Les marchés de Rambouillet
Les Rambolitains se souviendront que le samedi 16 mai 2020 le marché de Rambouillet, fermé durant le confinement anti-covid-19, a été rouvert, place de la Libération et place Félix Faure, pour les seuls commerces alimentaires. L’ambiance était à la fête, malgré les barrières, les distances et les masques : la France abordait sous le soleil un déconfinement attendu depuis deux mois.
L’importance du marché n’est pas un phénomène nouveau, et son organisation a fait très tôt l’objet d’une règlementation.
Bref rappel historique :
Au Moyen-âge le village cherche à vivre en autosuffisance. Pour peu qu’il soit assez important (plus de 500 personnes) il trouve même sur place garçons et filles à marier pour assurer son maintien biologique. Et même quand il s’y installe très jeune, l’arrivant, originaire d’un village voisin, restera toute sa vie un étranger. Un « accouru » dit-on en Beauce.
Pourtant, il a beau faire, le village a besoin de ses voisins, pour acheter ce qu’il ne peut pas produire lui-même. Et aussi pour vendre ses surplus, ne serait-ce que pour se procurer l’argent nécessaire au paiement des redevances seigneuriales, parce que l’argent ne circule guère dans les hameaux où tout se règle par le troc.
Le marché confère au bourg qui en dispose une supériorité évidente sur les hameaux des alentours. Et peut-être sera-t-il complété une ou deux fois par an par une foire, qui lui donnera alors une importance régionale, nationale, voire même internationale, sur la route qui mène d’Italie aux Pays Bas, en passant par la Champagne.
Longtemps avant les plans d’aménagement du territoire de la DATAR ou les orientations de Bruxelles, le marché a donc tissé le maillage économique authentique de nos pays.
Prérogative royale
Parce que son importance a toujours été perçue par les souverains, l’ouverture d’un marché dans le royaume relève d’une prérogative royale.
Au terme d’une procédure institutionnelle complexe, c’est le roi qui accorde, ou non, le droit d’ouvrir un marché. Cela équivaut à faire du marché une institution publique, établie pour le bien public, parce que le roi peut à la fois y exercer son devoir de justice et de protection de ses sujets et contribuer à son devoir de conservation des finances et du domaine royal.
Saisie d’une requête d’ouverture de marché, la Chambre des comptes, garante de l’équilibre économique de la région, diligente une enquête dite de commodo et incommodo qui fait intervenir la Chambre des requêtes, le Conseil du roi, la Chambre des Comptes et le bailliage local.
Le but de cette procédure est de veiller à ce que le nouveau marché s’insère dans le maillage dense des marchés préexistants, sans leur causer de préjudice.
C’est ainsi que, s’ils se tiennent le même jour, deux marchés doivent être assez distants pour ne pas attirer la même clientèle. Cette aire de non-concurrence est doublée d’une aire d’attraction, estimée en fonction de la distance aller/retour que peut parcourir un usager en une journée. La journée est ainsi divisée en trois : un tiers pour le trajet aller, un tiers pour y commercer, un tiers pour le retour qui doit se faire avant la nuit pour des questions de sécurité.
Lorsque l’accord est obtenu, « une lettre patente est délivrée à un seigneur ou à une communauté d’habitants qui dispose alors du droit de réunir son marché une ou plusieurs fois par semaine en un lieu déterminé et à un jour donné. »(Marchés licites et illicites, Une dualité nécessaire à la fin du Moyen Âge ? par Isabelle Theiller)
Ceci n’empêche pas la création de marchés dits « illicites », soit parce qu’ils n’ont pas été autorisés par le Roi, soit parce qu’ils ont été déplacés par la suite, ou changé de date sans autorisation, soit parce que les renseignements fournis dans la requête n’étaient pas exacts. Certains font l’objet de procédures de fermeture, accompagnées de sanctions. Mais d’autres restent tolérés pour des motifs divers où l’on mesure notamment l’influence du seigneur local.
Parce qu’il a lieu sous la protection du roi, le marché est un lieu où il est possible de réglementer et de sécuriser le commerce mais aussi de percevoir les taxes indirectes prélevées lors des transactions commerciales.
Autour de la place du marché se multiplient les auberges où l’accord conclu par une poignée de main se doit d’être copieusement arrosé. Le repas partagé apprend à se connaître et à se faire confiance : ceux avec qui vous partagez le pain, (« cum pano ») deviennent vos « compagnons ». Aujourd’hui, vos « copains » ; vous pourrez traiter en confiance avec eux.
Et les litiges qui naissent de cette activité doivent être jugés. Et les coupables punis. Et s’installent donc bailliage, tribunal, pilori, prison … Et l’activité du marché attire de nouveaux artisans, de nouveaux commerces, de nouveaux habitants…
Et le bourg devient ville renforçant encore son attirance sur les hameaux voisins.
