Les bornes armoriées de la forêt de Rambouillet

Le massif forestier de Rambouillet s’étale sur 22 000 hectares dont 14 735 en forêt domaniale. C’est un des principaux massifs forestiers d’Île-de-France. Il s’étend sur le territoire de 29 communes dont celles de Rambouillet Territoire.

C’est à l’intérieur de cette grande forêt que se cachent de nombreux trésors souvent méconnus du grand public.

Parmi les essences qui couvrent le massif, les promeneurs croiseront le plus souvent les grands chênes dont certains sont multi-centenaires. Ceux-ci sont assez facilement localisables car ils sont bien répertoriés sur les cartes I.G.N. Il est donc facile de pouvoir les admirer lors de vos promenades.

Il n’en est pas de même pour un autre trésor caché « les bornes armoriées » disséminées ça et là dans toute la forêt. Nous n’allons pas vous mentir, pour les trouver, il vous faudra être un peu tenace ! Vous devrez parfois vous frayer un chemin dans les broussailles, écarter les ronces et marcher dans la boue…
Si certaines de ces bornes en pierre ne sont pas facilement accessibles, il n’en reste pas moins qu’elles sont exceptionnelles.

Découvrons ensemble leur histoire, capital culturel et patrimonial de nos communes.

Nous commencerons par vous présenter l’ensemble le plus important qui se compose de plus de 50 bornes sur le territoire des communes d’Emancé, Gazeran, Orphin, Poigny-la-Forêt, Rambouillet et Saint-Hilarion. Ce réseau de bornes armoriées est le plus grand connu en France et il a fait l’objet d’études archéologiques en 1997 et en 2016.

Vous devez certainement vous poser la question : d’où proviennent ces bornes et pourquoi se trouvent-elles au beau milieu de notre belle forêt d’Yveline ?

Le réseau de bornes a été aménagé en plusieurs fois. La réalisation de ce bornage, qui forme un réseau discontinu, s’insère dans une période allant du début du 16ème au milieu du 17ème siècle.  Au Moyen Âge, le bornage revêt 2 caractères : un marquage de propriété et une inscription physique durable dans le paysage.

Ces bornes sont issues de la résolution de conflits, d’une part entre les Prunelé seigneur de Gazeran, depuis 1394, et le chapitre de Chartres qui achète en 1409 la prêtrière de la Malmaison (qui correspond pratiquement aux limites communales actuelles d’Emancé) et d’autre part avec les Silly, seigneur de Rochefort depuis 1515.

Ces rivalités puisent leurs racines dans des préoccupations d’ordre économique, liées à la gestion de l’espace forestier. Le 7 octobre 1644 une sentence royale ordonne que les bornes détruites au cours des conflits soient replacées et que les blasons y figurent à nouveau. Ce verdict est exécuté le 29 décembre de la même année, en présence des parties intéressées.

Nous constatons, aujourd’hui, une superposition quasi-systématique entre les frontières des anciennes seigneuries et celles des limites des ressorts paroissiaux fixés à la Révolution par la trame des communes. Elles ont permis le maintien de ces limites dont la fonction a évolué avec le temps.

Quelles sont les caractéristiques techniques de ces bornes ?

Elles ont été taillées dans le grès d’origine locale. Ce sont des parallélépipèdes grossièrement équarris, plantés verticalement dans le sol. Les hauteurs visibles sont remarquables : entre 0,80m et 1,74 m. Leur largeur va de 23 à 46 cm, et leur profondeur de 31 à 41 cm. La plupart des bornes sont armoriées sur 1, 2 voire 3 faces. Les blasons visibles appartiennent au chapitre de Chartres (d’azur à la chemise de la vierge d’argent) et aux Prunelé (de gueules à 6 annelets d’or posés 3, 2 et 1).

Sur l’une des bornes placées devant la mairie de St-Hilarion, les blasons apparaissent sur 3 faces. 2 autres bornes se distinguent des autres car elles ont été taillées comme un « livre ouvert ». Les 2 blasons des Prunelé gravés sur la pierre côte à côte.

Si vous souhaitez découvrir ces bornes sur le terrain, la question qui se pose est : « où trouver celles qui restent présentes aujourd’hui ? » Si certaines d’entre elles demeurent cachées dans la forêt domaniale il n’en est pas de même pour d’autres qui se trouvent actuellement sur des terrains privés plus ou moins accessibles.

