Les commerces du centre-ville

Organisé le 3ème week-end de septembre, PARK(ing) DAY est un événement mondial ouvert à tous, qui mobilise citoyens, artistes, activistes. Leur objectif : transformer temporairement des places de parking payantes en espaces végétalisés, artistiques et conviviaux. C’est aussi et surtout l’occasion de réfléchir au partage de l’espace public, d’imaginer de nouveaux usages urbains et de formuler ensemble des propositions pour la ville de demain !

Sans doute l’avez-vous découvert comme moi, samedi 19 septembre 2020, rue de Gaulle, présenté sur un stand tenu par une équipe de jeunes enthousiastes.

De telles réflexions, certainement nécessaires et passionnantes, n’entrent pas vraiment dans le cadre du site « le Pays d’Yveline. »

Mais nous pouvons les nourrir un peu, en nous intéressant, au contraire, à la ville d’hier, en prenant l’exemple de Rambouillet, significatif à biens des égards.

A l’origine (si l’on remonte seulement au XVIIIème siècle) Rambouillet compte environ deux mille habitants, en intégrant les hameaux de Groussay, Grenonvilliers et la Louvière. La ville se serre près de son ancienne église, à côté du château et l’activité artisanale et commerciale se concentre dans la rue du Général de Gaulle, la place Félix-Faure et la rue Chasles (pour les désigner par leur appellation actuelle).

On peut dire, en simplifiant, que cela reste le cas aujourd’hui, si l’on ne tient pas compte des zones artisanales et commerciales périphériques. Certes, des rues comme la rue Gambetta, la rue Sadi-Carnot, la rue Raymond Patenôtre accueillent quelques commerces, mais un certain nombre de handicaps, dont la circulation et le stationnement, en ont toujours limité l’attractivité.

Quelle était l’activité du centre-ville de Rambouillet au début du XXème siècle ?

Jusqu’alors, outre la Ferme Nationale, 12 fermes étaient implantées dans la commune, mais toutes en extérieur, à Grenonvilliers, la Louvière, la route d’Ablis ou la Villeneuve. Une seule était en périphérie immédiate, rue Trousse-vache (actuellement 17 rue Lachaux) et fournissait les Rambolitains en produits laitiers. Ses terrains du centre sont rachetés pour y construire la gendarmerie, le tribunal, l’église… et elle cesse son activité au début du XXème siècle.

Lorsqu’une ville se développe le terrain a trop de valeur pour lui conserver sa vocation agricole.

Egalement liés à l’origine rurale de la ville, en 1910 on trouve 3 marchands d’engrais, 4 marchands de grains et fourrages, et 3 horticulteurs (les serres de la rue Maurice Dechy ne seront détruites que vers 1980).

De nombreux artisans, ou entrepreneurs sont alors installés en ville : 7 garagistes-mécaniciens,           5 carrossiers, 4 charpentiers, 6 charrons, 3 couvreurs, 4 ébénistes, 2 fumistes, 4 maçons, 1 marbrier,   3 maréchaux-ferrants, 5 selliers, 1 cordier, 7 menuisiers, 4 peintres, 5 serruriers, 2 tonneliers,              3 grillageurs, 2 vanniers, 4 tapissiers…

Qu’y a-t-il de commun entre ces activités ?

le Progrès de Rambouillet et de Dourdan 16 juillet 1904

Leurs nuisances ! Un atelier en centre ville c’est une activité matinale qui réveille trop tôt les voisins, des fournisseurs qui livrent en bloquant la circulation, des clients qui viennent toute la journée, des odeurs, parfois, et surtout une nuisance qui devient de plus en plus difficile à supporter : le bruit.

Entre 1945 et 1975 les municipalités trouvent une solution qui semble plaire à tout le monde. En déplaçant industries et artisans dans des zones périphériques dont les accès ont été plus ou moins bien conçus, on supprime ces nuisances tout en récupérant des emplacements de premier choix, pour y construire des immeubles, avec rez-de-chaussée commercial. Au passage, lorsqu’elles étaient propriétaires de leurs locaux, les entreprises réalisent une confortable plus-value qui leur permet un transfert dans de bonnes conditions.

