Le PRG et Mme Thome-Patenôtre
Puisque la période s’y prête, je me permets un article politique qui ne devrait pas modifier beaucoup les intentions de vote de ceux qui le liront aujourd’hui, samedi 6 juillet 2024, à la veille d’un second tour espéré par les uns, craint par les autres.
La profession de foi publiée lors du premier tour du 30 juin par le candidat PRG de la 10ème circonscription d’Yvelines (celle de Rambouillet) se terminait par ce paragraphe sympathique quoique inattendu :
« Enfin, une pensée émue pour Jacqueline Thome-Patenôtre, grande figure de Rambouillet et de nos territoires, ardente militante des droits humains et de l’Europe dont je revendique aujourd’hui l’héritage. »
Mme Thome-Patenôtre aurait-elle apprécié que son héritier ne recueille que 3,39% des voix ? Quoi qu’il en soit, cette évocation de celle qui fut effectivement une grande figure politique de notre région, m’a donné envie de revenir ici brièvement sur l’histoire des partis politiques français, celle du PRG ainsi que sur la carrière de Mme Thome-Patenôtre.
Les partis politiques de France
Depuis qu’en 1789, les membres de l’Assemblée nationale constituante se sont assis à la droite du président de l’Assemblée, lorsqu’ils étaient favorables au roi, et prônaient des réformes limitées, tandis que les partisans de réformes plus démocratiques, et de transformations profondes de la société et du gouvernement se plaçaient à sa gauche. Nous avons conservé un sens symbolique aux termes de droite et de gauche:
- à droite, les idéologies conservatrices et libérales, mettant en avant l’ordre social, la tradition, le marché libre, et la réduction de l’intervention de l’État dans l’économie,
- à gauche, les idéologies progressistes, socialistes, voire communistes, qui mettent l’accent sur l’égalité sociale, les droits des travailleurs, et les réformes économiques et sociales.
Rappelons cependant que ces termes de droite et de gauche ont recouvert des réalités bien différentes au fil du temps. Quantité d’idées, notamment en matière d’avancée sociale, ont été lancées par l’extrême gauche, pour être ensuite reprises par la gauche, puis le centre, et enfin la droite, au point qu’avec du recul il est très difficile de savoir à quel gouvernement attribuer la paternité d’une réforme.
Par exemple, au XIXème siècle, la colonisation est un projet de gauche, héritière des armées de la Révolution qui avaient souhaité répandre les valeurs républicaines dans toute l’Europe. Aucun député d’extrême droite n’oserait assumer en 2024 des propos comme ceux que tenait en 1885 le républicain Jules Ferry: « Il faut dire ouvertement qu’en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures.»…
Cependant c’est ensuite la droite qui défendra l’existence de notre empire colonial, tandis que l’extrême gauche, puis la gauche en viendront à le combattre.
L’histoire de nos partis politiques modernes commence vraiment sous la Troisième République(1870-1940). Sa constitution instaure un régime parlementaire bicaméral fort, avec un équilibre des pouvoirs qui favorise le législatif. C’est l’Assemblée qui choisit le Président de la République, dont les pouvoirs sont faibles, et le Président du Conseil, chef du gouvernement.
Les partis politiques prennent donc une importance considérable.
Les partis de droite et ceux de gauche s’affrontent sur tous les sujets, et notamment sur la laïcité, et l’antisémitisme (l’affaire Dreyfus)… Cette opposition donne aux centristes un rôle déterminant, car aucune majorité ne peut exister sans eux. Mais ces ententes sont fragiles : au fil du temps les partis se scindent, fusionnent, se font absorber, renaissent sous un autre nom… Ils participent à une coalition gouvernementale, renversent le gouvernement, sont dans l’opposition, reviennent au pouvoir…
Durant les 70 ans de la 3ème République, le pays connaît ainsi 103 gouvernements successifs !
Après la parenthèse de l’occupation allemande, durant laquelle les seuls partis autorisés étaient ceux d’une droite collaborationniste, le général de Gaulle forme un Gouvernement Provisoire de la République Française (GPRF), vaste coalition qui inclut des communistes, socialistes, et centristes démocrates-chrétiens. Cependant, malgré son prestige, il quitte le pouvoir en 1946.
La constitution de la 4ème République (1946-1958) ne modifie guère nos institutions et le centre continue à y jouer un rôle d’arbitre entre droite et gauche. Les grands sujets de discorde sont alors principalement la décolonisation de l’Indochine, puis celle de l’Algérie.
