Le château de Saint-Hubert
Pour échapper à l’étiquette de Versailles et se retrouver dans un cadre plus intime avec les amis qu’il choisissait, Louis XIV a fait construire en 1680 le château de Marly. Il n’en reste aujourd’hui que la représentation, sur le sol de son parc, des murs du pavillon royal.
En 1755, Louis XV fait construire de même le château de Saint-Hubert. Abandonné par Louis XVI il n’en reste guère plus que la terrasse, visible au bord du premier des étangs de Hollande.
Nous n’en avons aucun plan et très peu de reproductions, mais heureusement il en existe de nombreuses descriptions et témoignages de l’époque. Et bien sûr, subsiste le hameau de Saint-Hubert. Créé par la volonté royale, en face de l’emplacement du château, il devait le mettre en valeur et en faciliter l’utilisation. Nous avons déjà raconté son histoire (lire l’article).
La chasse et l’amour
Les rois de France ont eu trois passions : la chasse, les femmes et la guerre.
Ce sont les chasses dans la forêt d’Yveline qui avaient attiré Louis XIII à Versailles. Pour la chasse encore que Louis XIV avait acheté le château de Rambouillet afin de l’offrir au comte de Toulouse, l’un des enfants qu’il avait eu avec Mme de Montespan. Le roi y disposait d’un appartement, de même que Mme de Maintenon, mais tous deux les occupèrent fort peu.
Louis XV, au contraire, fut un hôte assidu de Rambouillet, où il venait 2 à 3 fois par semaine. Bientôt la chasse ne fut plus le seul motif de ses visites : il avait rencontré chez la comtesse de Toulouse, les cinq filles du Marquis de Nesles.
La comtesse de Toulouse n’avait rien d’une entremetteuse et ne goûta probablement pas que les amours clandestines du roi se déroulent sous son toit. Mais, souhaitant que les faveurs royales se reportent à la mort de son époux sur son fils, le duc de Penthièvre, elle se garda de toute critique.
De 1733 à 1744, Louis « le Bien-aimé » devint donc successivement l’amant, à Rambouillet, de Louise de Nesles, dont il finit par se lasser après six ans, puis de sa soeur Pauline-Félicité, qui mourut en couche à la naissance de celui que l’on appellera demi-Louis, tant était grande sa ressemblance avec son père.
Le roi se consola un temps avec Diane, la benjamine, puis reporta son amour sur Marie-Anne qu’il éleva au rang de duchesse de Chateauroux.
Il semble que le roi aurait également eu des vues sur la cinquième fille du marquis de Nesles, mais la jalousie de son mari aurait contrarié ce projet.
Comment comprendre cette constance du roi à choisir ainsi ses maîtresses pendant 12 ans au sein d’une même famille ? Un goût pour la facilité ? Une royale paresse de chercher ailleurs ?
Que ces amours aient lieu sous les yeux de la comtesse de Toulouse, puis chez le duc et la duchesse de Penthièvre qui héritent de Rambouillet en 1737, devait gêner le roi, qui aurait aimé acquérir le château pour y être plus tranquille. Cependant, voyant combien le duc y était attaché, il eut la délicatesse de ne pas insister.
En 1755, pour pouvoir chasser et aimer à sa guise, sans abuser de l’hospitalité du duc de Penthièvre, chez qui il n’ose amener sa nouvelle favorite, la marquise de Pompadour, le roi décide de faire construire un pavillon, sur des terres que son cousin lui offre, en bordure de l’étang de Pourras.
Le projet évolue rapidement. En vingt ans, un modeste relais de chasse fait place à un superbe château où Louis XV vient chasser de façon régulière.
Le château de Saint-Hubert
Les travaux commencent en 1755, sous la direction de l’architecte Ange-Jacques Gabriel. Tout d’abord, il s’agit de construire un grand pavillon précédé d’une cour, avec deux petits pavillons de service à l’entrée.
Le roi souhaite que les travaux aillent vite, et les moyens humains engagés sont importants. Malheureusement l’argent manque et à la fin de la première année il faut envoyer la maréchaussée de Montfort pour calmer les ouvriers non payés. Pour la même raison, l’année suivante les ouvriers quittent purement et simplement le chantier.
Mr de Marigny, responsable des travaux, écrit
« il leur est dû jusqu’à 10 semaines, et ils ne veulent plus travailler qu’ils ne soient payés à une quinzaine près.(…) Je suis continuellement obsédé par plus de trois cents ouvriers qui ne cessent de demander pour avoir du pain qui leur est refusé. »
En 1757 deux bâtiments de communs sont construits de chaque côté.
« Ils formaient ainsi, avec les deux pavillons d’entrée, les trois côtés d’un carré, ouvert devant la grille. Entre ces bâtiments existait un espace dénommé basse-cour » (Jules Maillard, « le Château de Saint-Hubert », 1905).
Les communs n’ont qu’un étage mansardé. Le pavillon d’entrée de gauche abrite une chapelle; en juin 1758 le roi vient assister à sa bénédiction prononcée par l’évêque de Chartres.