Pour ces activités, il n’y a pas de retour en arrière possible.

Ensuite, on trouve en 1910, à Rambouillet, 15 cafés, 36 débits de boissons, 2 brasseurs et 6 bureaux de tabac. Ils vivent de la clientèle locale mais aussi des deux marchés hebdomadaires, qui sont alors un lieu de rencontre pour les professionnels de la région, dont chaque négociation doit se conclure au comptoir voisin.

Et dès que Rambouillet dispose d’une gare sur la ligne Paris-Chartres, la ville connaît chaque semaine un afflux de touristes, comme elle n’en connaîtra plus jamais par la suite. Le « train du plaisir » fait la fortune de 15 hôtels restaurants, de 4 loueurs de véhicules, de transporteurs, et apporte une clientèle extérieure appréciable, à tous les commerces de la ville…

On sait que ces activités ont été obligées de s’adapter. Restaurants et cafés restent nombreux, mais les besoins en hôtellerie ne sont plus comparables, et l’on voit mal comment faire de Rambouillet une ville étape pour les relancer.

Pour l’équipement de la maison, 7 marchands de bois et charbon, 4 marchands de couleurs, 3 magasins de faïence, 1 bazar, 5 ferblantiers, 2 magasins de literie, 5 quincaillers, 4 tapissiers répondent à des besoins qui vont se modifier profondément. Aujourd’hui, tous ces magasins ont disparu.

De même, l’offre liée à l’habillement est importante car la tenue vestimentaire a alors une grande importance, tant pour les hommes que pour les femmes : 4 couturières, 3 modistes, 4 tailleurs, 2 chapeliers (et 5 coiffeurs), 3 magasins de lingerie-layette, 6 merceries, 2 marchands de nouveautés, 6 marchands de chaussures, 3 horlogers-bijoutiers, 1 magasin (et fabricant) de parapluies, 2 de corsets et 1 de casquettes, 2 teinturiers…

Mettre à la disposition de ses clients la mode de Paris, avec seulement quelques mois de décalage, correspond alors à un véritable service rendu par le commerçant, et le client trouve normal de le rémunérer. Une armée de représentants sillonne alors la France; descendant à l’hôtel des Voyageurs avec leurs grosses valises d’échantillons. Ils sont le trait d’union indispensable entre l’usine et les boutiques de province.

Mais déjà, à la fin du XIXème siècle les fabricants réfléchissent au moyen de supprimer représentants et revendeurs. Depuis 1885, le catalogue de vente par correspondance du Chasseur Français augmente chaque année son tirage et le nombre de ses références. Aux armes, cycles puis machines à coudre que la Manufacture d’Armes et de Cycles de Saint Etienne, fabrique elle-même viennent s’ajouter de nombreux produits sous-traités, ou achetés, de toute nature : mode, ameublement, outils, et même jouets …

Les géants du net ne font aujourd’hui que suivre son exemple, en mettant la vente par correspondance à un niveau mondial, et en s’appuyant sur une logistique fantastique qui assure aujourd’hui d’être livré en quelques jours, et assurera demain de l’être en quelques heures.

Face à une telle concurrence certains commerces sont irrémédiablement condamnés. Une baisse de leur loyer, un nouveau plan de circulation ou des facilités de stationnement n’y changeront rien : la mise à disposition d’articles dans une boutique ne constitue plus un service.

Plus grave : le conseil du professionnel n’a plus le même poids face aux avis, accessibles sur les réseaux sociaux, de conseilleurs dont on ne connaît pourtant ni l’objectivité, ni les connaissances.

Quant au service après-vente, le client comprend vite qu’il peut être dépanné directement par le fabricant, sans avoir à passer par son revendeur. Signe des temps : une grande enseigne invente le « contrat de confiance » et nous nous en réjouissons sans que nul ne relève que la confiance consisterait justement à ne pas avoir besoin d’un contrat !