Et en 1958 c’est la guerre d’Algérie qui ramène au pouvoir le général de Gaulle. Il fait approuver les textes de la 5ème République, instaurant notre système semi-présidentiel actuel. Le président, élu au suffrage universel dispose de pouvoirs renforcés, et la légitimité qu’il tire de son élection lui permet de s’appuyer (généralement) sur une majorité stable, élue pour appliquer son programme.
Cette stabilité se fait au détriment des partis du centre : l’Assemblée se divise désormais en deux blocs, support ou adversaire de la politique du président, et les coalitions de gauche et de droite alternent au pouvoir –voire se le partagent durant des périodes de cohabitation –sans laisser beaucoup de place aux partis qui souhaiteraient conserver une certaine indépendance.
Certes, notre Constitution, à l’inverse d’autres démocraties (comme l’Allemagne), ne nous donne pas l’habitude des compromis : pourquoi faire des concessions quand on peut imposer sa volonté par une majorité absolue, ou par un 49.3 ! Mais elle assure pendant longtemps à la France une grande stabilité qui rompt avec les faiblesses des 3ème et 4ème Républiques.
A la surprise générale, Emmanuel Macron réussit à briser cette bipolarisation en 2017, amenant au pouvoir un nouveau parti centriste « en même temps » de gauche et de droite. Il est reconduit en 2022, avec une majorité relative, tandis que l’affaiblissement des partis républicains de droite et de gauche, qu’il n’est pas parvenu à absorber, favorise l’émergence de partis plus extrémistes.
Et ici, nous devrions quitter l’histoire pour entrer dans l’actualité, mais ce n’est pas l’objet de cet article.
La fin des trente glorieuses
On ne comprend pas la politique française si on ne tient pas compte de notre situation économique.
De 1945 à 1975, la France s’enrichissait de façon régulière. Elle bénéficiait d’une natalité qui restait élevée, et qu’une immigration voulue renforçait, des avancées technologiques favorisées par une instruction de qualité, une énergie et des minerais sous-payés, et les marchés captifs de nos colonies permettaient à nos entreprises d’exporter sans se confronter à la concurrence internationale. Le débat politique pouvait donc porter sur la seule répartition des excédents, sans qu’il soit nécessaire de remettre en cause les acquits. Cette richesse permettait une élévation régulière du niveau de vie, en même temps qu’une intégration réussie. Les ZUP ont permis de fermer les derniers bidonvilles en 1970.
Mais à partir des deux chocs pétroliers, la France perd ses avantages, et elle fait cependant le choix d’avantages sociaux plus coûteux que ceux de nos voisins. Comme elle ne dispose plus d’excédents à partager, les programmes politiques en compétition s’affrontent donc sur la redistribution des acquits car désormais, pour donner à l’un il faut obligatoirement prendre à l’autre. Et bientôt l’euro ne permet plus les dévaluations longtemps si pratiques pour solder nos dettes à bon compte.
Ajoutons que depuis l’échec de Lionel Jospin en 2002, tous les partis ont intégré le fait qu’ils ne peuvent être élus qu’en niant les réalités économiques qui fâchent. Et l’écart se creuse donc à chaque élection entre des promesses électorales irréalistes et les réalisations effectives, suscitant déception, colère et violence…
Le Parti Radical de Gauche
Le Parti Radical, officiellement Parti républicain, radical et radical-socialiste (PRRRS) a été créé en 1901. C’est l’un des plus anciens partis politiques de France, issu du parti des Radicaux de la monarchie de juillet. Son histoire est significative de l’évolution d’un parti du centre.
C’est à l’origine un parti de gauche, mais la création de la SFIO socialiste en 1905 (Jean Jaurés, Léon Blum), le déplace vers le centre.
Il prône la séparation de l’Église et de l’État, une éducation laïque et gratuite, et des réformes en faveur des travailleurs, et se trouve à l’initiative de plusieurs grandes réformes : la loi de séparation des Églises et de l’État de 1905, la création du ministère du travail en 1906 , l’institution du repos dominical en 1906 , la création du 1er système de retraites ouvrières et paysannes en 1910,la création de l’impôt sur le revenu, en 1914, l’instauration de la gratuité de l’enseignement secondaire menée par Édouard Herriot…
En s’alliant tantôt à la droite tantôt à la gauche, le Parti Radical joue un rôle d’arbitre et alterne des périodes de pouvoir, et d’opposition.
Par exemple, en 1936 en s’alliant avec la SFIO et le Parti Communiste Français il permet le succès du Front Populaire, mais il le fait tomber en 1938 en s’alliant avec le centre droit.
