Le cirque

Une soirée au Cirque Pinder, quand j’avais quatre ans, et la projection du film de Cecil B. DeMille « Sous le plus grand chapiteau du monde », quand j’en avais sept, ont décidé de ma vocation : je serai dompteur. Ou clown. Ou Monsieur Loyal. Ou même lion, ou tigre ou l’éléphant qui pose délicatement sa patte sur la tête de son dompteur, sans l’écraser…
Hélas, ni l’école ni le lycée ne proposaient ce genre de formation, et après de nombreuses représentations données à des parents ou amis, mon cirque a fermé définitivement et ma ménagerie a été dispersée sur Ebay.

Privé de ses animaux sauvages, le cirque vit toujours et fait encore rêver petits et grands. Le succès mondial du Cirque du Soleil, ou du Cirque Plume en témoigne.

Aujourd’hui je reviens sur l’histoire des cirques, afin d’évoquer ceux qui sont venus planter leur chapiteau à Rambouillet. Je les classe ici selon leur date de création, et non celle de leur passage à Rambouillet. Les articles et publicités sont tirés du Progrès de Rambouillet.

Prenez votre billet : le spectacle va commencer…

Sans remonter au cirque romain …

En 1768 l’ex-sergent major Philip Astley crée à Londres le concept du spectacle de cirque en intégrant à ses démonstrations équestres, des artistes qui pratiquent d’autres disciplines. Il fait construire plusieurs amphithéâtres à Londres, Paris et Dublin. Le mot cirque apparait en 1782, quand son premier concurrent Charles Hughes baptise son entreprise Royal Circus, non pas en référence au circus romain, mais par analogie avec l’allée circulaire de Hyde Park, où les messieurs de la Hight Society font trotter leur cheval.

VUES DE PARIS, NUMERO 14 – AMPHITHEATRE DE FRANCONI

En 1807 les frères Franconi ouvrent leur premier Cirque Olympique à Paris. Sur une piste circulaire de 17m de diamètre, entourée de six rangées de gradins, ils présentent de « grands exercices d’équitation, de danse et de voltige sur les chevaux exécuté par la troupe des citoyens Franconi fils… ». Au fil des ans ils y ajoutent des numéros originaux, des animaux exotiques, comme l’éléphant Baba qui débouche une bouteille, attrape avec sa trompe des pommes lancées au vol et tourne la manivelle d’un orgue de Barbarie…

Le spectacle des Franconi, en résidence à Paris, se déplace aussi dans quelques villes de province. Rambouillet est trop petit pour les intéresser, et ne dispose pas d’installations pour les accueillir, mais en 1833 les Rambolitains peuvent aller les applaudir rue de Sceaux à Versailles.

Théodore Rancy est le gendre de l’écuyer Loyal qui a fondé une entreprise de spectacles équestres et a laissé son nom au Monsieur Loyal présent dans tous les cirques. En 1856 il crée son premier cirque ambulant, puis en construit en dur dans plusieurs villes : des cirques d’hiver. Ses enfants et petits enfants poursuivent son activité, avec un chapiteau qui sillonne la France.

Le 22 novembre 1912 le Grand Cirque Rancy se produit pour la première fois à Rambouillet. Il présente « sa superbe cavalerie de 40 chevaux, sa troupe sans précédents, son programme merveilleux, ses artistes d’élite, ses numéros inédits et ses attractions uniques et sensationnelles  qui font courir tout Rambouillet et ses environs ».

Son concurrent direct, Antoine Plège, un enfant de la balle (acrobate marié avec une écuyère) fonde son propre cirque  en 1859. Il tourne dans plusieurs villes de France, dans lesquelles il construit des installations en bois.  C’est à la fin du XIXème siècle le cirque le plus populaire de France.

En 1894 il présente en vedette la troupe cycliste Ancillotti. En 1904 le cirque Plège-Ancillotti, qui devient Ancillotti & Plège en 1908, sillonne la France, avec un chapiteau. Il s’arrête notamment à Rambouillet en 1909, en 1913, en 1920 et celui qui se revendique « le plus grand et le plus confortable (!) des cirques français » présente un spectacle «  très gai, correct, original et varié qui lui vaut dans toutes les villes un énorme succès ». A la différence de ses concurrents, son cirque variété présente des numéros proches du music-hall sans chevaux.

En 1854 les frères Pinder créent leur Cirque Britannia à Londres (leur chapiteau recycle les voiles du bateau « le Britannia »). En 1869 sous le nom de Grand Hippodrome Cirque Pinder ils s’installent en France et organisent chaque année une tournée qui passe par Rambouillet. Après plusieurs cessions (dont celle en 1971 au comédien Jean Richard), et un partenariat réussi avec la TV pour présenter le Jeu des Mille francs et la Piste aux Etoiles, le cirque sera mis en liquidation judiciaire en 2018, après plusieurs condamnations pour « utilisation non autorisée d’animaux non domestiques ».

