La Saint-Lubin
La 16ème fête biennale de la Saint-Lubin s’est tenue samedi 1er octobre 2022 à Rambouillet, après 4 années d’interruption, dues à la Covid. Elle dépasse nettement, aujourd’hui, en audience et en succès, la fête du Muguet, créée en 1906.
La Saint-Lubin était fêtée à Rambouillet dès le XIVème siècle. Après une période d’interruption, elle a été relancée, sous sa forme actuelle, en 1990. Nous allons revenir ici, sur son origine.
Auparavant, une remarque grammaticale : cette fête est biennale ou bisannuelle, car elle revient tous les deux ans. Elle n’est pas biannuelle contrairement à ce qui est annoncé dans bien des articles, le Français exigeant un S entre les deux voyelles (nous avons ainsi des bisaïeuls et non des biaïeuls). Il est vrai cependant que si aucun dictionnaire sérieux ne reconnait « biannuel », celui de Google et plusieurs sites en répandent l’usage…
Et il est vrai aussi que cela ne change rien à l’intérêt de cette fête !
En tous cas, c’est bien une fois tous les deux ans, qu’a lieu (hors Covid) la nouvelle fête de la Saint-Lubin, car son organisation serait trop lourde pour une fréquence annuelle.
Saint Lubin
C’est le saint patron de l’église de Rambouillet (et c’était déjà celui de son ancienne église).
L’existence de Lubin de Chartres (ou Leobinus) ne fait aucun doute. Il est originaire de Poitiers, a été évêque de Chartres vers 544. Il a participé aux conciles d’Orléans, en 549, et de Paris, en 551, et son culte est attesté dès le haut Moyen Age.
L’évangélisation de la Beauce est achevée durant son épiscopat, c’est pourquoi il est considéré comme l’un des fondateurs de l’église chartraine.
Il décède le 14 mars 557, et ses reliques ayant été transférées le 15 septembre 557 de Saint-Martin-au-Val à la cathédrale de Chartres, c’est la date de cette translation qui est retenue pour le fêter. Un vitrail de la cathédrale lui est consacré.
Comme c’est le cas pour tous les saints, sa légende a fait ensuite l’objet de récits écrits pour l’édification des fidèles.
Un premier texte, d’inspiration moniale, est écrit à l’époque Carolingienne, vers 780, afin de renforcer le prestige de l’abbaye bénédictine de Micy (sur l’actuel territoire de la commune de Saint-Pryvé-Saint-Mesmin, Loiret). Un second, d’inspiration canoniale, est adapté en 1200 pour valoriser l’église de Chartres.
Dans la baie 45 de la cathédrale, une verrière raconte la vie de Saint-Lubin en 41 tableaux regroupés en cinq quadrilobes de cinq médaillons chacun.
Fils de paysan, il garde les boeufs quand il rencontre un moine à qui il demande de lui écrire les lettres de l’alphabet sur sa ceinture, pour apprendre à lire. Cette instruction lui permet de devenir moine, d’abord, durant huit ans, à l’abbaye Saint-Martin de Ligugé dont il devint le cellérier ( le responsable du cellier). Il va ensuite à l’abbaye de l’île-Barbe à Lyon. Là il est torturé par les fils de Clovis, lorsqu’ils envahissent l’Abbaye. Bien que laissé pour mort, il se rétablit finalement. Il se rend alors à l’abbaye de Saint-Avit, et devient cellérier de sa communauté. Puis il passe cinq ans dans la forêt de Montmirail entre Perche et Maine.
L’évêque de Chartres, impressionné par sa foi, le nomme abbé du monastère de Brou. En 544, à la mort de l’évêque, Lubin est désigné pour lui succéder.
Le Bréviaire de Chartres recense les nombreux miracles attribués à Saint-Lubin, dont celui d’avoir arrêté par ses prières un ouragan et un incendie qui menaçaient Paris.
Le vitrail de la vie de Saint-Lubin ayant été financé par la guilde des vignerons chartrains, les cinq médaillons centraux sont curieusement consacrés au vin. Il est vrai qu’à l’époque, si Chartres n’est pas une région particulièrement viticole, c’est l’évêque, premier personnage de la ville, qui en dirige l’exploitation, et en recueille les bénéfices. Colette Deremble (« Saint-Lubin, mutation d’un thème du temps carolingien au vitrail de Chartres ») nous apporte ce commentaire :
« Le thème du vin reçoit, quoiqu’il en soit, l’honneur du centre du vitrail, place qui revêt de manière systématique le rôle essentiel dans la composition des vitraux. Ce vin que le vigneron est allé chercher à la vigne et qu’il rapporte dans son tonneau, ce vin que les chanoines vont tirer dans leur magnifique cellier voûté de Loëns, ce vin que le prêtre va offrir sur l’autel lors de l’eucharistie. En cette dernière image se nouent et se rassemblent toutes les autres, le geste eucharistique étant le lieu où prend sens la rencontre de la fonction épiscopale et de l’activité laborieuse des vignerons »
La fête
Les deux fêtes annuelles de la Saint-Lubin, et de la Quasimodo, ont sans doute été créées sous Regnault d’Angennes. Elles ont, en tous cas, été confirmées par le roi Henri IV, en même temps que la tenue des deux marchés hebdomadaires de Rambouillet, par la signature de lettres patentes du 15 avril 1595.
La quasimodo était fêtée dans de très nombreuses régions de France. Elle avait été instituée de façon officielle pour que les pèlerins, venant de loin et arrivés à Rome trop tard pour participer à la messe de Pâques, puissent participer, le dimanche suivant, à une messe quasiment comme celle-ci (en latin « quasi modo », premiers mots de l’introït de la messe du jour). Ils ne recevaient toutefois pas l’indulgence plénière accordée le jour de Pâques. A Rambouillet la fête avait lieu le lundi.
