Gaston Le Bourgeois, sculpteur

En 1918, le sculpteur Gaston Le Bourgeois s’installe à Rambouillet, avec son épouse Emma, et leurs deux filles Eve et Suzanne.
Il aménage la « vieille poste », où avait été transféré, depuis la place de la mairie, le relais de poste de Rambouillet, et y installe ses différents ateliers pour le travail du bois, de la pierre, son matériel, ses lieux de stockage…

Gaston a alors 38 ans. Né en 1880 à Vire, il est fils et petit-fils de sculpteur, et a choisi dès son plus jeune âge de suivre leurs traces. Il est intervenu très tôt dans des restaurations d’églises et de divers monuments historiques.

En 1901 il s’est marié et s’est installé à Paris. C’est là que sont nées ses deux filles Eve et Suzanne.

Depuis 1890, « l’Art nouveau » a privilégié les courbes, les arabesques… Guimard, Mucha, Gallé, Lalique et d’autres artistes, dans bien des disciplines, ont exalté, avec des couleurs et des matériaux précieux, une nature luxuriante où se mêlent plantes, libellules, papillons ou oiseaux, faune et flore marine… Les femmes de Mucha ou de Klimt sont idéalisées, habillées de soieries vaporeuses ou drapées dans de riches tissus.

Or, dès 1910, on assiste au retour de la rigueur : symétrie, ordres classiques, souvent très stylisés, pierre de taille, sans aucun effet pittoresque. Le décor, encore très présent, a perdu la liberté des années 1900. Il est sévèrement encadré par ses créateurs et son dessin s’inspire de la géométrisation cubiste. En réaction à ce que ses détracteurs qualifiaient « d’art nouille », l’Art déco a substitué aux courbes, les lignes droites et les angles.

Les artistes animaliers sont revenus aux fauves et animaux exotiques qui expriment la force et la puissance. Avec Rembrandt Bugatti, sculpteur animalier déjà reconnu dont il est devenu l’ami, Gaston Le Bourgeois trouve son inspiration devant les cages du Jardin des Plantes.

Les premières années à Paris ont été difficiles, mais Le Bourgeois a trouvé sa voie, et son talent s’est affirmé. Il a participé régulièrement à des salons.

Groupe de lapins se chauffant au soleil » et « Quatre lapins s’abreuvant et leur mère » – vers 1911

Le couturier Jacques Doucet, grand amateur d’art et important mécène, a découvert, au Salon des Artistes Décorateurs de 1913, ses lambris, qui mettent en scène des animaux aux contours épurés sur un fond végétal stylisé. Il lui a commandé un spectaculaire meuble à hauteur d’appui pour son hôtel de l’avenue du Bois. Le Bourgeois a eu les honneurs de la revue Art et Décoration.

les coqs

Durant la guerre de 14-18, la famille Le Bourgeois a habité à Dammartin-en-Goële (77). Un éclat de pierre a fait perdre un oeil au sculpteur, ce qui lui a valu d’être réformé. Il a créé alors « l’atelier des mutilés », puis l’usine du « Jouet de France » à Puteaux » une oeuvre de solidarité où les mutilés de guerre fabriquaient jouets et meubles en bois. Il y a rencontré le peintre-décorateur Henri Rapin, avec qui il a collaboré en 1915 pour le Pavillon de la Manufacture de Sèvres, et François Carnot, conservateur du Musée des Arts Décoratifs.

jouets créés pour l’atelier des mutilés

Après la guerre le sculpteur s’installe à Rambouillet. Le succès de l’Art déco se confirme. La notoriété de Le Bourgeois, augmente.

Il travaille pour de riches particuliers, comme le couturier Jacques Doucet; ou le soyeux Ducharne qui lui achète une sculpture de lion pour sa salle à manger créée par Ruhlmann. Il collabore avec des maisons de luxe comme Louis Vuitton, et reçoit des commandes d’Etat…

Ses meubles rompent définitivement avec toute influence d’Art nouveau. Voici, par exemple côte à côte un cabinet de Majorelle (« Art nouveau » vers 1900), et un cabinet réalisé par Le Bourgeois vers 1914.

deux cabinets : Majorelle, Art nouveau et Le Bourgeois, Art déco

Le Bourgeois intègre les animaux dans la décoration. En témoignent cette table éléphant, en bois exotique, dont il a réalisé plusieurs versions, ou encore sa table aux écureuils, en pierre et marbre.

table éléphant, et table aux écureuils

Il réalise de nombreuses sculptures animalières : animaux sauvages d’Afrique, lamas andins…

Et si la panthère l’inspire particulièrement, c’est parce qu’il a chez lui un modèle bien vivant, Bagheera, une panthère noire dont les autorités rambolitaines l’obligent bientôt à se séparer !

Toutes ses sculptures ont ces lignes très stylisées et géométriques caractéristiques de l’art déco, que l’on retrouve notamment chez son ami Bugatti, ou chez le sculpteur François Pompon. Les animaux sont denses, puissants, lourds…Gaston Le Bourgeois travaille les bois durs, la pierre, l’ivoire : et ses oeuvres sont ensuite éditées en bronze.

tête de panthère, genette et lama

Il tient sa première exposition personnelle en 1921, au Musée des Arts Décoratifs, et ses oeuvres sont remarquées à l’exposition universelle de 1925. En 1927 il réalise la décoration du hall d’entrée de la Salle Pleyel.

A Rambouillet, la famille Le Bourgeois s’est liée d’amitié avec la famille Soliveau.