Les Rambolitains le reçoivent notamment en 1891, 1903, 1905, 1907, 1922, 1930, 1932, 1937…

Comme l’écrit le Progrès de Rambouillet : « La visite de ce vaste et toujours intéressant établissement, est invariablement accueillie avec les marques d’un très vif plaisir.
Nulle autre part on ne voit plus belle et plus nombreuse cavalerie, d’écuyers et d’écuyères plus habiles, d’acrobates plus audacieux, d’équilibristes plus adroits, de gymnasiarques plus étonnants, de clowns et augustes plus hilarants. »
(7 octobre 1905)

Dans la seconde moitié du XIXème siècle on assiste ensuite à la création de cirques à vocation internationale, comme le Barnum & Bailey et le Buffalo Bill’s Wild West Show, aux USA, qui entreprennent des tournées en Europe dès 1905.

Ce sont des entreprises gigantesques : le cirque Barnum présente son spectacle sur trois pistes en même temps. Il se déplace dans un train de 3 locomotives et 80 wagons. 1400 personnes, artistes et personnel technique, plus 400 monteurs, 500 chevaux, 20 éléphants … tout est à la démesure des USA.

En 1944 le chapiteau principal prendra feu à Hartford (Connecticut) et s’effondrera en huit minutes. On comptera 168 morts et 700 blessés.

Après plusieurs changements de propriétaires, et des dizaines de procès intentés par les associations et organisations de défense des animaux, le cirque fermera en 2016.

Quant au cirque de Buffalo Bill, il  compte 218 artistes (dont 97 Indiens), 180 chevaux, 18 bisons, 10 élans, 5 bœufs texans, 4 ânes, et 2 cerfs… En 1889, durant sa tournée en France il accueille 3 millions de spectateurs : plus que l’Exposition Universelle qui se tient alors à Paris.

Pas question de recevoir à Rambouillet des cirques aussi gigantesques. Cependant les Rambolitains peuvent aller voir le cirque Buffalo Bill’s à Chartres, en profitant d’un train spécialement affrété à cet effet le 5 juin 1905 !

Le vieux continent résiste, avec de grands cirques comme le Bostok d’Angleterre (il s’arrête à Rambouillet le 22 juin 1912) ou le Gleich d’Allemagne (qui nous visite en 1929).

En 1905 le cirque américain Maccaddon, crée par un ancien directeur de Barnum, présente la même démesure. Celui qui s’intitule modestement « Le plus grand cirque de luxe de l’univers » entreprend une tournée en France. Il se déplace en chemin de fer, avec 4 trains spéciaux et 76 wagons. Son chapiteau peut accueillir 12 000 spectateurs. 

Il est trop grand pour Rambouillet, mais les Rambolitains peuvent aller le voir à Versailles, le 23 juin 1905. Mais ses pertes sont à l’échelle du spectacle : le 25 juin, à Vendôme, il doit abandonner une partie de sa ménagerie. Le 7 août, à Grenoble il est mis en liquidation, car son personnel n’est plus payé depuis Vendôme, et son matériel est vendu aux enchères en septembre.

La première guerre mondiale interrompt les tournées. De nombreux artistes sont mobilisés, les animaux utilisables pour la guerre, comme les chevaux, sont réquisitionnés. Les restrictions alimentaires touchent les animaux comme les hommes. Les cirques essayent de survivre…

Dans l’entre-deux guerres le Cirque d’Hiver (repris en 1931 par les frères Bouglione), qui se dit « le plus grand cirque d’Europe » et le Cirque Medrano, « le cirque le plus grand, le plus moderne, le plus complet » font des tournées dans toute la France. C’est toujours la place André Thome qui les accueille, lors de tournées qui les amènent de Paris à Chartres ou à Orléans.
Quant au Cirque Amar il s’intitule plus prosaïquement «  le premier cirque français muni de chauffage à air chaud » et plus curieusement « le seul cirque 100% ».

Dans cette période, Rambouillet, souvent avant ou après Dourdan, accueille aussi le Cirque National Corse :« 10 trains routiers,  50 chevaux, la plus forte cavalerie de tous les grands cirques, les meilleurs artistes des plus grands établissements d’Europe. Monsieur Cassuli a engagé à prix d’or les plus fameux clowns… ». Il n’a de national que le nom, même si son propriétaire, Cassuli, est effectivement originaire de Corse, mais dans leur communication, les cirques ne se sont jamais privé de prendre quelques libertés avec la réalité !