A l’évidence, il serait illusoire de chercher à faire revenir ces commerces dans les centres-villes.

Restent les activités de bouche. En 1910, 6 bouchers, 7 boulangers, 2 pâtissiers, 5 charcutiers, 18 épiciers, 4 fruitiers, 2 poissonniers, 6 traiteurs, 3 volaillers pour 6000 habitants.

Si le nombre d’épiciers a fondu, d’abord lors de l’ouverture de Monoprix, au centre ville, puis lors de celles de Carrefour et d’Intermarché, en périphérie, (le phénomène serait peut-être, un peu, en cours de retournement), la demande pour des artisans-commerçants de qualité reste forte.

Dans les années 1970, et durant 30 ans, la clientèle des résidences secondaires a compensé un peu la disparition des touristes du weekend. Si les hôtels n’en ont pas profité, les commerces de bouche, si. Le parisien qui invite ses amis en forêt adore lui faire découvrir le petit fromager authentique, ou le boulanger qui fait « un pain traditionnel qu’on ne trouve plus à Paris », et n’hésite pas à acheter un gigot et des gâteaux de prix pour régaler ses invités.

Avec les crises économiques et l’alourdissement des charges, notamment de celles liées au transport, de nombreuses résidences secondaires sont devenues résidences principales. Mais en se sédentarisant, ces consommateurs ont modifié leur comportement d’achat.

Quoi qu’il en soit, aujourd’hui la demande de produits alimentaires de qualité semble se satisfaire de l’offre actuelle, et il n’est pas sûr qu’il y ait de la place pour de nouveaux professionnels.

Enfin, ajoutons, pour compléter la liste des professionnels de 1910, (hors domaine médical) qu’il y a alors 6 assureurs, 3 banques, 1 armurier, 6 magasins de couronnes mortuaires (!), 2 imprimeurs, 2 librairies et un kiosque à journaux, 3 pharmaciens, 4 magasins de musique, 2 photographes, 6 magasins de cycles, et 4 brocanteurs.

Certaines de ces activités (comme les banques) ont fortement augmenté depuis. D’autres ont disparu. De nouveaux métiers sont apparus : il n’y avait ni agences immobilières, ni opticiens dans l’almanach de 1912 ! D’autres se créeront demain, mais leur durée de vie sera de plus en plus courte, parce que liée à une technologie, à une mode, ou à un comportement dont le développement en courbe de Gauss peut s’inverser en quelques mois.

La législation des baux commerciaux, avec périodes triennales et interdiction de changement d’activité doit être repensée. Difficile, pour certains propriétaires de locaux bien situés, d’admettre que leur rente de situation est en train de fondre !

Il est courant de dire que les habitants d’une commune sont attachés au petit commerce, et les rambolitains, dont le centre-ville reste très actif comparé à celui de nombreuses villes, sont nombreux à s’inquiéter de quelques emplacements fermés.

Mais en fait, beaucoup ne souhaitent pas faire davantage d’achats au centre : leur attente réelle est une demande d’animation.

Car à force de supprimer les nuisances on supprime la vie ! Les ruraux qui étaient ravis de s’installer près d’une ferme auraient dû y penser avant d’obtenir la condamnation du fermier parce que son coq chante trop tôt, ou que son fumier ne sent pas la rose…

La preuve en est que si le client est rebuté par une seule queue pour payer dans une grande surface, il en supporte une aussi longue à chacun des étals du marché, sans s’en plaindre. S’il estime primordial de pouvoir stationner devant chacune des boutiques du centre, il parcourt avec plaisir, à pied, la rue de Gaulle, le samedi matin, parce que la rue redevient alors un lieu de vie.

Plutôt que de chercher à faire venir de nouveaux commerces qui ne pourront pas se rentabiliser, la ville va devoir trouver de nouvelles animations permanentes pour compléter celles qu’elle organise deux fois dans l’année.