Le pavillon central comprend « sept pièces appropriablcs à des logements, à l’entresol; six grandes pièces avec cabinets ou garde-robes au premier, et douze pièces au deuxième étage » (J. Maillard).
Sa décoration est confiée aux plus grands décorateurs. En 1759 Clerici, le meilleur stuqueur du royaume ( aujourd’hui : staffeur) y réalise des plafonds de toute beauté, avec des ouvriers qu’il fait venir spécialement d’Allemagne. Malheureusement le stuc se détériore très vite sous l’effet de l’humidité, car le château n’est pas chauffé en l’absence du roi, et Clerici doit revenir à plusieurs reprises.
Faute de buanderie, un bateau-lavoir est installé sur l’étang pour le linge des hôtes du château. En 1763 il sera remplacé par la construction d’un bassin alimenté –en même temps que la cuisine– par une pompe.
Le roi y loge pour la première fois le 26 juillet 1758, avec Mme de Pompadour. Il y revient en mars 1759 et exprime sa satisfaction devant la qualité des travaux. Il est alors décidé de poursuivre les embellissements intérieurs, et un mobilier de très grande qualité y est apporté.
L’inventaire établi en 1762 recense des meubles de grand prix, bureau et secrétaire en bois de rose, lits à baldaquin, paravents, tapis de la Savonnerie, chandeliers de cristal de Bohème. Les murs sont tendus de damas cramoisi dans l’appartement du roi, et de damas rayé vert et blanc chez Mme de Pompadour.
Le salon de Saint-Hubert contient vingt-et-une tables de jeu. Un grand tapis a été tissé spécialement pour cette pièce…
J’arrête là cette énumération, sans omettre toutefois le tableau de Van Loo, « La conversion de Saint-Hubert », réalisé pour la chapelle du château. Il est aujourd’hui dans l’église Saint-Lubin. Les Rambolitains ont pu l’admirer.au Roi de Rome, où il a été exposé l’an passé, après sa restauration.
Pour loger plus de monde, le duc de Penthièvre accepte de louer au roi une propriété dite « château de l’Artoire » et sa ferme attenante, en bordure d’un étang. Le roi s’en rendra plus tard acquéreur, et des travaux combleront l’étang et permettront d’en augmenter la surface.
La mort de la Pompadour, en 1764, n’enlève rien au plaisir que le roi prend à revenir à Saint-Hubert. Cependant, pour ne pas trop ressentir son absence, il fait tout de suite déplacer son mobilier au garde-meubles de Paris.
En 1768 une avant-cour est créée, travaux considérables qui transforment Saint-Hubert, et qui seront à peine terminés en 1774 à la mort du roi.
Au final, le château de Saint-Hubert offre une disposition générale imitée de l’entrée du château de Versailles. Une première grille, flanquée de pavillons, s’ouvre sur une avant-cour entourée de bâtiments de service. Une seconde grille ferme la cour principale, garnie de deux rangées de tilleuls (non représentées sur le tableau ci-dessous), au fond de laquelle se trouve le château. L’ensemble comprend alors plus de 150 appartements.
Louis XVI, qui était déjà venu souvent à Saint-Hubert avant le décès de son père, est lui aussi sous le charme de la forêt d’Yveline.
Il manifeste, comme son père, le désir d’acheter le château de Rambouillet, mais insiste davantage, si bien que le duc de Penthièvre ne peut refuser. L’acte de vente est passé en 1783. Il marque la fin du château de Saint Hubert.
En 1784 le roi n’y vient que 6 fois pour y déjeuner, et n’y dort jamais, tandis qu’il se rend très souvent à Rambouillet, où, à son grand regret, il n’arrive pas à attirer Marie-Antoinette, malgré la construction de la Laiterie.
Le mobilier de Saint-Hubert est alors retiré du château, et sert à meubler Rambouillet, mais aussi Saint-Cloud et Trianon.
En 1785 des travaux de ravalement sont malgré tout exécutés dans le pavillon principal, et les anciens communs, mais le roi ordonne sa « réduction » : tous les bâtiments d’avant cour sont démolis pour ne pas avoir à les entretenir.
A la Révolution, le château est vendu à un Suédois, le citoyen Théodore Funck pour 120 000 livres (sa construction en a coûté plus de 5 millions !).
Il passe ensuite entre les mains de plusieurs propriétaires successifs qui procèdent à sa démolition, achevée en 1855. Ses matériaux sont vendus, dont la grille principale maintenant au château des Mesnuls.
Il n’en reste plus que la terrasse, bien visible de la digue ou de la rive sud de l’étang, un bassin et un reste de dépendance, transformé en maison de garde, baptisée « château actuel » sur cette carte postale des années 30 !
Je voudrais ajouter que l’association HMPY présentait, à l’occasion d’une belle exposition consacrée en novembre 2022 aux rues du Perray, une très impressionnante maquette du château au 1/100ème, réalisée en 2001, par les maquettistes de l’association Présence.
Quelques chiffres pour mesurer l’ampleur de la tâche : 5000 heures de travail, 190 mansardes, 170 fenêtres, 1760 soudures pour transformer 24 mètres de corde à piano en une grille etc…
Chapeau, les artistes !
Christian Rouet
décembre 2022