Pour vous faire une première idée, venez devant les mairies d’Emancé ou de St-Hilarion. Ces bornes installées là, en décoration, ont été déplacées il y a quelques dizaines d’années. Elles ne remplissent plus leur rôle de limite de territoire mais au moins elles sont protégées.

Plus loin, entre Gazeran et Poigny-la-Forêt, les deux bornes « à livre ouvert » situées à leur emplacement initial restent assez facilement accessibles. La première se trouve sur la Route blanche, à 50 m de la D107 (du côté de Poigny-la-Forêt). Bien cachée, elle a conservé sa double armoirie des Prunelé. Pour la seconde, il faudra marcher un peu. Garez vous le long de la D 936, dans le sens Poigny/Rambouillet à 250 m du parking du carrefour D107 et D936. Par le sentier qui traverse le marais de la Cerisaie pour rejoindre la Route blanche, marchez 200 m et vous découvrirez une borne de 1,2 m de hauteur. Bien inclinée vers l’arrière, elle semble victime de récents mouvements de terrain de cette zone marécageuse.

Vous pouvez ensuite pousser vos pas vers le mur du château de Rambouillet. A 250 m de la maison forestière « Porte de Poigny » vous découvrirez dans les taillis au bord du chemin, la borne classée N° 1 par les archéologues. C’est la plus grande de tout l’ensemble. A proximité, se trouvent 3 autres bornes mais là il vous faudra chercher dans la forêt avec l’aide d’une boussole ou d’un G.P.S. Un autre groupe de 7 bornes doublement armoriées se trouve dans le bois de Batonceau, à la limite de Gazeran et d’Emancé. Malheureusement elles sont situées dans un bois privé et l’accès en est donc réglementé. Pour finir la visite, rendez-vous au sud d’Emancé, limite avec Ecrosnes. Les bornes, pas très grandes, ornées du blason « Chapitre de Chartres » demeurent au bord d’un chemin, sentinelles fidèles, elles remplissent leur rôle de limite de territoire.

La « Google-Map » créée pour illustrer cet article vous permet de repérer chacune de ces bornes, et de suivre sur le terrain le GPS de Google.

D’autres trésors se cachent encore dans notre forêt domaniale. Reprenons notre promenade pour nous diriger sur le chemin de ceinture, près du carrefour de la tête d’alouette, commune des Bréviaires.

La carte I. G. N. mentionne la présence d’une borne armoriée. D’après le guide O.N.F. de la forêt de Rambouillet, elle a été posée en 1547 et marquait la fin d’une querelle entre le domaine de la Roche-Guyon et celui de Montfort.

François Cahuzac, sur son site web consacré aux bornes, précise que les armoiries sont celles de Charles de Silly et de François de Bourbon. A partir de 1471, plusieurs procès vont opposer les différentes parties.

En 1448, Marie de la Roche-Guyon, fille et héritière de Guy VII, seigneur de la Roche-Guyon, épouse Michel, seigneur d’Estouteville et de Valmont. C’est une alliance entre deux lignages importants, celui d’Estouteville possessionné dans le Cotentin et le pays de Caux, et celui de la Roche-Guyon, possessionné dans le Vexin, le Chartrain et l’Anjou. Comme les époux s’installent à Hambye, dans le Cotentin, il relève en droit de la Coutume de Rouen, qui prévoit la séparation des biens et, pour l’épouse, la nue propriété de ses biens propres, l’usufruit et la gestion de ceux-ci étant assurés par le mari.

Guy VII de la Roche meurt en 1459 et Michel d’Estouteville met la main sur les possessions meubles et numéraires du défunt, comme le lui permet la Coutume de Rouen, mais n’assure pas l’entretien des fiefs de Marie de la Roche-Guyon. Il meurt vers 1470, et ses fils, soucieux de ne pas morceler le domaine, refusent de verser à leur mère le douaire que prévoit la Coutume de Rouen. Marie de la Roche-Guyon quitta alors Hambye pour s’installer à Auneau, dans le pays Chartrain. Elle se remarie en secondes noces avec Bertin de Silly, de moindre noblesse.

