Saint-Rémy-des-Landes
Rien n’évoque plus l’abbaye de Saint-Rémy-abandonnée en 1770, cependant le château, construit en 1830 sur son emplacement a conservé son patronyme.
On l’atteint, venant de Rambouillet en prenant la route de Paincourt, avant d’entrer dans Clairefontaines, puis la route de Saint-Rémy-des-Landes, en direction de la Hunière et Sonchamp.
C’est une propriété privée. Son propriétaire n’a pas besoin de l’ouvrir à des visiteurs pour en couvrir les dépenses d’entretien : il s’agit de M. Bernard Arnault.
Le château est dans un très beau parc, agrémenté de pièces d’eau, et son potager figure à l’inventaire des jardins remarquables. Il semble que les chemins publics qui traversaient la propriété ne le soient plus. Qui s’en étonnerait ?
Cependant, c’est seulement de l’abbaye que je voudrais vous parler aujourd’hui : s’il n’en reste rien sur place, son renom fut grand durant plus de six siècles.
Saint-Arnoul
« Courbe-toi, fier Sicambre ». Le 25 décembre 499, lorsqu’il baptise Clovis, roi des Francs, à Reims, l’évêque Rémi peut se féliciter de ses efforts : la religion chrétienne l’emporte définitivement sur le paganisme. A 45 ans Rémi se retrouve doyen de tout l’épiscopat français, et conseiller influent de Clovis jusqu’au décès de celui-ci, en 511.
Arnoul est le fils d’une riche famille de la région de Reims, restée stérile jusqu’à ce que Rémi eut béni leur conversion. Il est confié très jeune à l’évêque, son parrain. Rémi se charge de son éducation, et l’introduit à la cour de Clovis pour en faire l’un des jeunes conseillers du roi.
C’est également Rémi qui arrange son mariage avec Scaliberge, une nièce de Clovis, et célèbre la cérémonie. Les deux époux prononcent en même temps leurs voeux mutuels de chasteté : encore vierges, ils s’engagent tous deux à le rester durant toute leur vie.
Clovis dote princièrement sa nièce, et donne à Arnoul le comté de Reims.
Durant plusieurs années Arnoul accomplit de nombreux pèlerinages et voyages –sans doute chargé de missions diplomatiques pour l’Eglise – en Terre Sainte, à Rome, Constantinople, Ravenne…
De retour à Reims, il est ordonné prêtre et exorciste par Rémi. En 521 il est nommé évêque de Tours, mais abandonne très vite cette charge pour reprendre ses voyages et combattre l’hérésie arianiste (les arianistes niaient la consubstantialité, professant que Jésus, fils de Dieu, lui était inférieur).
Il voyage en Espagne, où la légende raconte qu’il terrasse un dragon et accomplit quelques miracles : guérisons, exorcismes… la routine des saints.
En janvier 533 Rémi décède et il est enterré à Reims. Lorsqu’il apprend la nouvelle Arnoul regagne son comté, mais ceci lui prend plusieurs années.
Son épouse Scaliberge, et des membres de son clan ont assuré la direction du comté en son absence. Arnoul réside à Reims durant plusieurs mois, se rendant régulièrement sur le tombeau de son protecteur, et c’est là qu’il est assassiné par des membres du clan de son épouse, dérangés par son retour (les historiographes de saint Arnoul se sont interrogés sur la participation de celle-ci à ce meurtre, mais ils ont fini par l’en disculper. Ouf !).
Arnoul a la force, avec de mourir, de demander à être enterré à Tours, auprès du tombeau de Saint-Martin, privilège réservé aux évêques de Tours.
Le voyage
Un convoi chargé du sarcophage d’Arnoul quitte donc Reims, sous la conduite de Scaliberge. Il traverse Meaux, Créteil, Corbeil-Essonnes. Il arrive ainsi au bord de la Rémarde, au pied de l’actuelle commune de Rochefort-en-Yvelines.
Là, les chiens du comte Dordingus, seigneur de Dourdan, qui poursuivaient un cerf, sont arrêtés « par la main de Dieu » lorsque l’animal vient se réfugier au pied du sarcophage d’Arnoul.
