Le Carrousel

Forte de plus de dix millions de membres, la PETA (People for the Ethical Treatment of Animals ) se réclame d’être la plus grande organisation mondiale de lutte pour la libération des animaux.

Le croirez-vous ? La PETA a demandé très sérieusement la suppression des chevaux de bois dans les manèges, au motif que les carrousels qui comprennent des animaux « banalisent leur utilisation comme moyens de transport et de divertissement ».

Que ceci ne nous empêche pas d’évoquer ici les chevaux de bois, et le carrousel de Rambouillet !

Le carrousel dans l’histoire

Le terme de carrousel est emprunté au napolitain carusello, « tirelire de craie »,  nom donné à un jeu où deux troupes de cavaliers se lançaient des balles de craie en forme de tête. La première édition du dictionnaire de l’académie (1694) le définit comme une « Sorte de feste qui consiste en courses de testes & de bagues entre plusieurs personnes, divisées par Quadrilles distinguées par couleurs & livrées, & differents habits magnifiques ».

 Le manège c’était le mécanisme qui utilisait la force animale pour faire mouvoir une machine. Les premiers désignaient la traction des meules par des animaux de trait (en remplacement des esclaves). Dans les mines, les chevaux tournaient de même  pour faire monter le minerai et ramener les mineurs à la surface.
Le terme qui ne désignait que le mécanisme du carrousel a fini par désigner l’ensemble.

A l’origine du cheval de bois on trouve naturellement un vrai cheval. Le tournoi, trop dangereux (Henri II y a perdu la vie en 1559) est remplacé par le jeu de bagues. Le cavalier équipé de sa lance ne doit plus renverser un adversaire, mais seulement enfiler ou enlever des anneaux suspendus à un bâton.

Sous Louis XV, sur les Champs-Élysées, la famille Chevrot propose ainsi aux adultes un jeu de bagues circulaires qui a beaucoup de succès. Au XVIIIème siècle un manège est installé dans le parc Monceau. Marie-Antoinette en a un au Trianon. Sous un toit circulaire en forme de pagode, une plateforme porte des animaux fantastiques sur lesquels hommes et femmes s’installent pour essayer d’attraper des anneaux. Ce sont des serviteurs qui la font tourner. Le manège devient vite l’une des attractions principales des fêtes foraines.

Au XIXème siècle les enfants succèdent aux adultes sur ces manèges où ils prennent plaisir à tourner. Il est alors fait mention de chevaux de bois et non plus de jeux de bagues. Les forains cherchent à obtenir des concessions dans des jardins municipaux et à y sédentariser  leur manège.  Un axe central muni d’une crémaillère fait tourner un toit circulaire auquel sont fixés par de longues tiges métalliques des chevaux et des nacelles destinés aux enfants.

En France, les carrousels tournent dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. On peut ainsi saluer les spectateurs de la main droite. Mais vous ne serez pas surpris d’apprendre que chez les Anglais il tourne dans l’autre sens. Pour eux, les chevaux et autres animaux doivent être montés de la « bonne » manière : mettre le pied gauche dans l’étrier et lancer la jambe droite par-dessus l’animal.

Très vite les forains donnent un thème à leur manège, et chars et gondoles, animaux domestiques, sauvages ou fantastiques viennent s’ajouter au traditionnel cheval de bois. Avec les grandes expositions universelles et coloniales, le grand public se montre rapidement très friand de l’évocation de la faune sauvage des pays lointains. Lions, tigres, éléphants ou girafes viennent côtoyer les animaux domestiques ou ceux des forêts européennes.

Dans les années 1920 l’apparition du dessin animé conduit les forains à reproduire les nouveaux personnages enfantins, très connus du grand public (à cette époque, les droits d’auteur ne protégeaient pas encore les créateurs de dessins animés ou de bandes dessinées).

Bateaux, bicyclettes, voitures, avions, ballons viennent ensuite progressivement moderniser les manèges, et offrir un choix plus varié.

Et si les foires proposent aujourd’hui des manèges de plus en plus spectaculaires, qui défient les lois de la pesanteur, et garantissent à leurs clients des émotions fortes, le bon vieux manège garde sa clientèle de jeunes enfants : il n’est que de voir le succès du carrousel de la place Félix-Faure pour s’en convaincre !

Quelques noms célèbres

En 1840 Antoine Limonaire (1815-1886), charpentier d’art du Béarn, s’installe à Paris. Ses deux fils Camille et Eugène développent deux activités complémentaires. Ils fabriquent des instruments de musique, orgues de Barbarie, orchestrions et pianos automatiques pour les fêtes foraines. Leur orgue mécanique Limonaire, qui fonctionne avec un système pneumatique, devient synonyme d’orgue de manège et limonaire devient un nom commun. L’entreprise fabrique aussi des accessoires pour les fêtes foraines (pièces isolées, éléments de décors, pièces mécaniques, etc.), et sculpte des chevaux de bois et tout un bestiaire d’animaux. Au début du XXème siècle elle a des agences dans de nombreux pays d’Europe.