C’est l’un des partis les plus influents sous la 3ème et 4ème République. Il dirige 13 des 42 gouvernements qui se succèdent dans l’entre deux guerres.
Georges Clemenceau, Edouard Herriot, Edouard Daladier, Jean Zay, Maurice Faure, Joseph Cailleaux, Pierre Mendes-France sont quelques uns de ses leaders.
Sous la 5ème République, chacun des présidents cherchant à s’appuyer sur une majorité stable, le Parti Radical tire les conséquences de ses divisions internes en se scindant pour créer en 1971 :
- le PRV, Parti Radical Valoisien, de centre droit (Jean-Jacques Servan-Schreiber), qui rejoint l’UDF de Michel Poniatowski, puis l’UDI de Jean-Louis Borloo et apporte son soutien à Valery Giscard d’Estaing, et à ses successeurs de droite,
- et le MRG, Mouvement des Radicaux de Gauche (Robert Fabre) qui devient en 1996 le PRG, Parti Radical de Gauche, rejoint l’union de la gauche pour soutenir François Mitterrand et plus tard François Hollande.
Ainsi lorsque l’un de ces partis est au pouvoir, l’autre est dans l’opposition. Mais tous deux voient leur influence diminuer inexorablement dans chacune de leur coalition, dont ils ne sont qu’un appoint, de sorte qu’en 2017, ils tentent de se réunir autour d’un même programme afin de retrouver un peu de leur puissance d’autrefois.
Le 9 décembre 2017 un parti unique, le Mouvement Radical est ainsi créé pour une période probatoire de deux ans, sous la coprésidence de leurs deux leaders. Cependant, au terme de cette période, leurs différences l’emportent sur leurs valeurs communes, et les deux partis reprennent leur indépendance.
Le Parti radical valoisien, devenu Parti radical reste dans l’UDI.
Le PRG devient « PRG –le centre gauche ». Robert Fabre, Michel Crépeau, Bernard Tapie, Jean-Michel Baylet, Christiane Taubira tentent de lui trouver un espace politique indépendant, entre le centre et la gauche, refusant de l’associer au parti présidentiel comme à la NUPES en 2022 ou au NFP (Nouveau Front Populaire) de 2024.
En 2023 il n’est plus crédité que de 4000 adhérents (probablement moins en 2024). Il apporte son soutien à l’ancien ministre Bernard Cazeneuve.
Aux élections européennes de 2024, sa liste indépendante, Europe Territoire Ecologie dirigée par son président Guillaume Lacroix ne remporte que 0.62% des suffrages exprimés.
On pourrait d’ailleurs penser que le PRG a aussi perdu son webmestre, puisque leur site n’a pas été mis à jour depuis sa convention du 10 juin 2024 : pas de bilan des élections européennes, pas de consigne pour les élections législatives des 30 juin et 7 juillet 2024. Pas un mot pour encourager, ni même citer les 3 candidats qui ont obtenu son investiture, dans notre 10ème circonscription des Yvelines, la 2ème du Tarn-et-Garonne et la 6ème des français de l’étranger (Liechenstein-Suisse). Tous trois sont éliminés dès le premier tour.
Cependant le PRG conserve aujourd’hui 4 sénateurs, membres du groupe du Rassemblement démocratique et social européen (RDSE) qui réunit 16 sénateurs de gauche et centre-gauche non ralliés à la NUPES.
Quel sera son avenir ? Il semble fort compromis, mais en matière politique il ne faut jamais enterrer trop vite un parti !
Jacqueline Thome-Patenôtre
C’est pendant longtemps une grande figure du parti radical…
Son père André Thome a été député en Seine-et-Oise de 1914 à 1916 (il meurt lors de la bataille de Verdun). Petit-fils d’un entrepreneur de travaux publics milliardaire, il avait adhéré à l’Alliance Démocratique, alors principal parti du centre droit.
Raymond Patenôtre, son époux, magnat de la presse d’origine américaine, avait entrepris à son tour une carrière politique. Il est conseiller général, puis député en 1928, de l’USR, Union Socialiste Républicaine, parti de socialistes modérés qui apporte son soutien au Front Populaire de Léon Blum en 1936.
De 1932 à 1934 il est sous-secrétaire d’état dans un gouvernement Daladier de gauche modérée, et en 1938 il est ministre de l’économie nationale dans le troisième gouvernement Daladier, qui s’est allié à la droite pour faire tomber le Front Populaire. La guerre met fin à son mandat, et à la Libération il ne revient pas à la politique.
