La salle Patenôtre

A la fin du XIXème siècle, le développement de Rambouillet ne peut plus se poursuivre autour de sa rue principale, car le château et son parc l’interdisent. Les conseillers municipaux se comportent alors en véritables urbanistes, en choisissant d’étendre la ville vers la « butte au moulin », sur le plateau nord. Il s’agit d’une zone de champs éloignée du centre-ville, pour laquelle des expropriations seront nécessaires afin de percer une rue de communication avec la rue principale (rue de la République).

Dans ce nouveau quartier vont être successivement construits en 1871 la nouvelle église, en 1881 la nouvelle gendarmerie, en 1896 le Tribunal et la prison, et dans la première moitié du XXème siècle, le monument aux morts, en 1922 et la nouvelle Poste, en 1937.

En 1935, Rambouillet s’est également doté rue Gambetta, d’une salle des fêtes, construite dans un style art-déco audacieux.

Avant de la décrire, remontons le temps, pour lire un article paru dans le Progrès du 22 septembre 1906, à la suite de la décision de transférer l’hôtel des Postes rue des Petits-Champs (Clémenceau), dont une conséquence était la suppression de la salle des fêtes de Rambouillet « la Renaissance ».

«  La disparition de la salle de la Renaissance a fait naître une préoccupation : où se réunira-t-on à Rambouillet ? Où les Sociétés donneront-elles leurs concerts ?

Remarquons, d’abord qu’il n’y a que deux Sociétés à Rambouillet pour donner des concerts; que les réunions et banquets qui nécessitent une salle plus grande que celles des hôtels et de la Mairie sont fort peu nombreux. Les bals ne font plus leurs frais; les tournées théâtrales se ruinent et la réputation de Rambouillet est si bien établie à cet égard qu’il est fort rare qu’une troupe d’acteurs s’y risque aujourd’hui.

La situation n’est pas brillante; elle l’est beaucoup moins qu’il y a dix ans, alors que les jeunes gens pratiquaient le bal comme sport et que Rambouillet avait encore des jeunes filles consentant à fréquenter le bal public. Il en reste peu présentement et, l’éducation se développant, le nombre en ira en diminuant.

 

Une grande et belle salle changerait-elle cette situation ? Non. Parce que les sociétés ne seront pas plus riches pour payer cher une location; parce que ceux qui font leurs noces en dehors des hôtels continueront à être des économes; parce que les organisateurs de conférences, sous prétexte d’utilité publique, désirent une salle gratis, etc.

Cependant dans une ville il faut une grande salle; le besoin ne s’en présenterait-il que cinq ou six fois par an, il faut une salle capable de réunir 300 ou 400 personnes au moins.

La ville de Rambouillet n’ira pas, certes, dépenser cent mille francs pour procurer à ses habitants une salle des fêtes. L’opinion publique s’étant prononcée contre la construction d’un hôtel des Postes, qui devait être loué 3.500 francs, sera plus formellement opposée à une salle des fêtes qui coûterait plus cher et ne produirait rien, car toutes les sociétés et tous les groupes solliciteraient et finiraient par obtenir l’occupation gratuite de la salle municipale. »

Il y a dans cette analyse de 1906, rédigée par Jules Maillard, bien des remarques fort actuelles, et certaines n’ont pas manqué d’être reprises lors de la construction de la Lanterne. La différence essentielle porte sur le nombre de « sociétés » ( associations ), dont il est vrai qu’elles estiment toutes mériter l’occupation gratuite des installations culturelles ou sportives de la ville.