1931

 Ou le Cirque Gleich, qui dispose de trois pistes, d’une ménagerie de 160 animaux et de 116 chevaux. Il fait faillite en 1935, se relance après la guerre, en version plus modeste, et ferme définitivement en 1951.

Ou encore le Cirque Bostok, créé en 1856, qui existe toujours aujourd’hui.

Je joins l’annonce du passage (1931) d’un Cirque International, « monstre » au « programme colossal », sur lequel je n’ai trouvé aucune autre information, mais qu’il ne faut surtout pas confondre avec les autres cirques passés à Rambouillet, comme nous le conseille sa direction !

Le Cirque Lamy, créé en 1836 est déjà venu plusieurs fois à Rambouillet (notamment en 1931 et en 1936). Pendant la guerre il  poursuit tant bien que mal ses tournées et plante son chapiteau devant la gare les 23 août 1942 et 5 août 1943…

Son argument principal : « essentiellement français, il se recommande par là à la faveur du public qui a tout intérêt à favoriser ce spectacle national ».

Il poursuivra ses activités jusqu’en 1952.

Après la seconde guerre mondiale les cirques repartent en tournée internationale. Le public français découvre avec émerveillement le Cirque de Moscou, puis le Cirque de Pékin en même temps qu’il redécouvre le cirque à l’ancienne avec Gruss en 1970.

Et aujourd’hui Rambouillet continue à recevoir des cirques. Le Cirque Zavatta-Douchet perpétue le souvenir de d’Achille Zavatta, ce clown rendu célèbre par la télévision, et dresse chaque année son chapiteau à l’hippodrome.

Ce ne sont là que les principaux spectacles de cirque annoncés dans la presse locale de Rambouillet. La Quasimodo a accueilli aussi chaque année des petits cirques moins connus, et ce depuis le début du XIXème siècle. Le 7 août 1834, un petit escroc n’a-t-il pas été condamné à Rambouillet pour avoir vendu des billets pour un spectacle de cirque… de la veille. 

La vie de chacun de ces cirques est passionnante : on y trouve des familles nombreuses –on parle de dynasties!- dans lesquelles chaque enfant débute une formation, l’un d’équilibriste, l’autre d’écuyer, dès l’âge de 5 ou 6 ans. C’est un monde dans lequel tous les artistes se connaissent, se rencontrent au gré des engagements, s’estiment, se marient entre eux…

Et que dire de la communication des cirques ! Où trouve-t-on une plus grande profusion de superlatifs ? Le cirque le plus grand de France rivalise avec le plus grand du monde, voire de l’univers pour les numéros les plus extraordinaires, incroyables, renversants, fantastiques … Le dictionnaire des synonymes est sans doute la Bible des publicitaires du cirque, et la naïveté de leur message est assumée : le rêve commence là ! Même nos partis politiques sont plus mesurés dans leurs promesses !

Hélas, ces entreprises ont de plus en plus de mal à exister : leurs frais, comme leurs normes de sécurité, ne cessent d’augmenter. Elles rencontrent de plus en plus de difficultés pour trouver un emplacement assez grand, et une municipalité acceptant de les recevoir, malgré l’opposition de certains habitants. Les faillites s’enchaînent.

Le lobby des amis des animaux s’est développé aux USA puis en Europe, et aujourd’hui des lois ont été votées dans la plupart des pays. En France, « les acquisitions et la reproduction de certains animaux sauvages » sont interdites depuis 2021, dans les cirques itinérants. En 2026 les spectacles mettant en scène des cétacés seront interdits, et à partir de 2028 ce sera le cas de « la détention et les spectacles d’animaux d’espèces non domestiques dans les cirques ou établissements itinérants ». Il faut se réjouir que la loi soit ainsi venue sanctionner des abus évidents. Mais n’aurait-il pas été possible de trouver des procédures de contrôle, sans aller jusqu’à cette interdiction définitive ?

Quant aux exceptions, elles sont parfois curieuses. Par exemple, les rapaces de l’Espace Rambouillet continueront à se produire parce qu’ils « ne participent que ponctuellement à des spectacles et retournent par la suite en établissement fixe. C’est pourquoi les parlementaires ont considéré, pour l’application de la loi, que les voleries mobiles n’étaient pas des établissements itinérants. » (réponse ministérielle du 29 avril 2025)

Cependant le cirque se réinvente aujourd’hui, comme il n’a jamais cessé de le faire depuis sa création. On parle de cirque alternatif, pour désigner les spectacles de Zingaro, de Plume, du Puits aux Images, qui associent numéros traditionnels, poésie, projections numériques. Leur succès ne se dément pas…

et ils continueront encore longtemps, j’espère, à faire rêver nos enfants et petits-enfants.

 

 

Christian Rouet
octobre 2025

 

 

 

 

 

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