Pierre et André Soliveau ont repris au 49 rue de Gaulle (actuellement 63) le magasin de meubles où leurs parents, Georges et Charlotte, avaient poursuivi avec succès l’activité du tapissier Louis Gandrille. Modernisant leur activité, ils sont décorateurs-ensembliers, et se font connaître de la clientèle parisienne sous le nom de Sol. Ils partagent avec Le Bourgeois, le goût pour l’Art déco.

En 1929, Le Bourgeois, souffrant, a besoin d’aide pour la préparation de l’exposition coloniale de 1931, pour laquelle il sculpte un éléphant grandeur nature. André Soliveau lui présente un de ses anciens condisciples de l’Ecole Boulle : le peintre Raymond Cailly (un prochain article lui sera consacré). Les deux artistes s’entendent parfaitement, et entament une longue et fructueuse collaboration, bientôt renforcée par des liens familiaux, puisque, le 23 février 1933, Raymond Cailly épouse Eve le Bourgeois, sculptrice sur ivoire.

Ils auront quatre enfants, et André Soliveau sera le témoin de mariage de Noël Cailly, leur second fils, et le parrain de Françoise Cailly, leur 4ème enfant.

En 1935 Pierre Soliveau épouse la joaillière Lucienne Lazon, créatrice de la palme d’or du festival de Cannes (lire sur le site l’article consacré à leur maison du Racinay, par son propriétaire actuel).

Et en 1936, Suzanne Le Bourgeois artiste céramiste, épouse le céramiste suisse Konstantin Grishting et le suit à Sierre, dans le Valais.

Les trois familles Soliveau, Le Bourgeois et Cailly se trouvent ainsi réunies tant par leur amitié que par leur talent.

Pendant 10 ans, Gaston le Bourgeois et Raymond Cailly travaillent ensemble à la décoration de la gare de Versailles, à la reconstruction de la cathédrale de Verdun, à l’Exposition Internationale de New-York de 1939 et à bien d’autres projets…

En 1947, une exposition organisée au Pavillon de Marsan, à Paris, réunit au catalogue la grande famille de Gaston Le Bourgeois.

Mais trois ans auparavant, le 12 octobre 1944, Eve Le Bourgeois-Cailly les a quittés.

Très affecté par la disparition de sa fille, et par les années sombres de la seconde guerre mondiale, Gaston Le Bourgois se consacre désormais à des oeuvres religieuses, tout en poursuivant ses sculptures animalières.

C’est avec Raymond Cailly qu’il réalise en 1945 la décoration de la chapelle de l’hôpital de Rambouillet : Gaston Le Bourgeois y crée notamment un superbe Christ en croix, à partir d’une défense d’éléphant, tandis que Raymond Cailly en réalise les fresques murales. Cette chapelle a bénéficié d’une restauration remarquable, en 2013, grâce à l’association PARR, et à la ténacité de sa présidente Mme Comas.

choeur de la chapelle de l’hôpital de Rambouillet

C’est ensemble également, qu’ils réalisent en 1947 le «monument américain» (Monument de la Reconnaissance et du Souvenir), élevé à la mémoire de neuf soldats américains tombés en août 1944, à l’entrée de Rambouillet.

le monument américain, avenue du Gal Leclerc Rambouillet

Gaston Le Bourgeois nous a quittés le 3 avril 1956, à l’âge de 76 ans.

Le 17 décembre 2015, le Conseil Municipal a reçu, de sa famille, le don d’une « Tête de bélier mérinos », désormais visible au Palais du Roi de Rome.

tête de bélier mérinos, Roi-de-Rome

La ville pensera peut-être un jour qu’il mériterait bien d’avoir sa rue… mais j’ai déjà relevé que nous étions assez timides sur ce plan.

Heureusement, l’association PARR a fait poser une plaque commémorative sur sa maison de « la vieille poste », aujourd’hui 2 av du Général Leclerc.

Sur internet, aucun article dans Wikipedia ne lui est consacré. Je m’aperçois qu’il n’est même pas mentionné dans la rubrique « personnalités liées à la commune » de l’article consacré à Rambouillet où certains noms surprennent pourtant par un lien … fort ténu. Je vais l’y rajouter, ainsi que Raymond Cailly, semblablement oublié.

Pas de site web pour rappeler sa vie ou son oeuvre. Là où le moteur de recherche Google propose 2620 pages lorsqu’on l’interroge sur « Gaston Le Bourgeois », il en propose 66300 pour « Rembrandt Bugatti » (disparu à 31 ans) et 167000 pour « François Pompon ». Est-ce le fait d’avoir choisi de s’éloigner de Paris, qui l’a ainsi desservi ? 

Gaston Le Bourgeois

Heureusement, les sites de vente : Christie’s, Sotheby, Drouot, Artnet … ont parfois l’occasion de proposer une de ses oeuvres. A titre indicatif, le cabinet de 1914, présenté en page 2, a été adjugé    346 000€ en décembre 2019 chez Christie’s.

Il semble que les vrais amateurs d’art apprécient donc toujours le talent de celui qui fut l’un des grands sculpteurs animaliers de la période « Art déco », et l’ainé d’une grande famille d’artistes rambolitains dont peut s’enorgueillir notre cité.

Christian Rouet
octobre 2022

un article du Progrès de Rambouillet (27 octobre 1939)

Cet article a 2 commentaires

  1. ant

    Merci monsieur,
    Vos articles sont toujours très intéressants, c’est toujours un plaisir de les lire.
    Bien cordialement
    Véronique G

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