La librairie Desbordes

En cette période de rentrée des classes, demandons-nous où il était possible autrefois d’acheter livres et cahiers à Rambouillet.
Sans oublier l’ardoise, sa petite éponge et ses craies, ou le plumier avec le porte-plume et sa boite de plumes Sergent-Major, le crayon Caran d’Ache à mine dure, la gomme et la règle en bois…

En 1913 Rambouillet, qui compte environ 6000 habitants, a deux librairies-papeteries : celle de Mme Veuve Baron-Raphanaud et la « Librairie Nouvelle » de M.Lhermitte, qui vend également des journaux.

On peut ajouter « l’imprimerie du Progrès » qui vend également un peu de papeterie, en complément de ses services.

Toutes trois sont situées rue Nationale (rue du Général de Gaulle).

Intéressons-nous à la librairie de Mme Veuve Baron-Raphanaud.

la « librairie nouvelle Lhermitte »

Quatre commerces sur rue, au 39, du côté droit en direction du château, se partagent une cour commune. Il y a d’abord Henri Panier, le grainetier, qui dispose dans la cour de grands hangars, puis Pierre Teste, le marchand de chaussures. De l’autre coté du porche qui donne accès à la cour : la librairie, avec sa porte vitrée entre deux vitrines. Puis un espace non commercial : la fenêtre de la cuisine du logement de la libraire, et l’entrée de l’escalier qui mène à l’appartement du premier étage. Enfin, le magasin de nouveautés de Gustave Bourgoin-Faure.

En 1919 la librairie est vendue à Mme Veuve Hautefeuille. Ses filles Germaine et Madeleine travaillent d’abord avec elle, puis seules après le décès de leur mère.

le magasin des soeurs Hautefeuille

Lorsqu’elles souhaitent prendre leur retraite, en 1959, c’est le représentant de commerce d’un de leurs fournisseurs qui leur trouve un repreneur : Michel Desbordes originaire de Melun, et sa jeune femme Monique.

Le 15 mars 1959, un accord est trouvé pour l’achat du fonds et de l’immeuble, et après un mois de passage de relais, Michel et Monique se retrouvent seuls à la tête de leur entreprise, le 14 avril.
Ils commencent avec un salarié à temps plein, et un second à temps partiel. Quand ils arrêteront en 1992 l’entreprise en aura 20 (en comptant les intérims pour certaines périodes de suractivité ).

M. et Mme Desbordes se souviennent encore de leur surprise à leur arrivée à Rambouillet, en découvrant qu’il n’y a encore que deux ou trois magasins modernes dans toute la ville !

Les premiers mois sont bien remplis : à l’intérieur il faut très vite remplacer toutes les vitrines fermées ( installées afin d’interdire au client de toucher les livres), par des rayonnages ouverts qui leur donnent envie de les feuilleter…

Et puis changer tout de suite les approvisionnements pour faire de ce magasin qui vendait aussi bien des objets religieux que … du papier toilette (!), une véritable librairie.

Le succès ne tarde pas, et il est à la hauteur des efforts déployés. Le chiffre d’affaires de 12 millions de francs que réalisaient les sœurs Hautefeuille est déjà porté à 17 dès la fin de la première année.

En février 1963 une importante première tranche de travaux transforme le magasin, qui récupère alors la totalité du rez-de-chaussée, jusqu’à l’escalier du premier étage.

la librairie Desbordes

La vitrine sur rue, à gauche de la porte est ainsi plus que doublée.

Le quartier change. Les uns après les autres, les magasins de la rue se modernisent enfin. C’est l’époque où de nombreux parisiens achètent une résidence secondaire, et font bénéficier les commerces de Rambouillet d’un supplément d’activité précieux chaque weekend.
Les Pompes-Funèbres qui étaient à côté du grainetier se transportent à l’entrée du cimetière de la rue G.Lenotre. Le grainetier ferme, libérant de beaux espaces dans la cour, qui permettent à la librairie d’augmenter ses stocks et ses effectifs. Le magasin de chaussures est remplacé par un magasin de laines. Le magasin de nouveauté, devenu les « Modes parisiennes » est remplacé par un magasin de machines à coudre Singer

La rue ( devenue rue du Général de Gaulle le 14 juillet 1945) est maintenant une rue commerçante active. Mais il faut continuer à accompagner le développement, ce qui demande toujours plus de stocks et de trésorerie.

En 1974 l’achat du magasin Singer et son intégration permettent à la librairie de disposer d’une nouvelle vitrine, à gauche de la cage d’escalier.

Le magasin a ainsi plus que triplé sa façade sur rue, depuis son achat, tout en s’agrandissant également en profondeur dans la cour, et en récupérant de la place dans les hangars pour y loger davantage de stocks et de bureaux.

En effet, l’entreprise a une double activité : le magasin, que les clients connaissent, domaine de Monique Desbordes, qui a su développer à la fois l’activité de librairie et celle de papeterie.

Mais aussi, moins connue bien que représentant plus de 60% du chiffre d’affaires total, l’activité de gros ou demi-gros développée par Michel Desbordes, qui fournit en matériel et fournitures de bureau toutes les administrations, collectivités et entreprises importantes de la région. 

