Gustave Hervigo

Gustave, dit Tatave, dit Tatave-la-bougeotte...
Si vous l’appeliez Maître  il s’empressait de rectifier : mètre soixante douze ! Vous voici prévenu : même devenu peintre officiel de la Marine, et membre de l’académie des sciences d’outre-mer, Gustave détestait se prendre au sérieux, et adorait plaisanter.

Ah si je pouvais lui demander de vous raconter sa vie ! Et Yvonne, son épouse, avec sa gouaille de titi parisien n’aurait pas été la dernière à rire de ses histoires, et à rajouter des détails.
Oui, assurément cet article n’aurait pas été triste !
Je ne vais pas essayer de l’imiter : il me manquerait de toutes façons le ti-punch maison dont il régalait tous ses amis.
Voici donc, sérieusement, l’histoire d’un grand artiste-peintre de Rambouillet, qui nous a quitté il y a bientôt trente ans.

Son enfance

Quand son papa, Gustave Adolphe Hervigo, sellier au 22ème régiment d’Artillerie de Versailles, est démobilisé, il s’installe à Rambouillet, pour y exercer sa profession en rajoutant à son patronyme, un « t » sans doute retiré par erreur par l’Etat civil, en Bretagne, quelques générations plus tôt.

Il est domicilié rue Nationale au n°69 quand il se marie le 17 août 1887, et au 4 de la Place Félix-Faure à la naissance de son fils unique, le 27 octobre 1896.
Manque d’imagination, ou respect de la tradition ? l’enfant est prénommé Gustave Adolphe, comme son père, et comme son grand-père avant lui.

le magasin Hervigot de la rue Chasles. C
le magasin de la rue Chasles. Collection Ch & M Painvin

En 1912 les Hervigo(t) s’installent au 4 rue Chasles. L’atelier de sellerie est dans la cour, derrière la maison qu’ils font alors surélever d’un étage.
Au 4bis Gustave-père ouvre un magasin de sellerie-bourrellerie.

L’activité de sellerie est alors florissante, portée par le goût pour l’équitation dans la région de Rambouillet. L’almanach de 1913 recense 6 selliers dans le centre-ville !

Après son certificat d’étude (qui lui permettra, quand on lui demandera plus tard d’indiquer ses titres, de se dire fièrement « diplômé E.C.R. », pour Ecole Communale de Rambouillet !), le jeune Gustave entre en apprentissage chez son père, y travaille jusqu’à la guerre, et démobilisé en 1919, il y reprend sa place à l’établi paternel.

Il a alors deux passions : la peinture qu’il découvre auprès d’Henri Laigneau, et le music-hall où il joue, en amateur, un personnage de comique dont il conservera toute sa vie la drôlerie et le talent de conteur.

Cette seconde passion en entraîne une autre, puisqu’il rencontre sur les planches une chanteuse d’opérette, Yvonne Foulfoin, dont les parents tiennent le cinéma de Rambouillet. Ils se marient en juin 1923.

En 1933 l’essor de l’automobile entraîne une crise pour la sellerie. Gustave se reconvertit en appliquant sa technique du cuir à des accessoires de mode, sacs, boutons, ceintures…. Sous le nom de « Pustache » il travaille pour Rochas, Lanvin, Madeleine Vionnet et d’autres.

Cela le conduit à s’éloigner de Rambouillet en 1935, d’abord pour le XIVème arrondissement, au 11 rue Schoelcher, puis, en 1937, dans le VIème, au 12 rue Jean-Ferrandi, dans une cité d’artistes.

L’armée le rappelle sous les drapeaux de 1939 à 1940. A son retour à Paris ses principaux clients ont fermé. Il continue durant quelques mois à travailler le cuir pour quelques particuliers, et très vite se consacre exclusivement à sa peinture qu’il n’a jamais cessé de pratiquer Et surtout il travaille le dessin, dont il estime ne pas maîtriser suffisamment la technique. En 1966 il raconte :

« Désireux de rattraper le temps perdu, je fréquentais les académies, le soir, après les journées de travail ou le samedi. J’ai tortillé, comme on dit, un nombre incalculable de nus. J’allais aux séances de croquis qui duraient de 2 à 7 heures, et je vous prie de croire que 5 heures de croquis, ça vous abrutit copieusement votre bonhomme, mais il y avait toujours un pas fait en avant ». 

