Vagabonds et gens du voyage...

Dans un pays rural, composé de villages, hameaux, bourgs, où tous se connaissent, l’étranger n’est pas souvent bien accueilli. Et dans les temps féodaux l’étranger commence de l’autre côté de la rivière. 

Si le pèlerin bénéficie d’un préjugé favorable, le vagabond inspire depuis toujours crainte et méfiance. Certes, beaucoup parcourent la région pour trouver un travail, mais d’autres (ou parfois les mêmes) se livrent à la mendicité. Or, entre mendier et se servir soi-même, il n’y a qu’un pas, que l’on imagine vite franchi.

Une ordonnance prise en France en 1351 par Jean II le Bon opère déjà une distinction entre les mendiants qu’une infirmité empêche de travailler, et qu’il est donc licite (et charitable) d’aider, et les mendiants valides qui cherchent à vivre aux dépends de la collectivité. « Que ceux qui voudraient y donner l’aumône n’en donnent à nul gens sain de corps et de membre qui puisse besogne faire dont ils puissent gagner leur vie, mais les donnent à gens contrefaiz, aveugles, impotents et autres misérables personnes. »

Les mendiants bien portants sont criminalisés dès le XIVème siècle, et en 1473 le Parlement de Paris établit une hiérarchie de peines allant de la marque au fer rouge jusqu’au bannissement. Les cours des miracles se peuplent donc de faux infirmes, « égout d’où s’échappait chaque matin, et où revenait croupir chaque nuit ce ruisseau de vices, de mendicité et de vagabondage toujours débordé dans les rues des capitales ; ruche monstrueuse où rentraient le soir avec leur butin tous les frelons de l’ordre social » (Victor Hugo, Notre-Dame de Paris).

Dès le XVIème siècle, l’accroissement de la pauvreté amène le pouvoir royal à intervenir pour réduire le nombre de chemineaux, trimards ou trimardeurs. Des « ateliers de charité » ou des « maisons du travail » sont créés et se développent au XVIIIème siècle, notamment à l’initiative de Turgot, afin de leur procurer un travail, assorti d’un minimum de revenu.

Mendiants, vagabonds et prostituées qui refusent d’y travailler sont internés dans des asiles publics, sortes de maisons de redressement ou de prisons, placées sous le contrôle de l’Hôpital Général, bien que non médicalisées.

Stevens, Alfred
1823–1906.
“Ce qu’on s’appelle le vagabondage” (Les Chasseurs de Vincennes”, um 1854/55. (Festnahme einer obdachlosen Mutter).
Öl auf Leinwand, 130 × 165 cm.
Inv. 20847
Paris, Musée d’Orsay.

En 1701 Louis XIV décrète le «  bannissement des gens sans aveu et vagabonds hors de Paris ».

Sous la Régence les « gens sans aveu et vagabonds » sont déportés. L’objectif est double : se débarrasser de personnes indésirables, tout en renforçant le peuplement des colonies :

« Mais le besoin que nous avons de faire passer les habitants dans nos colonies nous a fait regarder comme un grand bien pour notre état de permettre à nos juges au lieu de condamner les dits vagabonds aux galères, d’ordonner qu’ils seraient transportés dans nos colonies comme engagés pour y travailler aux ouvrages auxquels ils seraient aptes… »

Le Code pénal promulgué par Napoléon Bonaparte le 3 juin 1810 définit à son tour le vagabondage :

« Les vagabonds ou gens sans aveu sont ceux qui n’ont ni domicile certain, ni moyens de subsistance, et qui n’exercent habituellement ni métier, ni profession »

Cette loi fait du vagabondage un délit : « Les vagabonds ou gens sans aveu qui auront été légalement déclarés tels seront, pour ce seul fait, punis de trois à six mois d’emprisonnement ».

« Sans aveu » ? L’expression désigne celui qui est inconnu dans l’endroit où il se trouve, qui ne possède aucun passeport ou autre certificat d’identité ou de bonnes mœurs, et ne peut pas se faire « avouer », c’est-à-dire reconnaître par quelqu’un d’honorable.

