lui ont valu.
Or justement, relisant les Propos sur l’ancien Rambouillet de Pierre de Janti je relève ce que lui disait son ami G. Lenotre, quant au nommage des rues :

« Je me souviens qu’il riait beaucoup de l’emprise de l’avoué Félix Lorin sur les noms des rues. Il venait de faire dédier une voie nouvelle à un Dreyfus inconnu (député 1881-1885) qui avait favorisé ses débuts d’historien. Avant il y avait eu Dubuc Arsène, huissier, Lachaux Aimé-Désiré, greffier au tribunal, Chasles Jules-Amilcar, juge au tribunal. (…)
On devrait bien rajeunir ces hommages surpassés, comme on a fait à la Pierrefite pour l’ancien maire Voirin qui a cédé sa place au général Leclerc…» (Shary, Mémoires et documents tome XXXIV 1977)
Lenotre ne se doutait sans doute pas, à l’époque, que la ville de Rambouillet donnerait en 1935 son nom à l’ancienne rue d’Ablis, et encore moins qu’à la suite de l’erreur d’un employé municipal la rue G. Lenotre (pseudonyme choisi par Théodore Gosselin) serait transcrite comme « rue Georges Lenotre ».
Les demandes de rectifications ont été nombreuses depuis, et n’ont jamais eu aucun succès. En 2025 madame le maire répondait à une énième demande que le coût de la correction serait trop élevé et que finalement cette erreur n’avait pas de conséquences dommageables.
Gageons cependant que si un jour nous avons par erreur une rue Gaston Larcher il ne faudrait pas longtemps avant que l’erreur ne soit rectifiée !
Alors, demain une rue Pierre de Janti ? Ceci réjouirait les historiens locaux.
Ou une rue Joseph de Janti ? 178 espèces de mouches s’en sentiraient grandement honorées !
Christian Rouet
août 2025