Malheureusement la société est mise en faillite en 1936 et son stock est dispersé.

l’atelier de peinture de l’entreprise Bayol
cheval de Bayol

Originaire d’Avignon, Gustave Bayol (1859-1931) s’installe à Angers en 1884 et se fait connaître par ses travaux d’ébénisterie et des sculptures sur bois. En 1887 un forain lui commande des chevaux de manège qu’il souhaite plus vivants et expressifs que les modèles allemands de l’époque. Bayol sculpte des chevaux au galop, avec des expressions pleines d’énergie. Le succès est immédiat, et il se spécialise rapidement dans la fabrication de figures pour manèges. Son atelier grandit jusqu’à compter 100 ouvriers. Il crée aussi des cochons, des vaches, des avions et même des chars pour les carnavals et les cirques. Son talent fait de lui une référence dans l’industrie foraine.

Les chevaux de Limonaire ou de Bayol sont aujourd’hui recherchés par un public de collectionneurs avisés et atteignent des cotes élevées dans les ventes aux enchères.

Le carrousel aujourd’hui

Les chevaux de bois sont aujourd’hui en résine. Quelques rares entreprises continuent à concevoir des manèges neufs, et à entretenir des manèges anciens. En France, l’entreprise Concept 1900 International  de Saint-Gobain, créée en 1981, spécialisée dans la conception et construction de carrousels rétro, était la dernière. Héla, le 17 novembre 2023 elle a été mise en liquidation, victime de la Covid, de la perte d’un marché avec la Russie en raison de la guerre en Ukraine, de la flambée du coût des matières premières, et sans doute de certains choix malheureux.

Un carrousel ancien comporte généralement deux étages. Celui du bas, le plus important, comportait autrefois 48 chevaux, par rangs de trois. Aujourd’hui certains éléments larges, comme le tramway ou la montgolfière, peuvent à eux seuls occuper toute la largeur du plateau (mais ils accueillent plusieurs enfants de sorte que le nombre de places ne varie guère).

Au centre, la machinerie est cachée par des panneaux décorés de glaces, ou de décors consacrés à un thème principal : celui de Rambouillet est consacré aux métiers d’autrefois.

Le second étage, plus étroit ne comporte généralement que deux rangées de chevaux.

Au sommet d’un carrousel rétro, on trouve toujours de multiples petits panneaux de décor et des frises qui jouent un rôle de garniture ornementale. Il s’agit toujours de vues bucoliques épurées et romantiques qu’il faut chercher à reconnaître (certaines évoquent un endroit précis, d’autres un paysage imaginaire…)

Et bien sûr des rampes de lumière, aujourd’hui remplacées par des leds, soulignent tous les éléments du manège.

Quant à l’orgue il est maintenant remplacé par de la musique contemporaine ou rétro, mais qui a perdu hélas cette sonorité si particulière qui nous évoquait immédiatement la fête d’antan.

Le carrousel de Rambouillet

Le carrousel 1900 est maintenant installé de façon permanente place Félix-Faure, et pour la restructuration de la place il a été tenu compte de sa présence. Ce n’est qu’à Noël qu’il doit céder la place à la patinoire de Rambouillet (cette animation si appréciée des Rambolitains). Son installation demande trois jours de montage, et on comprend donc l’intérêt qu’ont les forains à trouver un point de chute permanent.

Il faut d’ailleurs admirer la façon dont les 1400 pièces (27 tonnes, 3600 ampoules…) trouvent leur place dans le camion et sa remorque, avec la même science du rangement que celle d’un meuble Ikea dans sa boîte!

Xavier et Karine gèrent aujourd’hui le manège. Ils sont la 6ème génération de la famille Bourreau  à proposer aux enfants ce manège construit initialement en 1936 avec des chevaux Bayol, et recréé après la guerre, à partir de documents de l’époque, en l’adaptant aux goûts du public.

Le manège paye-t-il une redevance pour exercer ainsi sur la voie publique ? Ou au contraire, la ville le rémunère-t-elle pour assurer cette animation appréciée de tous ? Je n’ai pas trouvé le renseignement, mais un lecteur nous renseignera peut-être.

En tous cas, il fait désormais partie du paysage rambolitain.

Christian Rouet
août 2025

Cet article a 3 commentaires

  1. Anonyme

    Bravo, très utile et riche en anecdotes. Je propose que la Mairie vous subventionne à l’instar du Caroussel. Et qu’elle publie dans sa lettre d’information vos articles.

    1. christian Rouet

      voici une bonne suggestion à lui faire ! 🙂

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