Les crèches de Noël
En ce début d’année 2025, les crèches de Noël ont été rangées jusqu’en décembre prochain. A Rambouillet nous avons pu en admirer dans des lieux très différents. Je voudrais évoquer ici celles de l’église Saint-Lubin, de la place Félix Faure et du café du Lys…
Signe religieux ou culturel ? Chaque année le sens de la crèche fait débat. Cet article est donc aussi l’occasion de faire le point sur un aspect de la laïcité que le Conseil d’Etat a éclairé en 2016.
La Nativité
La vie de Jésus est racontée dans les évangiles (=bonne nouvelle, en grec). Depuis le Concile de Trente, en 1546, l’Eglise en reconnaît quatre comme étant « canoniques » ( ils forment le Nouveau Testament et font partie de la Bible). Ils auraient été écrits par deux disciples de Jésus : Mathieu et Jean, et par deux proches de ses disciples : Marc et Luc. Leur datation est délicate; sans doute entre 65 et 110, écrits par la troisième génération de disciples, et c’est Irénée de Lyon, en 180 qui les attribue à ces quatre auteurs, et les déclare inspirés par Dieu.
Ils sont suivis par d’autres évangiles dits apocryphes dont l’Eglise ne reconnait pas l’authenticité.
Le récit de la naissance de Jésus a très peu d’importance dans les évangiles canoniques.
Il est totalement absent des évangiles de Marc et de Jean.
D’après Luc, Marie a accouché dans une étable, sans doute dans une dépendance de la maison de ses proches. L’enfant aurait été déposé dans la krippia, mangeoire des animaux : la crèche. Prévenus de cette naissance divine par un ange, les bergers des alentours seraient venus adorer l’enfant.
Quant à Mathieu, il indique seulement que des mages venus d’orient furent guidés par une étoile jusqu’à une oikos (maisonnée) de Bethleem où, trouvant Jésus et sa mère, ils lui déposèrent leurs offrandes.
Ajoutons que dans le Coran, Marie s’isole de sa famille et donne naissance à Jésus au pied d’un palmier. L’enfant à peine né lui parle pour la rassurer, et l’invite à secouer l’arbre pour en manger des dattes.
Au cours des siècles, l’histoire de la Nativité s’enrichit de détails et de symboles. Au IIème siècle Jésus nait dans une grotte (c’est au-dessus d’une grotte qu’est construite la Basilique de la Nativité de Bethléem).
Au IIIème siècle les mages deviennent des rois-mages, et on décide qu’ils étaient trois (parce que Mathieu a énuméré trois présents : or, myrrhe et encens). Ils viendraient de trois parties du monde, et à partir du VIIIème siècle le troisième mage a la peau noire.
La Nativité devient le thème le plus traité dans les vitraux d’église, les tableaux, les triptyques, et les donateurs s’y font souvent représenter parmi les rois-mages.
Elle continue à inspirer les artistes modernes, y compris dans des oeuvres un peu irrévérencieuses comme celle-ci
Noël
Pendant trois siècles, l’Eglise chrétienne ne s’est pas préoccupée de célébrer l’anniversaire de la naissance de Jésus-Christ dont elle ignorait d’ailleurs la date. C’est au IVème siècle, que la fête de Noël (natalis dies :« jour de la naissance ») a été fixée au 25 décembre, jour du solstice d’hiver. Elle s’est ainsi substituée à la Dies Natalis Solis Invicti, « jour de la naissance du Soleil invaincu » fixée par l’empereur romain Aurélien en 274, et qui terminait les traditionnelles Saturnales romaines.
Une période de préparation et de jeûne de deux à quatre semaines (l’Avent) précède cette commémoration. Elle sera suivie le 2 février, par la Chandeleur, qui commémore la présentation du Christ au Temple de Jérusalem.
En 425, l’empereur d’Orient Théodose II codifie officiellement les cérémonies de la fête de Noël. Elle se répand progressivement en Gaule et en Orient, donnant un sens nouveau aux fêtes païennes présentes pour le solstice d’hiver dans toutes les religions.
A partir du XIIème siècle la célébration religieuse est accompagnée de drames liturgiques, puis les « mystères », spectacles vivants mettent en scène l’adoration des bergers ou la procession des mages. Ils se jouent d’abord dans les églises, puis gagnent les parvis.
Bientôt, en Italie puis en France, sous l’influence des jésuites, apparaît la crèche : reconstitution de la Nativité, avec un décor et des statuettes qui connaît de nombreuses versions régionales. On y trouve obligatoirement Marie, Joseph, un âne (qui aurait transporté Marie) et un bœuf (qui aurait réchauffé le nouveau-né de son souffle). La nuit de Noël on y ajoute l’enfant et les bergers, et la nuit de l’Épiphanie, les rois-mages.
