Le gaz arrive à Rambouillet

Pouvez-vous imaginer aujourd’hui notre ville sans eau, sans gaz, ni électricité ? A la moindre coupure d’un de ces services, nous sommes désemparés et nous nous précipitons, d’abord chez un voisin pour savoir si nous ne sommes pas les seuls touchés, puis au téléphone, pour dialoguer avec une boîte vocale dénuée de tout sens de l’humour.

(Le pire est de téléphoner pour signaler une panne d’internet, et de s’entendre répondre, après une heure de musique et un parcours de 10 choix abscons, qu’il nous faut aller sur internet pour signaler le problème !)

Le gaz a été distribué à Rambouillet en 1869, l’eau en 1896, l’énergie électrique en 1909. Comme tout cela semble loin !

Dans un de mes articles de février 2021 « fiat lux » j’avais déjà survolé la question de l’éclairage public de Rambouillet. Je vous propose d’aller plus loin aujourd’hui, en évoquant les usines à gaz de notre ville.

A l’origine de l’éclairage public

Au moyen-âge l’insécurité est un vrai problème dans les villes, et les habitants se barricadent chez eux dès la nuit tombée. Comment éclairer les rues ?

Saint Louis prend une ordonnance en 1258 : chaque propriétaire doit « éclairer sa façade à l’aide d’un pot-à-feu sous peine, pour tout contrevenant, d’amende et de peine de prison ». Initiative louable… mais cette réglementation ne sera pas respectée, par crainte des incendies autant que par souci d’économie. Les lois que l’on prend pour plaire à son opinion publique, sans les appliquer ne sont pas un phénomène récent !

Charles V en 1367, puis François 1er en 1524, imposent aux habitants d’allumer une chandelle à 9 heures du soir sur le rebord de leur fenêtre. Les rues sont ainsi un peu sécurisées … le temps de combustion de la chandelle, mais restent livrées ensuite aux délinquants jusqu’au petit matin.

En 1558 Henri IV fait brûler des falots aux principaux carrefours, de 10 heures du soir à 4 heures du matin durant les 6 mois les plus sombres. La mesure ne coûte rien aux riverains, mais elle les incommode en raison de la fumée ainsi générée, et elle ne sécurise que les principaux carrefours. Elle est abandonnée quelques années après.

Et voici enfin Louis XIV : nous lui devons le premier éclairage public municipal moderne.

C’est Nicolas de la Reynie, son Lieutenant Général de Police, qui ordonne en 1667 la mise en place d’un éclairage des rues pour la période du 1er novembre au 1er mars, « y compris les soirs de pleine lune ».

De la chandelle au bec de gaz

Les lanternes installées par de la Reynie sont constituées de petits carreaux protégés par un capot en plomb. Elles contiennent chacune une chandelle et sont accrochées à des mâts à hauteur d’un premier étage. Leur mèche doit être coupée toutes les heures, et cet éclairage nécessite donc un nombre important de gagne-deniers (employés des rues).

En 1697 leur installation est imposée dans toutes les grandes villes de France.

En 1744, l’ingénieur Français Bourgeois de Châteaublanc apporte à cet éclairage une amélioration considérable en créant la lanterne à réverbère.

La mèche, dont un réflecteur argenté réverbère la lumière en direction du sol, est plongée dans un bain d’huile, qui remonte par capillarité, lui permettant de brûler longtemps sans intervention humaine.

L’huile animale est vite remplacée par de l’huile de colza, plus économique et moins nauséabonde.
En 1759 le remplacement des lanternes à chandelle par ces lanternes à réverbère est imposé dans toutes les villes.

L’éclairage au gaz

En 1791, le Français Philippe Lebon découvre le principe de l’éclairage par le gaz hydrogène carboné, recueilli à partir de la distillation du bois.

L’écossais Murdoch reprend son idée, l’année suivante, en utilisant du gaz obtenu par la distillation de la houille dans une enceinte close. Durant une vingtaine d’années on multiplie les améliorations, et finalement les premières lanternes à gaz sont installées à Londres en 1820.

En 1829 elles commencent à équiper Paris et en quelques années elles remplacent les lanternes à huile dans les rues. Elles éclairent les théâtres, les grands magasins, et bientôt les logements bourgeois. Les allumeurs de réverbère sont chargés de leur fonctionnement.

Et Rambouillet ?