A son tour Jacqueline Thome-Patenôtre entame une carrière politique après son divorce.
Sénatrice, elle siège du 8 décembre 1946 au 15 janvier 1959 dans le groupe Gauche Démocratique.
Du 19 juin 1957 au 6 novembre 1957, elle est l’une des rares femmes ministres de la IVème République, occupant dans le gouvernement Bourgès-Maunoury (sous la présidence de René Coty) le poste de sous-secrétaire d’État à la Reconstruction et au Logement. C’est un mandat fort court, mais qui lui permet de promouvoir le logement social.
Députée, élue du Parti Radical (puis de la branche PRG, après la scission de 1971) elle siège à l’Assemblée du 30 novembre 1958 au 9 octobre 1962 dans le groupe Entente démocratique, du 25 novembre 1962 au 2 avril 1967 dans le groupe Rassemblement démocratique, du 12 mars 1967 au 30 mai 1968 et du 30 juin 1968 au 1er avril 1973 dans le groupe Fédération de la gauche démocrate et socialiste, et du 2 avril 1973 au 2 avril 1978 dans le groupe Parti socialiste et radicaux de gauche . De 1960 à 1968 elle est Vice-présidente de l’Assemblée.
Présidente de la SPA elle dépose en 1972 une proposition de loi dite « charte de l’animal »
En même temps que ses mandats nationaux, Mme Thome-Patenôtre est maire de Rambouillet de 1947 à 1983. Durant ses premiers mandats, ses opinions politiques n’ont que peu d’importance pour ses électeurs, qui votent pour sa personnalité et non pour ses idées.
(Le général de Gaulle, par contre, lui en veut de faire de la ville du château présidentiel une cité d’opposition, et la snobe lors de ses visites à Rambouillet !)
Cependant, le 27 juin 1972, le PRG signe avec le Parti Socialiste et le Parti Communiste Français, le « programme de la gauche », et une partie des électeurs de Mme Thome-Patenôtre est choquée par cette alliance avec le PCF. Le soir des élections cantonales de 1976, ne la voit-on pas chanter l’Internationale, le poing levé, montée sur une table de la mairie ?
Aux élections de mars 1977 plusieurs de ses anciens conseillers se rallient à Jean-Daniel Camus, conseiller du président Giscard d’Estaing, et l’ambiance est chaude ! Un tract circule, affirmant que Mme Thome-Patenôtre, dont on connaît l’engagement pour le logement social, veut monter la population de Rambouillet à 45 000 habitants, sur le modèle de Trappes…
Cependant la totalité de sa liste d’Union démocratique est élue au premier tour.
Par contre le 20 mars 1978, en tête au premier tour, elle perd son siège de député (pour 340 voix!) au profit de l’UDF Nicolas About (qui la devance de 521 voix dans sa ville de Rambouillet).
Europhile convaincue, Mme Thome-Patenôtre se présente aux élections européennes du 10 juin 1979. Elle est en 5ème position sur la liste Emploi Egalité Europe menée par Jean-Jacques Servan-Schreiber, mais cette liste n’obtient que 1,84% des suffrages au plan national (à Rambouillet, en dépit du poids personnel de son maire : seulement 4,95%, loin derrière les 29,15% de la liste de droite, menée par Simone Veil).
Cet échec la conduit en 1984, aux termes d’une négociation assez peu appréciée de certains de ses électeurs, à ne pas se représenter à la mairie de Rambouillet, et à favoriser l’élection de la liste RPR-UDF de Gérard Larcher. Rambouillet bascule ainsi à droite… et y est encore en 2024.
En échange elle obtient de figurer sur la liste de droite de Simone Veil, aux Européennes de juin 1984, et peut ainsi siéger à Bruxelles jusqu’en 1989 dans le groupe de centre-droit Rassemblement des démocrates européens (RDE).
De 1984 à 1987 elle est vice-présidente de la Commission des relations économiques extérieures.
Certains ont alors parlé de trahison. Je préfère citer son grand ami Edgard Faure, dont les revirements politiques bien plus nombreux lui ont permis d’être ministre des finances en 1952, Président du Conseil en 1955, ministre de l’agriculture en 1966, de l’Education Nationale en 1968, et président de l’Assemblée nationale sous des gouvernements de diverses tendances.
« On me reproche d’être une girouette. Mais ce n’est pas la girouette qui tourne, c’est le vent ! »
Christian Rouet
juillet 2024