Les trois châteaux de Saint-Léger

A partir de la conversion de Clovis, les rois Francs s’appuient sur l’église, pour réussir leur conquête des terres gauloises. Pendant tout le moyen-âge, ils font des donations de terres, et en particulier de forêts, à des abbayes.

La forêt d’Yveline, propriété des Mérovingiens puis, après un partage, des Carolingiens est ainsi donnée à l’abbaye de Saint-Denis par Pépin le Bref en 768 et ce don est ensuite confirmé par Charlemagne.

Cependant c’est avec les Carolingiens que Saint-Léger entre dans l’Histoire et devient la ville la plus importante du Pays d’Yveline.
Trois châteaux successifs, aujourd’hui disparus, témoignent de son importance, et, pour reprendre le titre de l’ouvrage d’Anne-Marie Marteau, du « Passé royal de Saint-Léger en Yvelines » .

Le premier château

En 987 Hugues Capet, duc puis roi des Francs, prend possession de la ville de Saint-Jean-Baptiste, en sa qualité d’abbé de Saint-Denis, et se l’approprie. La ville est située au croisement de deux voies romaines qui conserveront leur importance durant des siècles : l’axe Rambouillet-Montfort et l’axe Etampes-Houdan. La vallée de la Vesgre, dont les différentes sources se rejoignent à l’entrée de la ville, permet l’installation de nombreux moulins à eau, et ses alluvions favorisent très tôt cultures et élevages de qualité.

Hugues Capet débute la construction d’un château. Son fils Robert le Pieux le poursuit et en fait une résidence royale. Une église consacrée à Saint-Jean Baptiste est également construite à flanc de coteau, à l’emplacement de l’église actuelle. Cependant la ville change alors son nom pour celui de Saint-Léger, évêque d’Autun assassiné en 678. Certains auteurs situent la mort du saint dans la région de Saint-Léger, mais il semble avéré que le convoi ramenant le corps du saint dans son Poitou natal, en 732, y aurait seulement fait une étape. La renommée de ce saint était grande, au point que 76 villages ont adopté son nom (ce qui ne facilite pas le travail des historiens, et a conduit à préciser son appellation en « Saint-Léger-en-Yvelines » !).

Dominant la vallée de la Vesgre, le château était facile à défendre au sud, mais pas au nord, et très vite il s’avéra nécessaire de le protéger par des forteresses construites en des lieux plus stratégiques : Montfort, Epernon… Guillaume de Hainaut, premier seigneur de Montfort est nommé gruyer d’Yveline, officier royal chargé de protéger la région et d’assurer notamment la protection de Saint-Léger dont il devient comte.

détail de la « carte du pays et forest d’Yveline » (1664)

La citerne de la Muette conduisait l’eau d’une source jusqu’au château, sans que l’on sache très bien si elle avait été construite à cet effet, ou s’il s’agit d’une cave plus ancienne, aménagée par la suite à cet effet. La SARRAF travaille actuellement à sa sauvegarde.

la citerne de la Muette

La ville se construit d’abord au flanc du coteau boisé, autour de l’église, puis en partie basse sur un terrain plus plat, autour d’un véritable carrefour routier en triangle. Sa prévôté dispose d’une prison, de sergents et de juges, preuve de son importance.

Les activités liées au bois se développent, et à la fin du XIIème siècle, Saint-Léger construit des machines de guerre. Ses élevages de chevaux, au bord de la Vesgre, sont réputés.

Nous savons peu de choses sur ce premier château. Mais comme l’écrit A.M. Marteau : « à vrai dire ce n’est peut-être pas la taille du château médiéval qui nous importe le plus, mais plutôt de savoir quelle a été sa fréquentation jusqu’en 1204 par les rois qui s’y sont succédé ».

Et précisément les nombreux actes signés à Saint-Léger attestent que Robert le Pieux, Henri 1er, Philippe 1er, Louis VI le Gros, Louis VII le Jeune y ont fait de nombreux séjours, avant que Philippe Auguste en agrandissant le château et en l’habitant personnellement, en fasse un site majeur du domaine royal en forêt d’Yveline.