Le marché de Rambouillet :
Le marché de Rambouillet est très ancien. Il en est fait une première mention dans un « adveu et denombrement » rendu en 1399 par Renault D’Angennes, seigneur de Rambouillet à Jean de Craon seigneur des Essarts-le-Roi de qui il relève directement.
Mais c’est au roi Henri IV que Rambouillet doit les lettres patentes signées le 15 avril 1595 qui l’autorisent à tenir un marché « tous les samedys de l’année. Il est permis à tous marchands et autres de le hanter et fréquenter pour y trafiquer*, troquer et débiter le bestial, les grains et marchandises de toutes sortes et qualités ».
(*trafiquer : de l’italien du nord traffigare « négocier », sans le sens illicite qu’il a aujourd’hui !
Cet accord a été obtenu parce que la ville de Nicolas d’Angennes, située dans une région essentiellement agricole, est devenue un centre important d’échanges de produits fermiers. Le marché va donc permettre de grouper et de faciliter ces transactions.
Outre les légumes et fruits, œufs, beurre et tous produits fermiers, on vend dans ces marchés hebdomadaires des volailles et même des jeunes veaux.
Deux foires, le lundi de Quasimodo, et le lundi qui suit le 15 septembre, jour de la Saint Lubin, patron de la paroisse, sont également autorisées chaque année (mais elles ne seront pas étudiées dans le présent article).
Le 25 août 1705 le marquis d’Armenonville obtient de Louis XIV de nouvelles lettres patentes, confirmant les précédentes, mais y ajoutant le « droit de minage et de mesurage sur tous les grains vendus les jours de marché » (donc de percevoir de nouvelles taxes).
Le marché se tient traditionnellement au centre du bourg.
A Rambouillet on le trouve initialement étalé entre le cimetière et la garenne du chenil (donc entre l’hôtel Mercure et la Banque Populaire). Mais à la suite de travaux, il est limité à partir de 1743 à la seule place située devant l’ancienne église.
Or celle-ci est beaucoup plus petite que ne l’est aujourd’hui la place de la Libération : l’église occupe alors toute la terrasse de l’actuel Mercure. Et en face, les auberges du Cygne, du Mouton et de la Rose Blanche occupent l’actuel parking. Il existe un petit bâtiment de halles.
D’autres maisons, ou auberges, encombrent le bas de la rue des Juifs (rue Poincaré actuelle).
En raison de l’exigüité du carreau de la halle, le commerce des grains se fait donc en grande partie dans les dépendances de ces hôtelleries.
Dès 1745 le duc de Penthièvre fait donc construire une halle couverte « destinée au trafic de toutes marchandises et denrées » et procède à un premier réagencement de la place.
Mais la place devient vite trop petite pour ce marché, qui a pris de l’importance.
Le 4 juillet 1784 l’assemblée des habitants de Rambouillet adresse une requête au roi Louis XVI afin que le marché reçoive « l’étendue nécessaire au dépôt, étalage de grains, denrées, bestiaux, vivres… de manière à procurer une sécurité égale tant au public qu’aux marchandises ».
Et elle émet le vœu que :« sa Majesté voudra bien prendre sur elle-même, comme seigneur de Rambouillet, les frais d’acquisition des terrains qu’il faudra réunir sous les formes usitées dans toutes les circonstances qui tiennent à l’intérêt public » (archives de Me Barbier).
La requête est argumentée par l’accroissement de la population de la ville. En outre, la route Tours-Paris, qui traverse la place du marché, devient impraticable tous les samedis à cause du marché. Or, sa circulation devient de plus en plus importante.
Le roi accède à cette requête. Il acquiert et fait détruire toutes les maisons qui encombraient la place, à gauche de la grande rue, jusqu’au parc du château., en même temps que les cuisines et les maisons de la rue des Juifs (en jaune sur le plan ci-dessous). Ceci permet non seulement d’agrandir le marché, mais aussi de construire l’Hôtel-de-Ville actuel afin d’abriter le bailliage royal ainsi que des réserves pour les grains non vendus au marché.
En outre, le 13 juillet 1784 par lettres patentes du Roi Louis XVI, un second marché est accordé le mardi.
A l’époque révolutionnaire, les marchés sont interrompus. On enquête chez les particuliers, quartier par quartier, pour inventorier les réserves familiales.
« Certains furent accusés de détournement de denrées. Enfin, la fièvre des esprits et la suspicion causées par le manque de denrées se calmèrent et, le 14 avril, on décida de reprendre les marchés, mais en changeant les jours.