Pour la librairie, une difficulté importante réside dans les délais de livraison. Pour satisfaire une clientèle toujours plus pressée, chaque jour le commissionnaire doit passer à l’aube prendre la liste des courses à faire dans Paris, pour les rapporter avant la fin de la journée, en essayant d’échapper à un trafic de plus en plus pénalisant.

un véhicule que les Rambolitains ont bien connu

C’est que Rambouillet est à la fois trop près et trop loin de Paris pour que les éditeurs et les grossistes l’intègrent dans un système de livraison adapté. La satisfaction du client, de plus en plus exigeant, exige donc un service d’approvisionnement à la charge de la librairie, quitte à perdre sur la marge.

Michel Desbordes dans la cour

Pendant quelques années, entre 1975 et 1980, les grandes surfaces choisissent de vendre à leur tour des livres, en baissant leur marge, ce qu’elles peuvent faire pour un produit qui ne représente qu’une faible part de leur activité, et de nombreux libraires sont acculés à la faillite. Mais en 1981 la loi Lang en instaurant un prix unique du livre, met fin à cette concurrence mortelle, afin de protéger la filière, et développer la lecture.

Par contre les marges sur la papeterie ne cessent de se réduire, avec le développement de nouvelles filières, suivant l’exemple de Staples inc qui invente en 1986 le concept de grand magasin pour le bureau.

Monique Desbordes, dans son magasin
Monique Desbordes : pause dans la cour

En dépit de ces évolutions du marché, la librairie Desbordes se développe de façon très régulière, avec un chiffre d’affaires qui n’a jamais cessé d’augmenter depuis son ouverture en 1959 jusqu’en 1992, lorsque Monique et Michel Desbordes décident de prendre leur retraite, et cèdent leur fonds de commerce.

C’est une bien grosse perte pour tous les clients qui n’ont pas oublié la gentillesse de Monique Desbordes et le sens du service de ce couple de commerçants impliqué durant plus de trente ans dans la vie économique de Rambouillet, et acteur principal de l’animation du centre ville.

Après le 1er février 1992, deux repreneurs successifs poursuivront l’activité de la librairie, avec beaucoup moins de bonheur, puisque finalement la librairie fermera définitivement le 9 novembre 2006.
Elle est maintenant remplacée par une banque.

Gageons que nous sommes quelques uns à penser que Rambouillet n’y a pas gagné.

 

Christian Rouet

PS : aujourd’hui Rambouillet a retrouvé un libraire professionnel de qualité : « Labyrinthe », qu’il faut savoir trouver dans son passage de la rue Chasles.

Cet article a 5 commentaires

  1. Duchemin

    Merci a la personne qui dans les commentaires rend hommage a la vendeuse du magasin Desbordes qui en était la véritable professionnelle elle ajoutait a ses connaissances littéraires une amabilité et un accueil quel que soit le client et son achat

  2. Anonyme

    il y eut aussi une librairie en face de la sous-préfecture .monsieur Bobière.C’était un homme charmant.il a pris sa retraite dans les années 50.une mercerie l’a remplacé. D Guillaumin

  3. Sylvie Courbon

    Non, c’est pas la situation qui a provoqué la fermeture de la librairie Patenôtre, c’est internet. Les grandes surfaces vendent des livres, mais ne font pas de commandes, ni de recherches sur quelque chose de précis. La librairie était très bien située, sur le chemin des lycéens qui allaient prendre leur train. J’y ai travaillé presque 12 ans, et je peux vous dire qu’au moment de la rentrée scolaire on faisait des journées de 12h, sans prendre le temps de manger, ni autre chose d’ailleurs…. Mais c’étaient des bonnes années et plein de bons souvenirs….

  4. Ullern Jean-Eric

    J’ai bien connu la librairie Desbordes chez qui tout Rambouillet avait ses habitudes. Monique Desbordes avait entre autres une employée, ancienne libraire je crois, qui connaissait tout de l’édition et renseignait parfaitement toutes les demandes.
    Mais il y a eu a Rambouillet, depuis que je m’y suis installé en 1967, au moins 2 autres librairies (outre le « Labyrinthe ») :
    La 1ére était installéesur la place Félix Faure (presque derrière le banc où le Père Gamet entretenait ses protégés). Elle n’est pas restée longtemps, car la personne qui l’avais reprise n’avait aucune notion du commerce et de la librairie.
    La seconde, ouverte quelques temps plus tard, après la fermeture de la librairie Desbordes, était située rue Patenôtre, à côté de la laverie. La boutique était petite, bien qu’ayant une vitrine de chaque côté de l’entrée, mais ses rayons étaient remplis de l’essentiel de la « librairie française » et à jour de ce qui se publiait. Les libraires, compétents et accueillants, fournissaient dans les 24 heures presque tous les ouvrages demandés qui ne figuraient pas dans leur stock. Mais, sans doute mal située à Rambouillet, elle a du fermer ses portes en 2019. L’installation de « Cultura » au Bel air n’a sans doute pas été étrangère à cette fermeture. (Un nouvel exemple de petit commerce incapable de lutter contre les grandes surfaces)

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