La reine Ingeborg réside durant plusieurs mois au château de Saint-Léger (il s’agit de l’épouse de Philippe Auguste, répudiée le lendemain de ses noces). Bien que remarié depuis avec Agnès de Méranie, le roi finit par la reprendre, vaincu par le prononcé d’une excommunication du pape Innocent III, vingt années de procédure et 4 conciles, dont certaines sources pensent que c’est en l’église de Saint-Léger que le premier se serait tenu le 6 septembre 1200.

Malgré l’attachement que Philippe Auguste semble porter à Saint-Léger, il cède le château et la forêt d’Yveline en 1204 à la comtesse de Leicester, obtenant en échange son comté de Breteuil, en Normandie. La gruerie royale de Saint-Léger est ainsi supprimée, et la châtellenie est intégrée au comté de Montfort. Elle est ensuite rattachée au duché de Bretagne. Le château n’est plus ni occupé, ni entretenu, et lorsqu’en 1514 le mariage de Claude de France héritière d’Anne de Bretagne, avec François 1er le rapporte à la couronne royale, il est en ruines.

Le second château

Henri II, le fils de François 1er, commande en 1548 un nouveau château à l’architecte Philibert Delorme, celui que son ami Rabelais appelait « l’archirtecteur du roi Mégiste ». C’est le plus grand architecte de la Renaissance : on lui doit les Tuileries, le château neuf de Saint-Germain, Saint-Maur, une partie du Louvre et de nombreux autres monuments, dont beaucoup sont aujourd’hui disparus. En 1540 c’est à lui que Diane de Poitiers a commandé la construction de son château d’Anet dont seule l’aile gauche n’a pas été transformée depuis.

Est-ce pour se rapprocher de sa maîtresse qu’Henri II s’intéresse à Saint-Léger ? Il semblerait que ce soit plutôt par intérêt pour les chevaux – pardon, belle Diane !

En effet, pour compléter le haras royal de Meung-sur-Loire, un second haras a été créé à Saint-Léger – sans doute en 1535 par André de Foix, comte de Montfort – pour regrouper des élevages de chevaux qui y prospéraient déjà dans la vallée de la Vesgre.

Le château est construit sur l’emplacement du château de Robert le Pieux, au point que pendant longtemps leurs ruines se confondent, et que de nombreux historiens les prennent pour celles d’un seul et même château.

Les fouilles réalisées par André Chastel et son équipe du CNRS en 1975 ont permis d’en déterminer l’emplacement exact (X) : à mi-hauteur entre l’église et le château actuel, sur l’emprise de l’actuelle route de Montfort.

l’emplacement du château d’Henri II

Et des plans de l’architecte Androuet du Cerceau (XVIème siècle), conservés à la bibliothèque du Vatican nous indiquent avec précision, non ce qu’a été le château, mais du moins ce qu’il aurait dû être, si les travaux avaient été menés à leur terme.

plans dessinés par Androuet du Cerceau (XVIème siècle), conservés à la bibliothèque du Vatican

En réalité sa construction est interrompue en 1559 par la mort du roi et seules deux ailes sont effectivement construites. Elles permettent en tous cas de séjourner à Saint-Léger, et la reine Catherine de Médicis y fait plusieurs séjours. En 1584, la reine Louise, épouse d’Henri III vient s’y réfugier pour échapper à une épidémie de peste qui menace Paris.

En 1608, Sully comprend que son emplacement ne fera plus jamais de ce château une résidence royale, et en bon gestionnaire il lui cherche une autre utilisation.

Or le haras de Meung-sur-Loire a été définitivement fermé en 1599 et celui de Saint-Léger est alors le premier haras du royaume. Sully utilise donc les bâtiments du château pour agrandir le haras. Au « petit parc » ou « parc d’en bas », qui accueille cavales et poulains durant l’hiver, vient s’ajouter le « grand parc » où elles passent le reste de l’année, au niveau de l’ancien château. Des portes sont bouchées, les bâtiments sont transformés pour compléter les écuries. Sans doute y a-t-il là le logement du personnel. Il reste en tous cas possible d’y accueillir aussi des visiteurs, mais sans grand confort, car Louis XIII se plaint de « coucher dans un moulin à vent » (cité par AM Marteau) lorsqu’il vient à Saint-Léger.