Les crèches de Rambouillet
Comme chaque année, la place Félix-Faure a reçu sa crèche. Une crèche « minimaliste » : quelques personnages en bois dans une cabane, devant la grille du château.
Une crèche dans l’espace public ? Le sujet n’a jamais divisé les Rambolitains, mais dans de nombreuses villes de France il a fait débat. Dans un contexte tendu, où certains veulent interdire des signes religieux vestimentaires dans l’espace public où la loi de 1905 les autorise expressément, d’autres (les mêmes ?) rappellent que son article 28 interdit « d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions. »
Or le caractère religieux d’une crèche de Noël ne peut pas être contesté. Comme peut difficilement être oubliée toute la culture chrétienne de la France, longtemps « fille ainée de l’Eglise ».
Dans un premier temps les tribunaux, saisis de contestations, ont pris en compte la tradition locale. Certes, il y a eu des crèches dans toute la France, mais elles ont eu dans certaines régions une importance plus grande qu’ailleurs. Qui pourrait nier que la crèche de Provence, avec ses santons qui représentent tous les métiers du village fait partie de la tradition et de la culture provençale ? Il aurait pu ainsi y avoir des régions de France où la tradition prime sur la loi (comme c’est le cas pour l’autorisation des corridas maintenue dans les seules villes qui justifient d’une « tradition locale ininterrompue »).
Des applications de la loi différentes selon les régions ? Cela aurait de quoi choquer, s’agissant du principe de la laïcité affirmé comme l’une des valeurs fondamentales de notre République… mais après tout, il semble que personne ne s’étonne que la loi de 1905 ne s’applique toujours pas en l’Alsace et en Moselle, au prétexte que ces départements ont été rattachés à l’Allemagne de 1871 à 1918 !
Mais le Conseil d’Etat a finalement pris position en 2016, d’une façon claire et pleine de bon sens. Une crèche, comme celle de Rambouillet, est autorisée si elle présente « un caractère culturel, artistique ou festif », mais elle est interdite si elle constitue « un acte de prosélytisme religieux ».
C’est reconnaître que la crèche, comme le sapin ou le père Noël, font partie de notre tradition culturelle, et que nous pouvons prendre plaisir à les retrouver chaque année sans nous sentir agressés si nous ne partageons pas les croyances liées à la Nativité.
Or il serait difficile de juger que la crèche de Rambouillet est un acte de prosélytisme religieux ! Je n’irai pas jusqu’à lui reconnaître un caractère artistique, mais comment nier son côté festif, aux côtés de la patinoire et de la cabane à crêpes ?
Il n’en est pas de même de la crèche vivante qui s’est tenue pour la troisième fois, le 14 décembre 2024, sur le parvis de l’église Saint-Lubin de Rambouillet. Il s’agissait d’un spectacle vivant renouvelé tous les quarts d’heure, de 14h30 à 17h, et entrecoupé de chants créoles. Les organisateurs annonçaient cent cinquante bénévoles dont une quarantaine de figurants, les autres faisant visiter l’église, offrant du vin chaud etc. Il semble que l’on soit là plus près de la tradition des mystères du Moyen-âge que de celle de la crèche.
Les organisateurs, Cyril et Laure Tandonnet, exprimaient dans l’Echo républicain leur volonté « de permettre à des gens plus éloignés de l’église de venir comprendre ce qu’il s’y passe ».
Donc, « acte de prosélytisme religieux » assumé ? Certes, mais quoi de plus légitime, puisqu’il se situe sur le parvis et à l’intérieur de l’église ?
Plus inattendue : la crèche installée dans la salle arrière du café-restaurant du Lys (place de la Libération).
Chaque année depuis 2021 son propriétaire, Joseph Chedid, réalise un décor éphémère où des mousses et des plantes, recouvrent les rochers et se peuplent de bergers, de rois-mages, de moutons, vaches ou autres animaux. Des petites maisons, des moulins sur une rivière, des lumières viennent recréer et animer un village, auquel le mélange d’éléments de tailles et proportions différentes donne le charme touchant d’une peinture naïve. Des sapins de noël, aux boules rutilantes achèvent le décor.
Et si cette crèche mérite qu’on en parle et que l’on soit nombreux à venir l’admirer, c’est parce qu’elle est faite chaque année par Joseph Chedid pour son plaisir personnel, autant que pour ses clients.
Prosélytisme ? Oui, certes, mais prosélytisme de la convivialité. Une catégorie que le Conseil d’Etat n’a pas pensé à répertorier, et qui convient pourtant tellement bien à l’esprit de Noël !
Christian Rouet
janvier 2025
Merci pour ces informations bien documentées sur Noel et son histoire.