Le jour suivant, quand le cortège veut reprendre la route, les boeufs qui tirent le chariot refusent de bouger. Dordingus voit dans ces deux signes la volonté de Dieu, et il fait don de ses terres pour qu’y soit enterré Arnoul.
Il existe une autre version qui explique l’arrêt du convoi en cet endroit, situé en limite du pays Carnute. Scaliberge aurait tout simplement refusé de payer le droit de péage qui lui était réclamé pour continuer sa route vers Chartres. Il est vrai que c’est à cet endroit que des milliers d’automobilistes s’acquittent aujourd’hui du péage de Saint-Arnoult, preuve, si cette version était exacte, que l’exemple de Scaliberge n’a pas été assez suivi.
Quoi qu’il en soit, le corps d’Arnoul est donc déposé dans un petit oratoire qui deviendra plus tard la crypte de l’actuelle église de Saint-Arnoult-en-Yvelines. Il y aurait beaucoup à raconter sur Saint-Arnoul (qui deviendra Arnoult) ses miracles, sa canonisation, la grande popularité dont il bénéficie après sa mort, en 935 le vol de ses reliques apportées à l’abbaye de Crépy-en-Valois etc… Mais ce n’est pas le sujet de cet article.
Scaliberge continue son voyage jusqu’à Tours, pour expliquer aux chanoines qui attendaient le cortège pourquoi ils ne le recevront pas, et leur promet des reliques en compensation.
Elle revient ensuite auprès du tombeau de son époux, pour embrasser la vie religieuse, et vivre en solitaire dans un petit domaine, dans les landes, à 6km du tombeau. Elle lui donne le nom de Saint-Rémi-des-Landes (ou Saint-Rémy-des-Landes) en souvenir du parrain d’Arnoul.
A la mort de Scaliberge, son corps est ramené dans la crypte de Saint-Arnoul et déposé au côté de son époux.
L’abbaye royale de Saint-Rémy-des-Landes
A l’endroit où Scaliberge a fini ses jours au VIème siècle, près du tombeau d’Arnoul qui a été canonisé et où se pressent désormais les pèlerins, des moniales érigent un monastère sur des terres qui appartiennent à l’abbaye de Fleury (Saint-Benoit-sur-Loire). L’existence de cette communauté n’est cependant avérée qu’à partir du XIIème siècle.
En 1160, à la demande de Robert II, évêque de Chartres, l’abbé de Fleury lui fait don de ces terres et consacre l’abbaye qui reçoit le titre d’abbaye royale de Saint-Rémy-des-Landes, parce que Scaliberge, dont se réclament les soeurs, était nièce de roi de France. En 1666, le comte Simon III de Montfort leur concède 70 hectares de bois.
Avec les abbayes des Moulineaux à Poigny, des Vaux-de-Cernay, de Clairefontaines, l’abbaye de Saint-Rémy-des-Landes est un acteur important dans l’essartage intensif de la lisière sud de la forêt d’Yvelines.
Les religieuses suivent la règle de Saint-Benoit. Vingt-deux abbesses se succèdent à la tête de l’abbaye, depuis Catherine confirmée en 1179 par une bulle du pape Alexandre III, jusqu’à Mme du Portal. Parmi elles, la plus illustre fut sans doute, vers 1710, Madeleine du Plessis de Richelieu, proche parente du cardinal.
L’abbaye bénéficie pendant plusieurs siècles de riches protecteurs, et acquiert une grande renommée.
Le curé Guillou des Essarts-le-Roi, publie son « Oraison funèbre de feu monseigneur le Dauphin prononcée le 27 février 1766 en la chapelle de l’abbaye royale de Saint-Rémy-des-Landes » qui lui assure une certaine notoriété.
Une tradition locale affirme que les moines de l’abbaye des Vaux-de-Cernay avaient creusé un souterrain leur permettant de venir visiter discrètement les soeurs de Saint-Rémy-des-Landes, mais il ne s’agit naturellement que d’une rumeur sans fondement, qu’au surplus la nature du terrain tourbeux rend peu vraisemblable.