Cette transformation marque donc la fin du second château. Le haras construit à son emplacement ne lui survivra pas longtemps : Louis XIV le trouve trop éloigné des prairies du bord de Vesgre, et il le fait démolir en 1667. L’activité du haras est regroupée dans la vallée.

Le troisième château

En 1570 Saint-Léger passe de Catherine de Médicis à son fils le duc d’Anjou, « François de France ». Celui-ci ne cherche pas à terminer les travaux du château de Philibert Delorme, et préfère aménager un pavillon de chasse construit dix ans avant, sur les bords de la Vesgre, à proximité des pâturages du haras.

« Ledit pavillon devait lui servir de lieu de repos au retour des chasses. »(l’abbé Pons, cité par AM Marteau).

Sa porte en appareillage de briques et de pierres très particulier, existe toujours, sur la route de Condé, à la sortie de Saint-Léger. Il communiquait avec les haras, et notamment avec une écurie monumentale, construite sur la rive nord de la Vesgre.

Modeste pavillon ou véritable château ? Les avis divergent en l’absence de plans ou descriptions fiables.

Une fresque de la Galerie des cerfs, à Fontainebleau est censée représenter le château de Philibert Delorme, à côté des ruines du « vieux chasteau » de Robert le Pieux, tel qu’il existait à l’époque d’Henri IV.

la Galerie des Cerfs, Fontainebleau, détail d’une des cartes

Toutefois on sait qu’elle a été repeinte en 1860 par le peintre Guiaud et il semblerait qu’il se soit inspiré par erreur du château du duc d’Anjou, dont nous aurions ainsi une possible représentation.

La carte, (inversée comme les cartes de l’époque : le « midy » est en haut) est loin d’être fiable. L’indication des châteaux de Saint-Léger indique cependant qu’à l’époque d’Henri IV la ville méritait toujours une mention particulière.

Quoi qu’il en soit, le château, dit «château d’en bas », pour le distinguer des « châteaux d’en haut », devient ensuite propriété du duc de Chevreuse, puis du Comte de Toulouse lorsque celui-ci acquiert le domaine de Rambouillet, et enfin de son fils le duc de Penthièvre.

Louis XV, amoureux de la région y séjourne souvent, lorsqu’il ne veut pas abuser de l’hospitalité de la comtesse de Toulouse, à Rambouillet, et en attendant la construction de son château de Saint-Hubert. « En 1742 Louis XV vint coucher 28 jours à Saint-Léger. Il y venait accompagné d’une quinzaine de courtisans. Au mois de juillet de cette même année il y passa le mois entier. » (Pierre de Janty cité par AM Marteau).

Avec Rambouillet, le château devient ensuite propriété de Louis XVI, et fait partie à la Révolution de la liste civile du roi, puis de celle de Napoléon. Toutefois il n’est plus entretenu, et si sa démolition totale ne date que de 1875, le cadastre de 1830 ne mentionne déjà plus que de rares constructions.

cadastre de 1830

Le troisième château de Saint-Léger disparaît donc à son tour. En 1715 le haras est transféré aux Pins en Normandie. Il comprenait alors 100 cavales et 12 à 15 étalons,  et environ 80 poulains et pouliches, chaque année.

Première ville d’Yveline, supplantée ensuite par Montfort, Saint-Léger perd définitivement toute chance de devenir la capitale du Pays d’Yveline quand l’ouverture de la ligne Paris-Chartres donne un avantage décisif à Rambouillet.

Mais le charme de la région opère toujours, et Saint-Léger a su bénéficier de la vague de villégiature tout en préservant sa richesse patrimoniale.

Et si les touristes ne peuvent pas visiter les ruines des châteaux, du moins peuvent-ils profiter de la beauté des paysages léodégariens et de l’hospitalité du Chêne Pendragon (anciennement « Gros-Billot »).

Christian Rouet
février 2023

PS : Il faut signaler qu’un quatrième château a été construit, sur le plateau, un peu au nord des « châteaux d’en haut » par Monsieur Vassal au XIXème siècle.

Propriété privée, il ne se visite pas.

Les arbres du parc ont poussé et nous cachent maintenant le château, dont nous ne voyons plus aujourd’hui que la grille d’entrée, au croisement de la route de Montfort avec la route de Gambaiseuil.

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