Les barques de Rambouillet
Avez-vous loué une barque pour faire le tour des canaux du château de Rambouillet ? Ces barques vertes sont disponibles tous les jours depuis le 1er juin, et elles le resteront tous les week-ends après le mois d’août.
Longues de 4m, et larges de 1,2m, elles seraient, d’après leur exploitant, « les mêmes qui sont utilisées pour le marais poitevin » (Echo Républicain du 8 août 2023).
Je proteste énergiquement au nom de ma belle-famille poitevine !
Il est vrai que dans le marais les barques sont à fond plat, et qu’elles ont de même une extrémité large, et l’autre étroite. La ressemblance s’arrête là, car contrairement aux barques rambolitaines, c’est le côté étroit qui est à l’arrière, permettant ainsi au batelier de plonger sa pelle ou sa pigouille (sa rame ou sa perche) alternativement des deux côtés de la barque. Le côté large, à l’avant, permet d’y faire monter une vache ou un cheval car certains prés ne sont accessibles que par bateau…
Au château de Rambouillet ces barques sont disponibles depuis 2015.
« Enfin quelque chose à faire dans le parc, j’ai pu faire un tour de barque qui était très agréable avec un soleil magnifique. Le petit chalet est très discret et sa terrasse est à l’ombre, de quoi se reposer après une belle balade » commente sur Tripadvisor un touriste satisfait de leur existence.
Cependant, il ne s’agit que de la reprise (heureuse) d’une bien vieille tradition rambolitaine.
Je vous invite aujourd’hui à remonter le temps, je n’ose pas dire à ramer à contre-courant !
1930
Depuis 1895 le château de Rambouillet, choisi par Félix Faure, est une résidence présidentielle. Cependant les visiteurs peuvent toujours profiter du parc –avec les réserves liées à la présence du président, mais à une époque où la sécurité était bien moins pesante qu’aujourd’hui.

C’est ainsi que le 1er juillet 1930, la flottille des Hirondelles Rambolitaines propose des passages vers l’île des Roches, où est installée une buvette, ainsi que des locations à l’heure.
A cette époque, « dix barques élégantes se jouent sur les eaux des canaux et les animent (…) Pour vingt sous de l’heure on a une barque pour soi et sa famille : un franc de l’heure, c’est moderne et pas cher ! »
Par cher ? Non, effectivement ! Un franc 1930 correspond à 0.68€ de 2024. Or, aujourd’hui, les barques se louent 18€ de l’heure. Dirai-je que c’est l’inflation qui nous mène en bateau ?
Rappelons qu’à cette époque, si nos grands parents pouvaient ainsi canoter sur le canal, ils pouvaient aussi venir parfois patiner sur les eaux gelées !
1850
J’ai rappelé (cet article) qu’en 1850, l’Etat ne trouvait pas d’acquéreur pour le château de Rambouillet. Un entrepreneur de spectacles, M. Lefort, s’était alors porté adjudicataire pour exploiter le tourisme naissant. Le château avait été transformé en restaurant, des chambres étaient proposées aux touristes. Des visites organisées permettaient de découvrir la chambre mortuaire de François 1er et de nombreuses activités étaient proposées dans le parc : jeux, manèges, bals, concerts, feux d’artifice… Et naturellement, on pouvait y canoter, faire le tour des îles sur le grand canal, et même y accoster pour s’y promener librement.
Malheureusement, après quelques mois de succès, cet ancêtre de nos parcs d’attractions n’avait plus attiré assez de clients pour couvrir ses charges. En 1852 il avait fait faillite.
XVIIIème siècle
C’est au XVIIIème siècle qu’il nous faut remonter pour rencontrer les premières barques de Rambouillet, après celles du château de Versailles, un demi siècle avant.
Louis XIV avait la passion des fêtes, et nous avons de nombreuses descriptions de celles qu’il organisait dans le parc de Versailles, veillant personnellement à tous leurs détails.
Et naturellement le Grand Canal y tenait une place importante. Ses travaux ne furent terminés qu’en 1679 mais la flottille royale y fut installée dès 1669.

On voit sur cet éventail des navires de la flottille du roi. Au premier plan, la chaloupe de Louis XIV est munie d’un dais. Elle est suivie et précédée d’autres embarcations où ont pris place de nombreux courtisans et dignitaires, musiciens à gauche, personnels de bouche à droite présentant des mets, et sur les quais, la foule de spectateurs à pieds ou en carrosses…
Cette flottille royale était à l’image de tout ce que le Roi-Soleil avait imaginé pour Versailles. Elle n’était pas uniquement constituée de bâtiments de plaisance de type chaloupes, gondoles et canots, mais elle réunissait aussi des vaisseaux de hauts bords (marine de guerre et marchande) avec des frégates, des galères, des brigantins… : un véritable condensé de l’histoire de la Marine française.
Tous ces bâtiments avaient été commandés dans les ports de France, construits selon les règles des navires de la flotte, et acheminés jusqu’à Versailles par voie fluviale et en pièces détachées. Ils étaient capables de naviguer, mais aussi bien de se livrer à des combats maritimes pour le plaisir des spectateurs.
Le roi fit venir également des bâtiments typiques d’une région ou d’un pays donné : yachts d’Angleterre, gondoles de Venise…
Ces gondoles étaient particulièrement appréciées par le roi et la cour au point que le Grand Canal avait hérité du nom de Petite Venise.