On proposa le quintidi et le monidi (cinquième et neuvième jours) de chaque décade du nouveau calendrier républicain. Mais il fallut s’entendre avec les communes avoisinantes pour harmoniser les jours et dates de ces marchés. Après concertation avec Montfort, Maintenon, Épernon, il fut décidé de les mettre à dates le 7, le 14, le 22 et le 29 de chaque mois du calendrier républicain.
Par la suite, tout rentra dans l’ordre; les deux marchés furent maintenus lors du rétablissement du calendrier habituel. Il se joignit, aux gens venant de la campagne, des commerçants de vêtements, de chaussures, de chapelleries, tissus, faisant, avec les commerces des boutiques des abords de l’église, un marché varié et complet pour la population citadine. » (S.Champrenault, Savre)
A l’occasion des débats qui opposent Epernon et Rambouillet pour le maintien d’un marché, on lit sous la plume du citoyen Lallier, député de Montfort :
« Rambouillet est le second marché de la Beauce par la quantité considérable de grains qu’il fournit pour Paris, Versailles, les Moulins de Saint Germain et Pontoise.
Tout réclame en faveur de Rambouillet : position centrale, accès très facile, grande route, grande et belle vue, beau marché, grand concours de peuple, superbe auditoire, population, grande fourniture de bois pour Versailles, envois immenses de farines et de blé, au même Versailles et Paris … »
Le 6 germinal an II (26 mars 1794), le marché de Rambouillet rouvre, mais il est installé dans le « Temple de la Raison ». C’est-à-dire dans la nef de l’église. Il y restera un an, avant que l’église ne soit rendue au culte.
Mais le marché du mardi n’attire pas assez de monde. Il est arrêté. En 1816, le maire Delorme constate :
« la présence à Rambouillet d’un régiment m’avait paru être une occasion favorable au rétablissement de notre marché du mardi, (…) mais nos efforts sont restés infructueux : le marché du mardi n’a repris que bien faiblement, et il est à nouveau tombé en désuétude quand nous avons cessé d’avoir une garnison. » (Rambouillet devenu chef-lieu d’arrondissement, par JS Delorme).
En 1843 la ville demande l’autorisation de le remplacer par un autre qui aurait lieu le jeudi, et s’installerait Place de la Foire (place Félix Faure). Il serait consacré « exclusivement au commerce des fourrages et des v(e)aux » . Mais cette demande n’aboutit pas.
Aujourd’hui, c’est le mercredi qu’un second marché – d’importance limitée – se tient sur la place de la Libération.
Quant au marché du samedi, il a longtemps occupé les deux places, de part et d’autre de la mairie : la place du Marché-aux-grains, (actuelle Place de la Libération) devant la mairie, pour « les grains, issues et produits de basse-cour » et derrière, la place du Marché-aux-Herbes, devenue ensuite place du Marché-aux-légumes (et actuellement Place Marie Roux) pour les « légumes, fruits, viandes, poissons » (description de 1866).
Aujourd’hui ce marché continue de se tenir chaque samedi matin de 8H à 13H, devant la mairie, sur la place de la Libération, mais les étals de la place Marie-Roux ont été déplacés à la place Félix Faure, afin de rééquilibrer l’activité commerciale.
La rue de Gaulle est interdite aux voitures de la place Félix Faure à la place du Roi de Rome. Ceci permet de relier les deux pôles du marché, en accueillant même quelques emplacements complémentaires rue de Gaulle.
Certains commerçants en profitent pour sortir un étal devant leur boutique, et contribuent ainsi à l’animation de la rue.
Cet aménagement semble faire maintenant l’unanimité (tant qu’il reste limité au samedi matin) mais en 76 il s’était heurté à l’hostilité des commerçants, d’autant que l’implantation de Carrefour leur faisait alors craindre la ruine de leurs commerces du centre-ville.
Aujourd’hui, la ville confie la gestion de ses marchés à la société Lombard et Guérin de Rueil Malmaison, qui assure également l’organisation des fêtes foraines de Rambouillet.
Chaque candidature est étudiée par un comité placé sous l’autorité du maire, qui comprend des élus, des représentants du monde du commerce, le gestionnaire des marchés ainsi que des représentants de l’administration générale.
Priorité est naturellement donnée aux producteurs locaux, avec le souci de maintenir une offre diversifiée et équilibrée.
Tous les projets liés à l’activité commerciale du centre ville, à la circulation et au stationnement restent aujourd’hui sujet de réflexion, de projets… et d’avis divergents qui se sont à nouveau exprimés dans le cadre des élections municipales de 2020.
Souhaitons qu’au marché de Rambouillet il soit encore permis longtemps et dans les meilleures conditions…
« à tous marchands et autres de le hanter et fréquenter pour y trafiquer, troquer et débiter le bestial, les grains et marchandises de toutes sortes et qualités ».
Christian Rouet
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