Les arbres de la liberté

Le mardi 8 décembre 2020, la ville de Rambouillet s’est dotée – pour la période des fêtes de Noël – d’un sapin géant.
Il a pris la place du manège de la place Félix-Faure, pour faire un peu oublier l’absence de la patinoire, pour cause de Covid19.     En fait, il s’agit d’une pyramide de 230 sapins naturels, fixés sur une armature d’aluminium, mais l’illusion est bluffante.

S’agit-il de l’arbre la liberté, retrouvée après ce second confinement, même s’il est un peu tôt pour se sentir pleinement libres ? Par association d’idées, il me fournit en tous cas l’occasion d’évoquer ici les arbres de la Liberté.

Leur origine.

C’est au moment de la Révolution que leur usage se répand, suivant l’exemple donné en 1790, par le curé de Saint-Gaudent, dans la Vienne, qui fait transplanter un chêne de la forêt voisine au milieu de la place de son village.

Faut-il y voir une imitation des « poteaux de la Liberté » plantés aux États-Unis à la suite de la guerre de l’indépendance ( 1775 à 1783 ) ?
Ou une reprise de l’ancienne tradition païenne de « l’arbre de mai », planté au moment des fêtes de la fécondité ? Avec dans ce cas, la satisfaction pour les révolutionnaires de s’affranchir davantage des règles de l’Eglise, car le Concile de Milan, en 1579 avait interdit « le premier jour de mai, fête des apôtres saint Jacques et saint Philippe, de couper les arbres avec leurs branches, de les promener dans les rues et dans les carrefours, et de les planter ensuite avec des cérémonies folles et ridicules » ?

Dans son « Essai historique et patriotique sur les arbres de la Liberté », l’abbé Grégoire préconise, pour choisir son arbre :

  1. « Qu’il soit assez robuste pour supporter les plus grands froids, sans quoi un hiver rigoureux pourrait le faire disparaître du sol de la République…
  2. Il doit être choisi parmi les arbres de première grandeur…, car la force et la grandeur d’un arbre inspirent un sentiment de respect qui se lie naturellement à l’objet dont il est le symbole.
  3. La circonférence doit occuper une certaine étendue de terrain…, ce qui le rendra plus capable de remuer les sens et de parler fortement à l’âme. 
  4. L’ampleur de son ombrage doit être telle que les citoyens trouvent un abri contre la pluie et les chaleurs sous ses rameaux hospitaliers. …
  5. Il doit être d’une longue vie…
  6. Il faut enfin qu’il puisse croître isolément dans toutes les contrées de la République. »

Et il conseille de choisir les chênes qui répondent le mieux à ces critères. Pourtant c’est le peuplier qui sera choisi le plus souvent, peut-être parce que son nom latin populus prête à un calembour symbolique .

En 1792 l’Abbé Grégoire dénombre plus de soixante-mille « arbres de la Liberté » en France. Il y en a plus de deux-cents à Paris, et Louis XVI lui-même en plante un dans le jardin des Tuileries. Cet arbre sera abattu en pluviôse an II : « L’arbre de la liberté ne saurait croître s’il n’était arrosé du sang des rois » (Barère de Vieuzac ).

Baptisés « arbres de Napoléon » sous l’empire, ces arbres sont également perçus comme un symbole révolutionnaire, et Louis XVIII demande donc leur abattage.

On en replante après la révolution de février 1848… pour les couper durant la répression de 1850.

Les victoires des deux guerres mondiales sont l’occasion d’autres plantations, de même que la célébration d’anniversaires, mais sans être généralisées à l’échelle nationale.

Aujourd’hui, la plantation d’un arbre prend un sens différent : on le célèbre pour ce qu’il est, pour ce que nous lui devons, et pour ce qu’il peut nous apporter, plutôt qu’à titre de symbole.

Dans le Pays d’Yveline.

On sait que certaines communes n’ont pas souhaité en avoir. Par exemple « Au centre-ville du Perray, il n’y avait guère de place que pour l’église et, ni la fête du Pacte Fédératif (14 juillet 1790), ni les commémorations suivantes ne donnèrent lieu à une telle plantation au Perray, dont les habitants, plutôt méfiants, semblaient peu enclins à promouvoir les symboles de la République » (M. Brodaz et P. Beguin, Histoire et Mémoire du Perray)

Mais de nombreuses communes en ont planté, et des cartes postales montrent que dans les années 1900-1920, il en existait encore plusieurs dans notre région, comme par exemple celui des Molières, de Faverolles, de Garancières ou de Saint-Léger-en-Yvelines:

Relevons que celui de Saint-Léger-en-Yvelines, au carrefour de la Croix-Blanche, figure sur de nombreuses cartes postales anciennes, et que la plupart le baptisent « chêne ». Mais sur ce point mieux vaut faire confiance à François Lorin, qui évoque en 1928, dans le tome XXIV des Mémoires et Documents de la Shary, un orme de 2,80 m de circonférence à un mètre du sol et de 25 m de haut. A son époque, cet arbre devait avoir environ 135 ans.
Souffrant de la maladie de l’orme, il a été abattu en 1977.