En 1766, Louis XV institue une Commission des Réguliers, chargée d’examiner la situation financière des établissements monastiques, et de supprimer ceux dont les ressources sont insuffisantes pour couvrir leurs besoins. Entre 1770 et 1780, neuf ordres ou congrégations sont dissous, et 426 abbayes ou prieurés définitivement fermés.
C’est ainsi qu’en 1770, la Commission ayant décidé la dissolution de l’ordre de Grandmont, l’abbaye de Saint-Rémy-des-Landes hérite d’une partie des biens de son prieuré de Louye (les Granges-le-Roi, en Essonne). En 1774 la communauté de Saint-Rémy se déplace donc dans les bâtiments conventuels de Louye, plus grands, qui avaient accueilli durant six siècles les « bonhommes grandmontains ». Les constructions de Saint-Rémy sont d’abord transformées en ferme, puis en maison de plaisance. Une terrasse vient recouvrir le cimetière de l’abbaye.
Au XVIIIème siècle l’abbaye sert également de prison pour femmes : c’est l’époque heureuse où une lettre de cachet permet à un mari d’y envoyer sa femme, ou un père, une fille rétive à sa volonté…
La princesse de Rohan y est emprisonnée en 1779 avant son exil.
L’abbaye est fermée sous la Révolution. Ses bâtiments de Louye sont mis en vente, de même que la ferme et la métairie qui avaient remplacé le monastère de Saint-Rémy-des-Landes.
La dernière abbesse, madame du Portal, arrêtée dans une maison de Dourdan où elle se cachait, est guillotinée le 27 juin 1794, pour avoir entretenu une correspondance avec la princesse de Rohan exilée en Bavière.
Notre-Dame de Louye
En 1792 l’abbaye échappe de peu à une démolition totale, et ses propriétaires successifs la transforment en château de l’Ouye.
En 1908 un particulier, M. Parmentier, en devient propriétaire et consacre sa vie et sa fortune à le restaurer. Des bâtiments conventuels, il ne subsiste alors que la chapelle, qu’il rend au culte, et des vestiges du cloître.
Il décède en 1941.
En 1945 les Ursulines rachètent le domaine grâce aux indemnités pour dommages de guerre qu’elles ont reçues, et en font une résidence d’été, qui reçoit notamment des groupes de prière. Mais, faute de vocations, la communauté des Ursulines doit l’abandonner en 2012.
En mai 2015, après plusieurs projets restés sans suite, c’est le diocèse de Paris qui l’acquiert et en fait le centre d’accueil pour les jeunes, agrandi de bâtiments modernes, qui fonctionne en 2023, sous le nom de abbaye Notre-Dame de l’Ouye.
En 1639 les bénédictines de Saint-Rémy-des-Landes avaient dressé un « inventaire général des papiers, titres et contrats » du monastère, aujourd’hui déposé aux Archives départementales. Elles y rappelaient fièrement que leur abbaye avait été fondée en 512 « par très illustre et très haute princesse madame Scaliberge, nièce du roi Clovis 1er, et espouze de saint Arnoul, dont la vie s’est enfin couronnée des lauriers d’une canonisation légitime ».
Cependant cet inventaire ne contient aucune pièce antérieure à 1166 qui relierait de façon sûre leur communauté à Scaliberge. De nombreux historiens sont encore plus sceptiques, et mettent en doute l’existence même de Scaliberge, qui n’est mentionnée que dans des légendes apocryphes de la vie de saint-Arnoult.
Mais où va-t-on, si l’Histoire se permet de juger de la véracité de nos légendes ?
Christian Rouet
Décembre 2023
Scalibege ou Scariberge, c’est cette dernière orthographe qui figure sur les différents documents du Net et sur la carte IGN (carrefour de la fontaine Ste Scariberge, 2 kms Est de Clairefontaine).
Ceci dit, exposé passionnant qui nous relie à la légende de Saint-Arnoul(t), à l’histoire de l’abbaye de Louye et indirectement à celle de notre prieuré des Moulineaux.
Merci et meilleurs voeux pour l’année qui commence. Qu’elle nous apporte autant de communications de votre part, toujours aussi enrichissantes.