On peut imaginer qu’après avoir dépensé tellement dans le pavement de nos chaussées, elle va devoir réfléchir à la façon de couvrir certaines portions de la rue, car cet hiver les clients ne feront pas la queue sous la pluie, si les règles anti-Covid ne sont pas assouplies. Or les stores des magasins ont tous été pensés de façon individuelle, avec de nombreuses solutions de continuité.

Sans doute imaginera-t-on la possibilité d’animer les vitrines des magasins fermés, en incitant les bailleurs à les louer provisoirement à d’autres commerces, à en faire provisoirement des lieux d’expositions pour les associations, des panneaux d’information… voire tout simplement en posant un décor provisoire, comme les bâches-décors de certains chantiers…

Car animer une vitrine profite à tous, outre qu’elle permet au propriétaire de retrouver plus facilement un locataire, si la rue reste vivante !

(Mention particulière à une entreprise de déménagement de la rue de Gaulle, qui compense le peu d’attractivité de son activité par une vitrine d’une grande qualité, renouvelée régulièrement !)

Ces réflexions – et bien d’autres– sont certainement l’une des priorités de nos élus. La défense du centre-ville inspirait d’ailleurs tous les programmes électoraux de 2020, avec quelques variantes.

Le conseil municipal de 1912 mesurait déjà l’importance de ce problème, d’autant qu’il regroupait autour de Marie Roux, 3 avoués, 3 entrepreneurs, 1 négociant, 1 boulanger, 1 banquier, 3 cultivateurs, 1 vétérinaire et 9 propriétaires, à l’époque où il était encore possible de cumuler une vie professionnelle de travailleur indépendant, avec un mandat électif. Et tous étaient donc bien placés pour mesurer, sur leur propre vie professionnelle, les effets de l’activité économique.

 Mais dans ce domaine, aucune mesure ne peut aboutir sans l’adhésion de tous, élus comme électeurs, commerçants comme consommateurs.

 C’était déjà le sens d’un article, paru le 7 avril 1906 dans « le Progrès de Rambouillet et de Dourdan » sous le titre  « La solidarité dans le commerce local » qui me semble d’une actualité étonnante ! Jugez-en vous-même :

 «(…) La prospérité matérielle de la cité prend surtout sa source dans la prospérité des établissements industriels et commerciaux. Quand ces établissements sont florissants, ils ne profitent pas seuls des résultats par eux acquis, mais ils contribuent dans une large mesure à répandre autour d’eux l’aisance et le bien-être en remettant dans la circulation, par des dépenses de toutes natures, la plus grande partie de leurs bénéfices.

 L’intérêt bien compris de tous les habitants d’une même ville est donc de favoriser le commerce local en lui réservant – à conditions égales.-.l’exclusivité de leurs achats de toute nature.(…)

Les propriétaires n’ont-ils pas plus de chance de bien louer leurs immeubles quand le commerce de la ville se développe et prospère ?

Et les travailleurs ne sont-ils pas assurés de trouver à s’employer plus avantageusement quand les affaires marchent bien ?

Posons-nous ces questions, et tous nous n’aurons plus d’autres fournisseurs que les petits et moyens commerçants de notre ville, qui, nous le répétons, sont dignes de toutes nos sympathies et de toute notre confiance.

 Assurer, dans une ville, une bonne situation commerciale, c’est assurer le bien-être des habitants et, en regardant plus haut, créer une bonne situation politique.»

Cet article, je le redis, a été publié en avril 1906 !

Et c’est pourquoi, si un peu plus d’un siècle plus tard, des jeunes, motivés, s’intéressent à leur tour à l’avenir de notre ville, sans préjuger en rien de l’intérêt de leurs propositions, je pense que nous ne pouvons que nous en réjouir !

Christian Rouet
Septembre 2020

Cette publication a un commentaire

  1. Pierre et Janine FAUVERGUE

    La ferme de Monsieur et Madame CHAUVIN existait Avenue du Maréchal LECLERC ( Boulevard VOIRIN )
    Nous y allions chercher notre lait tous les soirs.

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