Le quartier Beausoleil
Les habitants du quartier Beausoleil de Rambouillet (écrit parfois Beau-Soleil) se plaignent souvent de la lenteur des travaux de voirie et de la gêne qui en résulte pour eux. Un siècle plus tôt il se seraient plaints aussi de leur coût, car s’agissant à l’origine d’un lotissement, l’entretien de la voirie aurait été à leur charge.
C’est la naissance de ce quartier que je voudrais résumer ici, en feuilletant les journaux locaux du siècle dernier.
Le lotissement Beau Soleil
Un rappel préalable : la ville de Rambouillet s’est développée d’abord le long du grand chemin de Chartres à Paris. Cette voie très ancienne empruntait la vallée de la Drouette puis celle de la Guéville. Arrivés sur la place de la Foire (place Félix Faure), les lourds chariots ne pouvaient grimper sur le plateau, et la rue le contournait donc (actuelles rue de Gaulle, et rue de la Motte).
Dans un second temps la ville a occupé le flanc du coteau, puis, comme il ne restait plus d’espace disponible, la municipalité a fait le choix visionnaire de transférer sur le plateau l’église, les écoles, la prison et le tribunal, la poste… L’arrivée du train, en 1849, et le choix d’installer à son emplacement actuel son premier embarcadère, ont été déterminants dans son développement.
Progressivement toutes les terres agricoles situées entre Rambouillet et les hameaux voisins de Grenonvilliers, Groussay et la Louvière ont ainsi été bâties, dessinant nos nouveaux quartiers.
Entre la rue Sadi-Carnot et la voie ferrée les terres des Fourneaux (la partie ouest) sont restées longtemps à vocation agricole. C’était aussi le cas de la partie Est (prise sur la Mare Hubert, au nord et la mare Bigot au sud) qui prendra en 1926 le nom de Beau Soleil.
Le type d’habitat, dans une ville comme Rambouillet, est lié à la maîtrise du foncier. Là où la ville a pu se l’approprier, se sont construits des logements sociaux, comme à Groussay, ou à la Louvière. Là où les transactions se sont faites de gré à gré, se sont construites de belles demeures bourgeoises sur des terrains assez grands pour être divisés aujourd’hui.
Quant aux zones des Fourneaux et de Beau Soleil, elles ont fait l’objet d’un vaste programme de lotissement, le plus grand avant celui de la Clairière
Les lotissements (division d’un terrain en lots constructibles vendus à plusieurs acquéreurs différents) se sont multipliés à la fin du XIXème siècle, dans la plus grande anarchie. Ce sont les lois de mars 1919, renforcées en juillet 1924, qui leur ont donné un cadre juridique moderne. Sans trop restreindre la liberté du lotisseur, pour qu’il continue à entreprendre, ces lois ont permis aux communes de s’assurer que ces lotissements s’intègrent bien dans leur développement harmonieux, et tiennent compte des possibilités de leurs équipements publics.
Le 26 mars 1926, le projet d’un lotissement dit « Rambouillet-gare » est approuvé. Il comprend 520 parcelles de 400m2 minimum, et dès la viabilisation terminée, une première tranche est mise en vente. Des affiches sont placardées, notamment dans les gares de la ligne Paris-Chartres. Une publicité est imprimée au dos des billets de la tombola de la Fête du Muguet… et naturellement, des articles sont régulièrement publiés dans les journaux locaux et parisiens. Ils insistent tous sur l’image flatteuse de Rambouillet, « ville présidentielle »…
Le 5 juin 1926, le promoteur annonce fièrement que 110 lots ont été vendus en un mois.
Le 9 mars 1928, plus de 450 lots ont été vendus, et « la commercialisation ne porte plus que sur une soixantaine de terrains ». Le terme de « morcellement Beau-Soleil » a remplacé dans la publicité l’appellation « Rambouillet-Gare », et l’emporte sur « les Fourneaux ».
En janvier 1931 une enquête est ouverte pour la création d’une association syndicale chargée de l’entretien des voies du lotissement, et le 18 juin elle est approuvée par arrêté préfectoral. A cette époque, une pétition circule parmi les propriétaires qui estiment que le lotisseur a livré des « rues et avenues incomplètement terminées ». Le 20 mars ils sont appelés à se grouper pour se défendre « contre toutes les injustices scandaleuses dont ils sont victimes ». Des accords amiables sont finalement trouvés avec le promoteur.
A la rubrique sportive, les journaux locaux citent souvent l’association du « Tennis Beausoleil » : son équipe s’entraine sur le court de la rue Montorgueil. C’est à peu près la seule vie associative de ce quartier encore très peu peuplé, et qui ne comprend ni commerces, ni équipements de loisirs.
Un compte rendu du conseil municipal du 16 juillet 1938 nous apprend que monsieur Lecouteur, adjudicataire de l’enlèvement des ordures, facture 5000 francs/an à la ville pour passer deux fois par semaine dans le quartier Beausoleil.
Chaque année la ville calcule les taxes dont est redevable le lotissement; le syndicat lui communique la liste de ses adhérents, et la ville effectue une répartition individuelle. Le conseil municipal se plaint souvent de la difficulté de récupérer les taxes : aux litiges portant sur les sommes globales réclamées par la ville, s’ajoutent les litiges internes au syndicat !