François Lorin, signale de même à Poigny-la-Forêt l’existence de trois sapins à l’intersection des routes de Gazeran et de Guipéreux, et précise que « ce sont des arbres de la Liberté, plantés en 1848. » Est-ce à dire qu’il y aurait eu quatre arbres plantés à la même époque ?
En effet un document indique que le 2 avril 1848, le conseil municipal de Saint-Léger a voté la plantation d’un arbre de la liberté dont l’emplacement n’est pas précisé.

nomenclature de l’instituteur, 1899

Et Rambouillet ?

L’article de François Lorin, actualisé plus tard par Mme Duchet, évoque un premier arbre, sans doute planté en 91 ou 92. Plusieurs membres du conseil municipal signalent au cours d’une séance du 17 novembre 1792 qu’il n’a pas été planté dans des conditions satisfaisantes, qu’il est donc en train de dépérir, et qu’il convient donc de le remplacer.

En conséquence « la garde nationale est convoquée à se réunir le dimanche 25 novembre pour assister à l’inauguration du nouvel arbre de la Liberté et entendre le chant patriotique à ce sujet. »

Ce nouvel arbre a-t-il eu plus de chance ? Un compte rendu de séance de la municipalité cantonale du 27 mai 1797 signale cinq arbres de la Liberté à Rambouillet, sans préciser s’il s’agit de celui de 1792, complété par la plantation de quatre autres, ou de cinq nouveaux plantés durant ces 5 années.
Leurs emplacements respectifs sont les suivants : « l’un place de la Maison-Commune, un second devant l’hôpital militaire, un troisième devant le château où la société populaire tenait ses séances, un quatrième à Groussay et un cinquième sur la place publique »

Mais déjà, à cette date, il n’en reste que trois vivants sur ces cinq.

En avril 1848, un dernier (?) arbre est planté pour célébrer la révolution de février et l’instauration de la République. La cérémonie est racontée dans le Journal de Seine&Oise du 5 avril. L’arbre (dont on ignore l’espèce) a été planté huit jours avant, sur la place d’Armes ( place de la Libération ). Il a sans doute pris la place de celui qui était mentionné en 1797 « place de la Maison Commune » ?

Monsieur le curé vient en procession, depuis l’église voisine, bénir l’arbre. Quatre compagnies de la garde nationale et des détachement de cinq escadrons du 5ème lanciers forment un carré, et sont passés en revue par les autorités civiles et militaires, tandis que la musique militaire joue les chants patriotiques de Charles VI,(sic) la Marseillaise et le chant du départ. Et le soir, devant les maisons de la place illuminées, les danses publiques se prolongent tard dans la nuit.

En 1928 cet arbre aussi a disparu, et de tous, seul demeure encore celui « de l’hôpital militaire », un tilleul de 1,30m de circonférence, donc âgé alors d’environ 134 ans.

l’ancien hôpital, plan de J.Blécon

Rappelons que cet emplacement correspondait alors à l’ancien hôpital de Rambouillet, entre la rue de la Motte et la rue Maurice Dechy dont il ne reste aujourd’hui que le « Pavillon de Toulouse ».

Le président Lebrun, dans le discours qu’il prononce pour l’inauguration des bâtiments du nouvel hôpital, indique qu’il a voulu revoir une fois encore …

« …le vieil hôpital qui aligne ses bâtiments désuets le long de la rue de la Motte.(…)

J’ai parcouru ses salles mélancoliques dans l’abandon d’un récent départ; j’ai erré à travers les pavillons jetés un peu au hasard au penchant du coteau où s’étage la cité.

Je me suis recueilli au pied de l’arbre de la Liberté, que l’année 1794 vit planter en ce lieu. » (cité par Mme Duchet)

Ce dernier arbre de la Liberté de Rambouillet disparaît à son tour, après 1933, peut-être victime d’une maladie, ou plus probablement lorsque l’ensemble immobilier est divisé en six lots, pour être vendu par adjudication en 1935.

La mémoire des Rambolitains en perd le souvenir.

Je laisse la conclusion à Victor Hugo ( Discours lors de la plantation d’un arbre de la liberté sur la place des Vosges, 2 mars 1848) :

« C’est un beau et vrai symbole pour la liberté qu’un arbre ! La liberté a ses racines dans le cœur du peuple, comme l’arbre dans le cœur de la terre ; comme l’arbre elle élève et déploie ses rameaux dans le ciel ; comme l’arbre, elle grandit sans cesse et couvre les générations de son ombre. »

 

Christian Rouet

Cet article a 3 commentaires

  1. Christy Annie

    Les arbres de la Liberté, très intéressant article très bien documenté partant d’un prétexte celui du sapin de Noël de la place Félix Faure pour nous en rappeler l’histoire .
    Photos d’époques , documents de la Shary…. et une Belle citation de Victor Hugo , instructif et agréable .
    Merci pour ce bel article

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