La Saint-Lubin était la « fête de septembre », et avant tout une foire agricole et un grand marché aux bestiaux.
Elle se tenait le 15 septembre sur la place de la Foire (actuellement place Félix Faure) et dans l’actuel boulevard du Gal Leclerc, en limite de Gazeran. C’était donc à la fois une fête communale, et la fête du quartier de la Pierrefitte. Une auberge, située au début du boulevard, en face de la poste à chevaux s’appelait d’ailleurs « A Saint-Lubin ». Vers 1920 elle était tenue par un nommé Péquin (nom très répandu dans notre région).
On chantait donc :
« Pequin veut, à la Saint-Lubin,
Que tout le monde se divertisse,
Jusqu’aux marchands d’pains d’épices,
Qui chantaient ce refrain:
Vous, vous qui voulez danser,
Venez tous à la Pierrefitte,
Vous, vous qui voulez danser,
Venez tous boire et chanter. »
Au fil des années la foire agricole perd de son importance, au profit des activités ludiques. C’est ainsi qu’au programme de la Fête de septembre 1911, il y a des attractions foraines, les samedi 9 et dimanche 10, et un festival de Gymnastique, avec banquet et bal de nuit.
Puis la fête elle-même, perd de son intérêt.
Est-il possible d’organiser deux fêtes importantes dans une même commune de la taille de Rambouillet ? Notre actuelle municipalité ne le pense pas et l’histoire de la fête semble bien lui donner raison. La création, et le succès de la Fête du Muguet, à partir de 1906 a dû se faire au détriment de la Saint-Lubin, puisque, chaque année, les comptes rendus publiés dans le Progrès, après la fête, relèvent une baisse de participation et d’intérêt. Par exemple :
1912 : « Le nombre des marchands forains, venus dimanche pour la fête, était plutôt restreint, et il est regrettable que cette foire, qui devait donner à notre commerce local un surcroît de bénéfices, soit délaissée par eux. De la foire par elle-même, il n’y a donc rien à dire… »
1921 : « Bien pâle, la Foire de septembre; quelques baraques foraines et… c’est tout. Les propriétaires de ces établissements, mécontents des droits et impôts qu’ils ont dû payer, ont promis que l’année prochaine « on ne les y prendrait plus ». Qu’attendent donc la commission des fêtes du conseil municipal, le Syndicat d’initiative et la section des fêtes de l’A.I.C. pour donner aux fêtes des différents quartiers de la ville, un éclat digne de Rambouillet, station de tourisme ? »
1930 : « Notre antique foire de septembre vient d’avoir lieu. Elle est passée parmi nous sans bruit et sans tapage, et n’a pas beaucoup dérangé le sommeil des Rambolitains.
Les anciens prétendent, et ils ont raison, que cette foire avait jadis une importance énorme, qu’elle attirait de grandes foules, tant par la variété des marchandises qui y étaient exposées que par les nombreuses têtes de bétail mises en vente.
Évidemment les temps sont changés ! On ne commerce plus de la même façon qu’autrefois. Les fêtes nombreuses appellent le public le même jour de divers côtés. Enfin, les moyens de locomotion dont nous disposons incitent à se déplacer.(…)
Il faudra peut-être, à Rambouillet, trouver quelque chose de nouveau qui s’adapte au cadre et à la réputation de notre cité. Tout cela n’est pas impossible, il suffit d’y réfléchir et de prendre les bonnes idées des uns et des autres et de se mettre au travail.
Si Rambouillet le veut, il aura lui aussi en 1931, sa grande manifestation agricole, commerciale, industrielle, avec concours et fête, qui attireront la foule dans notre ville pour le plus grand bien de notre commerce. Ce n’est qu’une question de bonne volonté, d’organisation et de … publicité. »
Ce dernier extrait est un peu long, mais ne trouvez-vous pas qu’il pourrait être écrit aujourd’hui, par exemple, pour notre Fête du Muguet ?
Bientôt la Saint-Lubin n’est plus qu’une fête de quartier. Elle est déplacée en février, sans plus de succès. Elle est finalement arrêtée, et tombe dans l’oubli après la guerre…
Si le 7 octobre 1989 les rues de Rambouillet se couvrent de paille, et les commerçants, les conseillers municipaux et de nombreux Rambolitains se costument, c’est pour organiser une grande commémoration du bicentenaire de la Révolution de 1789.
La fête a demandé trois ans de préparation, cependant son succès donne des idées … Depuis septembre 1990, elle est donc renouvelée tous les deux ans, en appliquant les mêmes recettes de base : un thème pour inviter à se déguiser (en 2022 : les années folles), beaucoup d’animaux superbes, une grande braderie animée par des commerçants locaux, des animations plus ou moins élaborées, de la musique, un grand banquet… Et énormément de bonne humeur : plaisir d’en être acteur, plaisir d’en être spectateur.
Je ne vous la décris pas davantage : vous y avez participé, ou vous pourrez le faire lors de la prochaine année paire. Elle se tenait le dernier samedi de septembre, jusqu’en 2018, et a été reculée d’une semaine en 2022, mais j’ai oublié pourquoi !
Comme l’écrivait le Progrès de Rambouillet au lendemain de la Saint-Lubin de 1930 : réussir cette fête, « ce n’est qu’une question de bonne volonté, d’organisation et de … publicité… »
Christian Rouet
octobre 2022
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