Le 10 mars 1939, un an après avoir commencé à l’envisager, la mairie accepte de prendre en gérance l’administration du lotissement, pour une période de 10 ans. « Un chapitre spécial figurera au budget communal, s’élevant approximativement à une vingtaine de mille francs. Ce crédit provenant en partie de la taxe de 0 fr 10 par mètre carré versée par les membres du syndicat suffirait à assurer l’entretien de ce quartier, qui, dans un avenir plus ou moins éloigné reviendrait sans doute à la ville. » (rapporteur Hebert)
Il est convenu qu’à partir de ce jour, « le Lotissement Beau-Soleil cessera de s’appeler Lotissement pour se nommer le « Quartier Beausoleil ». Un panneau en bois portant cette appellation est alors fixé à l’entrée du lotissement (sans doute à l’angle de la rue Sadi-Carnot).
L’étape suivante est franchie le 27 septembre 1940 quand le lotissement devient un quartier de la ville. Le changement n’a pas de véritable conséquences, si ce n’est que « cette mesure fait disparaître des taxes spécifiques à ce lotissement, toujours difficiles à recouvrer… » (le rapporteur au conseil).
Le 14 février 1941 deux hectares non constructibles deviennent des jardins ouvriers, et le 22 août, la préfecture alloue 120 subventions de 150fr à chacune des familles qui les ont défrichés.
Cependant, si les terrains se vendent de façon satisfaisante, très peu de terrains sont bâtis durant les dix premières années : à peine 10% à la veille de la guerre.
Le 31 octobre 1941 le conseil municipal constate qu’un investissement de 100 000fr serait nécessaire pour mettre l’ensemble du quartier Beau-Soleil à l’abri des inondations qui se produisent trop souvent. Mais il est constaté que la commune ne peut pas financer un tel projet.
Les habitants de Beausoleil (on l’écrit maintenant en un seul mot) sont-ils satisfaits d’être devenus des Rambolitains à part entière ? Il semblerait que les avis divergent. En témoigne cet habitant (l’un des premiers occupants du lotissement) qui estime que la ville ne veille pas assez au bon état général de la voirie :
« Depuis que les terrains incultes ont été transformés en jardins, c’est le désordre, et cela même devant la plus grande partie des propriétés habitées. Il n’y a, à vraiment parler, plus de trottoirs. Chacun a déposé à sa guise des pierres et détritus. On ne voit plus que des talus durcis, agrémentés de vieilles boîtes à conserves, débris d’autos de 1940, et verres cassés. L’aspect général est celui d’une zone.»( Progrès de Rambouillet 21 mai 1943)
A la vieille de la guerre, il n’y a encore que 70 maisons construites dans ce quartier. Sur une photo aérienne de Henrard, prise en 1951, on voit que l’habitat du lotissement est encore très dispersé.
Mais après la guerre, pour répondre aux besoins en logement, et profiter de l’essor économique des « trente glorieuses », les constructions se multiplient.
En 1826, la ville avait subordonné son autorisation de lotir au respect d’un style « villégiature » qu’elle cherchait à associer à l’image de Rambouillet. Les maisons devaient donc être construites en pierres meulières et en briques.
Les maisons les plus anciennes de Beausoleil respectent ce cahier des charges.
Or, après-guerre, pour faciliter les constructions, la mairie avait renoncé à cette obligation, et le quartier est donc sans doute celui où l’habitat de maisons individuelles est le plus diversifié. Des maisons à faux colombage voisinent donc avec des des villas modernes, quelques maisons d’architecte et de nombreux pavillons des années soixante.
« Ceux-ci sont aisément identifiables : garage, cave et chaufferie en sous-sol, pièces à vivre en étage. Les murs élevés en béton, moellons, briques ou parpaings sont recouverts d’un enduit ou d’un parement de pierres au niveau du soubassement; les toits à quatre pentes sont recouverts de tuiles. L’utilisation de matériaux industriels (plastiques, contreplaqués…) y prend une place de plus en plus importante. Les menuiseries préfabriquées permettent ainsi d’installer des fenêtres en toiture sans travail complexe de la charpente, rendant les combles habitables. »(relevé sur un panneau explicatif installé par la ville).
Il en résulte aujourd’hui un manque d’homogénéité certain, mais qui ne nuit pas au charme de ce quartier pavillonnaire.
Une série de « stop » et de chicanes rue madame de Maintenon, et de sens uniques dans les rues adjacentes dissuadent aujourd’hui les automobilistes d’emprunter ces voies s’ils n’y sont pas obligés. Les riverains jouissent donc d’une certaine tranquillité, malgré l’ouverture, à sa limite nord, (dans les locaux autrefois construits pour la société Universal Rasoir) du collège Saint Jean Bosco et de l’école Jacinthe et François.
Gageons cependant que, si le projet d’un nouvel hôpital voit effectivement le jour, à l’emplacement de Smartcity, la vie du quartier va se trouver profondément modifiée -ne serait-ce que durant les travaux!
Christian Rouet
octobre 2024