Au début du XXème siècle, le délit de vagabondage est l’un de ceux que le tribunal correctionnel de Rambouillet rencontre le plus souvent (avec le braconnage et les désordres causés par l’ivresse ).

Beaucoup d’accusés sont des récidivistes. Ils sont rarement arrêtés sur plainte, mais presque toujours à l’occasion de contrôles : un étranger passe rarement inaperçu ! Les peines prononcées vont d’une semaine à six mois de réclusion.

Si à partir de 1851 l’assistance judiciaire permet aux indigents d’être défendus pénalement, ce n’est pas le cas en correctionnelle, et par ailleurs, les cas sont faciles à juger : le juge vérifie les trois conditions prévues par la loi ( « ni domicile certain, ni moyens de subsistance, et qui n’exercent habituellement ni métier, ni profession »), et sa sentence ne dépend que des antécédents, et de l’attitude du prévenu.

Les journaux de l’époque relatent chaque semaine des cas de ce genre :

 

Cette législation restera en vigueur en France jusqu’au nouveau code pénal de 1994.

Les gens du voyage :

Les Tsiganes, dont les premiers représentants sont arrivés en France au début du XVème siècle, et qui étaient bien accueillis encore au XVIème siècle, ont été progressivement assimilés à des vagabonds et leur situation s’est dégradée au fil des siècles.

13 décembre 1902

Leur sort s’est toutefois amélioré avec le code Napoléon, qui ne les vise pas, dans sa définition du vagabondage. Mais pour autant, il restent mal accueillis par la population des villages qu’ils traversent.

S’agit-il de Tziganes, de Gitans, de Bohémiens, de Manouches, de Romanichels ? Qu’importent les nuances : les Roms ne sont pas les bienvenus! Les portes claquent au nez des vendeuses de paniers, ou à celui des enfants qui mendient. Après leur passage, l’oie ou la dinde qui semble manquer dans le poulailler, le porte monnaie égaré, le malade dont l’état s’est subitement aggravé : tous les maux leur sont imputés.

Pour contrôler leur identité, en 1912 une loi spécifique impose aux « gens du voyage » un carnet anthropométrique, neuf ans avant l’instauration de la carte d’identité pour les citoyens français.

Et une loi du 3 janvier 1969 imposera plus tard aux « citoyens français non-sédentaires » la tenue d’un carnet de circulation qui ne sera supprimé que le 22 décembre 2016.

Enfin, les lois Besson de 1990 et 2000, et les nombreux textes qui les complèteront imposeront aux municipalités la mise à disposition « d’aires permanentes d’accueil », mais leur application sera source de litiges perpétuels.

Les forains :

Les commerçants forains ne sont pas non plus vagabonds puisqu’ils exercent un métier.

Leur nom de forain ne vient pas de foire (feria), même s’ils s’installent souvent sur le champ de foire, mais de fors : qui est dehors par opposition aux commerces intra muros.

Autrefois le passage du colporteur était même l’un des évènements heureux qui venait rompre la monotonie des jours de travail, apportant produits introuvables localement et informations précieuses dans les campagnes les plus reculées.

Ici aussi, tout est question de mesure : les forains qui viennent assurer le succès de la Saint-Lubin, ou de la Fête du Muguet, sont, assurément les bienvenus.

Mais leur installation en dehors des dates et des lieux prévus crée naturellement une gêne, en matière de circulation d’abord, mais aussi en concurrençant les commerces qui ont « pignon sur rue ». Les municipalités ont donc la délicate responsabilité de réprimer les abus, tout en permettant aux forains sérieux de venir compléter les ressources commerciales et l’animation que la ville propose de façon permanente.

En témoigne l’arrêté suivant, pris par le maire Gautherin le 19 août 1899.

Les français n’auraient-ils pas le sens de l’hospitalité et de l’entraide ?

Oh si ! et ils l’ont souvent prouvé. Mais elles s’appliquent d’abord à la famille, aux proches, aux voisins, à leurs semblables ou à ceux qui veulent leur ressembler.

Et les clochards ?

Le soir, à Paris, quand la cloche des Halles annonçait la fermeture du marché, ils se précipitaient sur les restes de victuailles, héritant ainsi du surnom de clochards.