En 1816 (sous Louis XVIII) la ville vote l’installation de 16 premiers réverbères à huile, considérant que « la sûreté et la commodité que leur établissement procurerait aux habitants et aux voyageurs seraient facilement appréciées. »

La gestion de l’éclairage public est concédée à bail de 6 ans à un concessionnaire privé, et renouvelée à chaque échéance.

En 1825, 10 nouveaux réverbères, finissent d’équiper le centre ville, et en 1830, les faubourgs de la Pierrefitte et de la Louvière sont à leur tour éclairés.

Dès 1868, le maire Mauquest de la Motte envisage de suivre l’exemple parisien, et de doter la ville d’une usine à gaz pour remplacer ces réverbères à huile.

Le 20 janvier 1869 la ville signe un projet de convention avec un entrepreneur, Auguste Eichelbrenner de la Société de Constructions d’Usines (siège social à Paris), grand spécialiste dans ce domaine, qui travaille déjà avec de nombreuses communes d’Ile-de-France.

Le contrat est conclu pour une durée de 40 ans. L’entreprise doit acheter un terrain, construire à ses frais une usine avec tout l’équipement et le matériel nécessaires, et poser à ses frais un réseau de canalisations souterraines couvrant toute la ville. L’ensemble deviendra de plein droit la propriété de la ville à l’expiration de la convention, en 1909.

l’Annonciateur 18 mars 1869

L’entreprise s’engage à fournir de façon constante du gaz, tant pour l’éclairage public, que pour les Rambolitains qui en feront la demande (des entreprises, mais aussi des ménages).
Ses services seront rémunérés à un prix contractuel actualisable (qui sera souvent débattu).

Le 13 mars le projet fait l’objet d’une enquête publique et le 23 mars il est approuvé par la préfecture.

l’Annonciateur 29 juillet 1869

Eichelbrenner constitue aussitôt une Société du Gaz de Rambouillet pour lever le financement privé nécessaire au projet, en émettant 650 actions en soumission publique.

Un terrain situé rue de la Garenne, est acheté à la famille Louis, et les travaux sont exécutés très rapidement, puisque l’usine est inaugurée le 12 septembre 1869 par le conseil municipal, avec la bénédiction du curé de Rambouillet. 

Les relations entre la société et la ville restent excellentes jusqu’en 1880, mais font ensuite l’objet de différends portant sur la qualité du service, ainsi que sur les prix de la Société du Gaz. Bref : il y a de l’eau dans le gaz !

coupe et plan de l’usine. document Archives Municipales der Rambouillet

En 1883, 67 habitants de Rambouillet, abonnés de la compagnie, se coalisent pour cesser de s’approvisionner en gaz, estimant son prix trop élevé. La société les assigne en dommages et intérêts, estimant que le fait de se coaliser ainsi pour faire pression constitue une atteinte au droit du commerce. Le 21 décembre 1883 le tribunal la déboute. Le 13 janvier 1887 la cour d’appel confirme le jugement : si un fournisseur est libre de fixer son prix, les consommateurs doivent rester libres de le refuser.   

à gauche l’usine à gaz avec sa cheminée

La ville, de son côté, assigne la Société du gaz pour travaux non effectués, ou livraisons défectueuses. Le 8 juillet 1887, le tribunal estime la plainte de la ville fondée, et condamne la société à effectuer certains travaux de modernisation, et à remplacer plusieurs canalisations. Eichelbrenner ne fait pas appel, et s’exécute. Finalement les relations s’apaisent et en octobre 1888, le conseil municipal prend acte que la société a fini de se mettre en conformité.

En 1894 Auguste Eichelbrenner décède et son fils Gustave lui succède.

La seconde usine

Le 15 août 1909, la ville devient propriétaire des installations (usine et canalisations). Elle étudie alors les termes d’une nouvelle convention, et après mise en concurrence, c’est à nouveau Eichelbrenner qui obtient la régie pour une durée de 30 ans.

L’usine existante ne permet plus de répondre aux besoins croissants exprimés par les Rambolitains, et le terrain est trop petit pour permettre les travaux indispensables. Le régisseur s’engage donc à nouveau à construire une nouvelle usine sur un terrain choisi par la ville.

Le Progrès de Rambouillet 15 avril 1910

Le projet de convention est soumis à la population le 6 avril 1910, et il est accepté par la préfecture à l’issue de l’enquête.