Hervigo l’Africain

En 1948 la persévérance, et le travail de Gustave Hervigo sont enfin récompensés : la Société Nationale des Beaux Arts lui octroie une bourse de voyage pour se rendre en Afrique Equatoriale Française.

« Dépaysement complet, découverte d’harmonies nouvelles dans un paysage dépouillé sous un ciel uniformément gris de saison sèche, arbres  aux feuillages grisâtres, herbe jaunie, et terre rouge. Harmonies pressenties mais encore jamais vues ». (G. Hervigo)

Hervigo : le marché de Fada Tchad huile 1957
le marché de Fada Tchad huile 1957

Il découvre notamment que l’Afrique est un pays sans bleu, et il le supprime de sa palette dont il a déjà retiré le vert, pour ne garder que deux jaunes, deux rouges et un noir. Ceci l’oblige à rechercher sans cesse des équivalences en mélangeant ses couleurs et ses toiles donnent l’impression d’une palette complète.

« Le but à atteindre n’est pas de peindre avec ou sans bleu, ou sans vert, mais d’essayer de faire partager au spectateur l’émotion ressentie et d’entrer en communication avec lui ».(G Hervigo)

De 1949 à 1975 « Tatave-la-bougeotte » entreprend 17 voyages à travers le monde. Nommé « Peintre de la Marine » en 1963, il peut voyager gratuitement sur les bâtiments de la Marine Nationale et sa signature est désormais suivie d’une petite ancre. Son goût et son sens du contact, sa gentillesse, son humour fait qu’à chaque escale il se fait des amis qui sont aussi heureux de le recevoir, que de venir ensuite le visiter dans son atelier de Paris, où la bouteille de son ti’punch maison est toujours prête.

Les expositions qu’Hervigo organise à son retour à Paris accueillent surtout ses nombreux amis, et beaucoup d’anciens coloniaux rencontrés dans ses voyages. Je me souviens de leurs commentaires : ils reconnaissaient non seulement l’endroit où avait été peint un tableau, mais la saison et même l’heure de la journée, tant ses couleurs rendaient une lumière et une ambiance précise.

Sa peinture

« La peinture, pour moi, est tout d’abord une impression physique. Des taches de couleur qui vous chatouillent agréablement la rétine et vers lesquelles on se trouve attiré. Ensuite, essayer de faire ressentir l’émotion, la poésie, que le peintre a tenté de suggérer. (…) Ma peinture est figurative ce  qui ne veut pas dire que je ne prenne pas de liberté avec la nature dans le but de composition, d’équilibre, ou d’exaltation du caractère, que ce soit dans un paysage, le portrait d’un arbre ou d’une figure. »

Il traite le même paysage dans des styles totalement différents, au crayon, au fusain, à la gouache, à l’huile, multipliant sur place les esquisses qu’il reprend ensuite dans son atelier …

Croirait-on par exemple que cette sanguine de la place Saint-Hubert de Rambouillet, aujourd’hui disparue (pour laquelle il obtient le Prix de dessin d’Ile de France en 1965) a été réalisée la même semaine que cette gouache ?

La place est déserte ? Si Hervigo peint des portraits, ou des foules, il affectionne effectivement les paysages déserts, sans que ses rues vides ou ses grands espaces ne soient jamais tristes.

Ses personnages peuvent s’imposer par leur réalisme, aussi bien être traités dans un esprit proche de la bande dessinée, ramenés à des taches de couleur, ou encore à des silhouettes furtives pour apporter seulement un détail complémentaire à un paysage.

Gustave et Yvonne habitent depuis 1935 à Paris, où Gustave est bientôt obligé de louer un second atelier, dans le même immeuble d’artistes de la rue Ferrandi, pour y entreposer ses toiles. Il reste  cependant toute sa vie très attaché à Rambouillet, où il vient … en vélo.

La maison de la rue Chasles a été vendue à Jacques Camblin et un magasin d’optique remplace désormais la sellerie. Cependant Hervigo conserve la jouissance de l’atelier dans la cour et il y revient très régulièrement. En Jacques, Huguette et leur fils Francis, Gustave, qui n’a pas d’enfants, a trouvé une famille qui le soutiendra jusqu’au bout.