Chaque ville en a. Mais s’ils sont en marge de la communauté, les clochards en font tout de même partie. Leur silhouette devient vite familière, voire sympathique aux habitants du quartier.

« A Rambouillet, dans les années 80, vous vous souvenez de … mais comment s’appelait-il déjà ?. Un grand, fort, toujours dans un grand manteau dont il relevait le col en hiver. Il marchait à tous petits pas et vendait selon la saison, du muguet, ou des champignons… Vous ne vous souvenez-pas ?
Ah non, pas celui qui était toujours assis devant le Monoprix : lui c’était bien plus tard.

« la crevette », un tableau du peintre Janvier

Et ‘la crevette’ ? Mais si ! Cette jeune femme sans âge, au look moderne qui remontait ses cheveux dans un grand bandeau. Elle dormait dans sa voiture. Le peintre Janvier l’a peinte. »

Un jour on se rend compte qu’on ne l’a pas vu depuis plusieurs semaines, et en se renseignant, on apprend que le clochard est mort. Alors, pendant quelques instants on se dit que « la ville aurait du faire quelque chose », mais on nous répond qu’il n’y avait rien à faire, parce que ces gens-là ne veulent pas vivre autrement. Et on y croit. Et sans doute n’est-ce pas faux, même si la réalité n’est jamais aussi simple…

Mais un groupe de SDF qui squatte un passage public voilà qui est beaucoup plus dérangeant.

« Et pourquoi ont-ils des chiens ? Vous croyez que c’est pour inspirer plus de sympathie ? Peut-être ont-ils besoin d’avoir quelqu’un à aimer. Quelqu’un qui ait besoin d’eux. Oui, même un chien ! »

On en a pas peur, mais on change quand même de trottoir.

« L’important c’est qu’ils ne soient pas trop nombreux. C’est comme pour les migrants : vous vous rendez-compte, si jamais on les accueillait trop bien ? Vous savez : ils se passent les informations, et demain on en verrait arriver des milliers… »

Comme l’écrivait déjà J.J.Rousseau, dans Emile : « C’est l’affluence des hôtes qui détruit l’hospitalité. »  

Et aujourd’hui comme depuis des siècles, les populations sédentaires ou nomades se croisent, se supportent, se confrontent. Les législations évoluent, avec leurs décrets qui ne sont pas toujours appliqués, des moyens qui ne sont pas toujours adaptés. Beaucoup de bonnes volontés.

Les migrants

Dans une Europe où la guerre enflamme tour à tour chacun des pays, et où famines, et crises économiques poussent sans cesse des familles à aller chercher, hors de leur pays, la sécurité et la survie – à défaut de richesse – les migrants sont plus ou moins bien accueillis, et s’intègrent plus ou moins vite.

assassinat du Pdt Carnot

Cet article, paru lors de l’assassinat du Président Carnot le 24 juin 1894 par l’anarchiste italien Sante Geronimo Caserio, rappelle que les italiens n’ont pas été partout ni toujours les bienvenus.

Et dans les années 30, avec la crise économique et le chômage qui touche la France, quelques années après les USA, nombreux sont les politiques à demander le départ des travailleurs étrangers, afin de libérer les emplois pour la main d’oeuvre française. C’est ainsi que le Conseil départemental de Seine-et-Oise émet ce voeu, le 2 novembre 1934

10 juin 1938

« considérant que trop d’étrangers travaillent en France, alors que le chômage sévit de plus en plus pour les travailleurs français,
Émet le voeu que le Gouvernement renvoie dans leurs pays respectifs le plus grand nombre possible de travailleurs étrangers »

Oui, décidément, l’équilibre est difficile à réussir entre des populations aux aspirations et au mode de vie si différentes. Entre ceux qui passent et ceux qui restent.

Mais là où cet équilibre est réussi, sans qu’on puisse bien expliquer ni pourquoi, ni comment, on réalise soudain qu’il est enrichissant et qu’il y fait bon vivre.

Christian Rouet

août 2020- complété août 2021

Cette publication a un commentaire

  1. Eric THIBAUT

    Excellent article. J’aime particulièrement la conclusion.

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