A partir de 1471, plusieurs procès vont opposer les Estouteville à leur mère, puis aux Silly. Ces procès sont compliqués par le fait que les biens normands suivent la coutume de Rouen, ceux du Vexin relèvent de la coutume de Senlis et d’autre dépendent des coutumes de Chartres et d’Angers.

Le premier est intenté en 1471 par MArie de la Roche-Guyon et Bertin de Silly afin d’obtenir la restitution des biens meubles et du numéraire des possessions de Marie de la Roche-Guyon, ainsi que du douaire. Il se termine le 13 décembre 1488, par un appointement entre les parties, par lequel les Estouteville s’engagent à restituer les titres et les biens meubles de Marie de la Roche et renoncent à la succession de la Roche, tandis que Marie de la Roche renonce à son douaire. Jacques d’Estouteville meurt l’année suivante, et Marie de la Roche en 1498.  

 En 1498, Guy d’Estouteville revient sur l’appointement de 1488 et intente une action pour obtenir sa part de l’héritage maternel. Ce n’est qu’en 1542 qu’un arrêt du Parlement de Paris met fin au procès : les parties opposées étaient alors Adrienne d’Estouteville, femme de François de Bourbon et arrière petite-fille de Marie de la Roche, et Louis de Silly, petit-fils de Marie de la Roche.

Tout n’est pas totalement fini, car le roi Henri II est obligé d’y mettre fin par lettre patente le 25 mars 1547. La borne est posée peu après. En 1936 elle est inscrite au titre des monuments historiques.

Si vous continuez vers le nord, près de St-Léger-en-Yvelines, non loin de la maison forestière des Grands Coins se trouvent 2 autres bornes armoriées. Hélas l’usure avancée des armoiries les rendent difficilement lisibles.

Pour finir l’inventaire des trésors de notre forêt, rendez-vous au nord de celle-ci, près de Montfort-l’Amaury, sur le chemin de Nogent-le-Roi à Montfort. Vous trouverez une succession de petites bornes ornées d’une fleur de lys, symbole de la royauté. Ces bornes sont la trace des anciens propriétaires, les rois de France, qui venaient chasser dans cette grande forêt. Elles délimitaient le domaine royal.

Comment protéger aujourd’hui ce magnifique ensemble de bornes armoriées?

Les différentes campagnes de prospection des archéologues ont mis en évidence cet ensemble de bornes qui est le témoin de notre passé historique local. Un tel corpus (56 individus) est exceptionnel. Il faut malheureusement souligner qu’entre les premières prospections des années 1995/1997 et celles de 2014, 8 bornes ont disparu du fait de l’activité humaine et agricole ou n’ont pu être retrouvées à cause de l’inaccessibilité des parcelles concernées (espaces privés récemment clôturés), ou d’un couvert végétal parfois trop dense. La majorité des bornes répertoriées ont été observées en milieu forestier (21 individus) ou en lisière de forêt (13 individus). 11 bornes ont été repérées dans des zones de friche ou de champs.

Ne nous voilons pas la face, depuis 2014, le mal qui ronge cet ensemble de bornes continue. Les recherches récentes nous font craindre le pire si nous ne réagissons pas rapidement.

Le PARR (Patrimoine et Avenir de Rambouillet et de sa Région), association dont le but est de faire connaître, protéger et valoriser le patrimoine urbain et rural de Rambouillet Territoires, s’est engagé dans la défense de ce patrimoine en danger.

Après contact avec les différents acteurs concernés, archéologues, responsables des monuments historiques, maires des communes, une demande de classement de cet ensemble de bornes armoriées a été déposée à la D.R.A.C début 2020, dans l’espoir d’un classement à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques, qui permettrait de mieux les protéger.
La suite de l’action de PARR dans ce domaine dépendra de la réponse apportée à cette demande.

René Fischer
(de l’association PARR)

17 juillet 2020 – republié 13 août 2021

 

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Pour en savoir plus :

  • Rapport de prospection archéologique, juin 2016, 169 p.  Téléchargeable ici (attention : document très volumineux)
  • un résumé très complet réalisé par les adhérents du Cyberespace communautaire de Raizeux de Rambouillet territoire.

 

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