L’Afrique est son sujet de prédilection, mais le vieux Rambouillet, les champs de Beauce, le parc ou la forêt… l’inspirent tout autant. Nombreuses sont les toiles qu’il peint en visitant à Sonchamp la ferme de ses amis Janottin, à Gazeran le restaurant des Kieger, ou chez l’un de ses nombreux amis du Rotary Club dont il ne manque pas une réunion quand il est en France.

Le Tapis Vert

Et naturellement, s’il a été nommé Peintre de la Marine, c’est parce que la mer l’a inspiré, mais l’intérieur des terres, les ports ou les détails des navires, plus que l’océan lui-même.

Gustave Hervigo
Gustave Hervigo

Gustave Hervigo est Sociétaire de la Société nationale de beaux-arts en 1940, membre du jury en 1948, Prix de l’Afrique-Équatoriale française en 1949, Prix Puvis-de-Chavannes (décerné par la Société nationale des beaux-arts) en 1962, Peintre officiel de la Marine en 1963, et Membre de l’Académie des sciences d’outre-mer en 1976.
J’étais l’un de ses nombreux amis.

Outre ses expositions privées ou sa participation à des salons collectifs, le Musée de la Marine lui a consacré une rétrospective en 1980, et ses oeuvres ont été exposées à Rambouillet en 1971, 1990, 2009 et 2013.
Cependant, plus intéressé par sa peinture et ses voyages que soucieux de se faire connaître, Gustave Hervigo n’a pas eu toute la notoriété qu’il aurait méritée. Il en était bien conscient, mais précisait avec sincérité qu’il ne regrettait rien.

En 1986 ses amis ont lancé une souscription pour la création d’une Fondation Hervigo, et à sa mort, en 1993 il a fait don de ses oeuvres à la Ville de Rambouillet.

Le Palais du Roi de Rome expose en permanence quelques uns de ses tableaux, et a, dans ses réserves, de quoi organiser de nombreuses expositions. Cependant il n’y aura jamais à Rambouillet le Musée Hervigo dont ses amis avaient rêvé, car un tel projet ne pourrait  jamais se rentabiliser, d’autant que les sujets coloniaux sont aujourd’hui passés de mode, et que son image, injustement réductrice, de peintre de l’Afrique le dessert.

la Place Gustave Hervigo

Au vu de cette plaque, apposée sur un immeuble de la sente Saint-Lubin, derrière l’Office de Tourisme, je pensais que la ville lui avait dédié cette petite place et je m’en réjouissais. Mais après vérification, il doit s’agir d’une initiative privée, car la « place Gustave Hervigo » n’existe ni dans les listes municipales, ni sur les cartes de Google.
Une plaque commémorative est apposée de même  au 4 de la rue Chasles par l’association SAVRE, aujourd’hui dissoute.

Alors, aucune reconnaissance officielle locale ? Si fait ! En 1936, c’est un des tableaux d’Hervigo qui avait été choisi pour la promotion de Rambouillet, et l’affiche avait été ensuite rééditée par le Syndicat d’Initiatives.
Sans doute parce qu’il n’était pas encore reconnu ?

Il est vrai que je n’ai pas davantage connaissance de lieux de Rambouillet dédiés à Laigneau, Cailly, Dutruel, Le Bourgeois ou autres artistes locaux. Nos conseils municipaux ont toujours privilégié leurs anciens membres, les donateurs, les hommes politiques ou les gloires nationales, tous tellement plus importants qu’un artiste local.
Un jour, peut-être… ?

Christian Rouet
juillet 2022

 

 

Cet article a 4 commentaires

  1. Faure

    Merci pour cet article. J’aime énormément ce peintre dont les peinture et les affiches ont illustré mon enfance.
    Je suis fière de posséder un tableau de lui.

  2. Philippe-Jean

    Merci Christian de faire revivre ce grand artiste rambolitain…et de souligner le peu de place (c’est une litote) dans notre odonymie des artistes locaux et j’y ajouterais également des noms de lieux anciens, témoins de notre terroir…

  3. Anonyme

    Grace à toi, mon cher Christian, Gustave est devenu un familier …! J’ai hâte de voir ressortir des réserves rambolitaines quelques toiles de cet artiste.
    Encore bravo – Jean-Luc

  4. Noyelle

    très intéressant cet article, comme tous les autres d’ailleurs, je me régale.

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