C’est un terrain de 6970 m2, appartenant à Louis Dorival, qui est acheté par la ville dans la même rue de la Garenne, mais plus près de la gare, au 44. La construction de la nouvelle usine est exécutée rapidement, et l’activité bientôt transférée, sans que le service soit interrompu. Son inauguration a lieu le 24 décembre 1910.

Régulièrement approvisionnée en charbon pour produire son gaz, l’usine tire un revenu complémentaire de la vente de coke pour chauffage et cuisine.

la presse locale 1912

Le 28 février 1911, l’ancienne Société du gaz, qui avait géré le premier projet procède à sa dissolution amiable.

Pendant environ 80 ans, la cheminée de la première usine, continuera à faire partie d’un paysage que les Rambolitains n’ont sans doute pas oublié. Ses locaux seront revendus par la ville, et seront ensuite loués à diverses reprises. Ils abriteront notamment un temps la concession Citroën, lorsque Philippe Van-de-Maele reprendra le panneau retiré à la société Gatineau, rue de Groussay.

La guerre de14-18 entraîne de graves difficultés d’approvisionnement en charbon, et le 28 mai 1915 Eichelbrenner, faisant état des pertes subies par sa société, demande à rediscuter les termes de son contrat, soit en obtenant une augmentation de ses prix de vente, soit en obtenant une réduction de la redevance qu’il paye à la ville pour l’utilisation des canalisations qui sont propriété municipale depuis 1909. Après une négociation difficile, qui divise les membres du conseil municipal, sa demande est rejetée. Il est vrai que la guerre pose des problèmes à de nombreuses entreprises, et que la période n’est pas idéale pour demander aux Rambolitains de supporter des charges supplémentaires.

Cependant la société réussit malgré tout à passer cette période difficile, et Rambouillet reste approvisionnée en gaz durant toute la guerre.

La nouvelle usine poursuit ainsi la distillation de la houille, et la production de gaz jusqu’en 1958.

A cette date, le gaz cesse d’être produit sur place. Il est dès-lors acheminé depuis des centres de production beaucoup plus importants jusqu’à Rambouillet par pipe-line, et les installations de la rue de la Garenne sont alors converties en station gazométrique : deux réservoirs semi-enterrés restent en activité pour stocker le gaz jusqu’en 1976.

Cependant, dès 1909 l’éclairage public de la ville est progressivement électrifié, et en 1921 la ville dispose d’un réseau électrique complet, alimenté en aérien à partir d’Auffargis.

La fin de l’usine

En 1978 la station est définitivement fermée. Les deux réservoirs sont démantelés, et leurs parties enterrées sont comblées de sable. Les bâtiments abandonnés sont détruits en 1982, et leur emplacement accueille, à partir de 1983, le personnel EDF-GDF. C’est là que les Rambolitains viennent signer leurs contrats ou effectuer leurs paiements.

En 2003 EDF procède à des travaux de démantèlement des structures enterrées, et à l’excavation de tous les matériaux souillés par les goudrons de l’ancienne usine, notamment une cuve à goudrons et 3 anciens puisards. A l’issue des travaux, un diagnostic fait apparaître un résidu de pollution. Il est traité en remblayant les zones excavées avec des terres saines.

Le site peut alors être mis en vente.

Il accueille depuis 1992 les locaux d’une école d’enseignement supérieur (Sup de V, anciennement Essym). Une résidence locative et son parking ont été créés ensuite dans toute la profondeur du terrain, parallèlement à la rue de Toulouse.

La rue de la Garenne, aujourd’hui rue Raymond Patenôtre, a ainsi été une rue à vocation industrielle (avec également l’usine Behague), puis commerciale (avec le garage Renault devenu BMW).

Elle est devenue zone d’habitation, que les automobilistes empruntent en craignant pour leurs rétroviseurs.

Et pour clore ce chapitre sur le gaz, je laisse la parole à Audiard : “Qu’un homme puisse aimer sa femme et surveiller la note de gaz est d’une ambiguïté difficile à supporter.”

Christian Rouet
Février 2024

Cette publication a un commentaire

  1. Bernard DELECROIX

    Encore un article très intéressant !

    Une question : à quoi correspond le réservoir métallique rue de la grange colombe ?

    Ce n’est peut être pas du gaz mais cela a peut être une histoire que vous pourriez nous raconter.

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