Il y en avait quatorze, dont plusieurs d’apparat. D’autres, noires comme les gondoles traditionnelles de Venise, étaient appelées « gondoles de suite ». Certaines, comme la Grande Gondole étaient même fabriquées sur place, par des maîtres charpentiers recrutés à Venise.
Ces gondoles étaient tellement prisées que Louis XIV en voulut aussi à Marly, une fois son canal creusé. Et jusqu’à la fin du règne, en dépit des remontrances de son médecin qui redoutait des rhumatismes pour le roi, Louis XIV profita sans limites de ses gondoles.
Pour les conduire, le roi débaucha les meilleurs gondoliers de Venise. En 1689 ils étaient neuf. On sait, par les factures de Versailles, combien leurs costumes étaient soignés et coûteux : tissus de prix, brocard or et cramoisi pour les vestes, bas de soie, boutons au galon d’or…
Ces gondoles restèrent en activité à Versailles jusqu’à la Révolution.
Les Palmarin
Autrefois il n’y avait pas que les nobles qui constituaient des dynasties. Sans évoquer les bourreaux qui ne pouvaient épouser que la fille d’un autre bourreau, les artisans se formaient au sein de leur famille et se transmettaient savoir-faire, secrets professionnels et clientèle.
C’était notamment le cas des gondoliers. Louis XIV avait attiré à Versailles Benoist ORELLI, Vincent DORIA, Nicolas MANETTI, Barthélemy PANTALONIO, Mathieu SEDÉA, Pierre SÉODA, Mark TARABARA, Nicolas VIDOTTI et Antonio PALMARINI, tous descendants de plusieurs générations de gondoliers vénitiens. La plupart restèrent en France, transmettant leur charge à leurs enfants.
La famille Palmarini nous intéresse particulièrement.
Antonio Palmarini (1633 à Venise – 1711 à Versailles) est le premier de sa famille à être venu en France. Avec son épouse Catherine Gaillard, de Versailles, ils ont trois enfants qui francisent leur nom en Palmarin.
Leur ainé Jean-Dominique Palmarin (1661-1707) s’installe tout d’abord comme barbier et perruquier, puis reprend la charge de gondolier de son père en 1692, et devient même chef des gondoliers en 1694.
C’est tout à fait naturellement que l’un de ses 15 (!) enfants, Etienne (1685-1751), lui succède. Il épouse « une bourgeoise de Versailles» et ils ont à leur tour 15 enfants (il faut rappeler que la mortalité infantile était particulièrement élevée : de ces familles de 15 enfants, seuls quelques-uns ont atteint l’âge adulte).

C’est un de leurs fils, Jacques (1729-1801) qui après avoir été gondolier et charpentier dans la Petite Venise, vient à Rambouillet diriger les gondoles du duc de Penthièvre, reprises ensuite par Louis XVI lorsqu’il achète le domaine.
En effet, Rambouillet a suivi la mode de Versailles.
Il y a déjà longtemps que les douves du château féodal ont été remplacées par d’élégants canaux, qui entourent six îles : l’île aux poules, l’île aux roches, l’île du fusain, l’île du gui, l’île des festins et l’île du potager. Ce sont des prairies, de sorte que rien n’arrête le regard, jusqu’à ce que Napoléon 1er décide d’y planter 40 000 arbres, et coupe ainsi la perspective.
Pendant des années, Jacques Palmarin promène donc les hôtes du château sur les canaux. Il a épousé en 1756, à Versailles, Marie-Anne Maillard dont la dot intéressante provenait de l’héritage de ses parents et de celui de sa marraine (500 livres de rente et 2000 livres de capital). Lui-même apportait au contrat de mariage 6000 livres (1 livre = 10 euros).
Ils sont logés à proximité du château, dans la maison Saint-Martin (actuel Relais du Château –Novotel). Leur appartement comporte trois pièces, au second étage. Le maître de la poste aux chevaux est l’un de leurs voisins, ainsi que d’autres employés du roi.
Le détail de leur intérieur nous est connu par l’inventaire de leurs biens, dressé le 28 février 1787, après le décès de madame Palmarin, pour préserver les intérêts de leurs quatre enfants. La liste des bijoux, des riches toilettes, la description des meubles et des bibelots ou même simplement l’équipement de leur cuisine, avec tournebroche, gril, réchaud, fourneau, et une belle batterie de cuisine en cuivre… tout prouve l’aisance financière du couple. A l’évidence, les Palmarin faisaient alors partie des notables de la ville.
Naturellement, la chute du roi met fin au contrat de travail de Jacques Palmarin, comme à ceux des gondoliers de Versailles ou de Marly. Plus de gondoles sur les canaux de Rambouillet, et donc plus besoin de gondolier pour promener les hôtes du château.
Cependant, malgré ses états de service auprès du roi, Palmarin n’est pas inquiété par les révolutionnaires. Il conserve jusqu’à sa mort, le 17 novembre 1801, une fonction de gardien des canaux du domaine de Rambouillet, certes, moins rémunérée, mais qui lui assure néanmoins un revenu en cette époque troublée.
Aujourd’hui nous avons donc à nouveau des barques sur les canaux de Rambouillet.
Il ne reste plus qu’à espérer que des gondoles aussi élégantes que celles d’autrefois viennent nous rappeler Jacques Palmarin, le beau gondolier de Rambouillet.
Christian Rouet
juin 2025
Merci beaucoup pour tous vos articles originaux et très bien faits. Je ne manque pas de les transférer dans le groupe Saint-Hilarion et alentours au fil du temps, dont je suis l’administrateur.
Je m’occupe également d’un site (café citoyen du val Drouette) et je constate aussi une quantité de visites et de pages vues surprenantes par moments… Il faut garder la tête froide ! 😉 Avec l’IA ça ne va pas s’arranger.