Je me permets ici une parenthèse pour remarquer qu’aucun document public ne permet au contribuable rambolitain de savoir quel est l’effort consenti par la collectivité au profit de chacune de nos associations. La subvention votée publiquement chaque année n’est qu’une partie, souvent infime, de l’aide totale, à laquelle s’ajoute la mise à disposition de locaux, avec tous leurs frais annexes, une aide précieuse en matière de communication, et la mobilisation de personnel communal. Or toutes ces charges sont éclatées dans les budgets respectifs de la ville, sans regroupement transparent. ( C’était du moins le cas il y a encore quelques années, mais si, depuis, ces informations existent, je serais ravi d’être contredit. )

la salle des fêtes 1935– 1984

Quoi qu’il en soit, et après de longues années à déplorer l’absence d’une salle digne de Rambouillet, la ville inaugure en 1935 une superbe salle des fêtes.

L’architecte choisi est Maurice Puteaux. Il a réalisé quelques années auparavant l’hôpital de Rambouillet, et il conçoit ici une architecture audacieuse, utilisant pour toute la façade, ainsi que la décoration de la tour, la brique de verre, alors très à la mode.

En 1886, l’architecte français Gustave Falconnier a mis au point une invention révolutionnaire : la brique de verre Falconnier. « C’est un produit moderne dont l’esthétique remarquable rivalise avec ses qualités pratiques : isolante, elle laisse passer la lumière tout en préservant des regards. De plus, son mode de fabrication par soufflage-moulage, impliquant des verreries à bouteilles, est totalement inédit dans l’histoire du verre et de la construction, et permet un prix de revient très compétitif. » (dossier de Presse 2018 : la brique de verre)

A Rambouillet ce sont des briques « névada » qui sont utilisées, et qui répondent parfaitement aux exigences d’acoustique et de luminosité.

La revue n°9 de « l’Architecture d’aujourd’hui », de septembre 1938, consacre un article à cette belle réalisation rambolitaine, et fait de ces deux caractéristiques primordiales pour une salle de spectacles l’analyse suivante :

« L’acoustique :
Elle devait être à la fois insonore (cinéma) et sonorisée (théâtre et conférences), c’est-à-dire qu’il fallait rechercher un moyen terme qui donne satisfaction à ces deux facteurs antagonistes. Ce problème de sonorité a été résolu par la simple disposition des poutraisons et donne satisfaction. Aucun produit, dit acoustique, n’a été utilisé . Le verre « névada » lui-même, qui aurait pu former une paroi de résonnance désagréable s’est révélé un bon matériau en la matière, et cela du fait des cavités divergentes qui se trouvent à la face intérieure de chaque élément.

La luminosité :
La luminosité devait être examinée sous deux aspects différents :

  • – Cas d’une utilisation diurne, telle que : banquets, conférences etc…
    Dans ce cas la disposition de la paroi claire qui seule éclaire l’ensemble de la pièce, assure un éclairage naturel intensif de la salle elle-même et de la scène.
    En cas de soleil, il existe un système de rideau dit « de soleil » exécuté en toile bise, et qui vient descendre par coulisse entre chaque poutraison verticale. Ces poutraisons ne sont utilisées que pour assurer le raidissement de la cloison de verre, laquelle se soutient d’elle-même.
    En cas d’utilisation de la salle dans la journée pour une représentation cinématographique, il existe un système de rideau dit « d’obscurité » en toile noire spéciale, lequel se coulisse parallèlement au rideau précédent.
  • – En cas d’obscurité, la lumière est assurée par des appareils paraboliques dont les rayons se diffusent et balaient le plafond sur 12 mètres de largeur. Ainsi chaque faisceau vient recouper son vis-à-vis sur le centre, et il n’existe pas de zones non éclairées ou sombres. Cette solution a évité la pose de lustres dont l’aspect aurait été désagréable de la tribune. »

La salle se présente comme un grand bâtiment en retrait de la rue Gambetta, avec un sens giratoire permettant aux voitures d’en faire le tour afin de déposer les spectateurs, soit à l’entrée principale, soit à l’arrière.

Le spectateur pénètre ensuite dans une grande salle carrée de 22 mètres de côté, sans aucun poteau intermédiaire. Toutes les cotes tant horizontales que verticales sont déterminées par un module de 96cm, qui correspond à un carré de 4 éléments de verre et leurs joints.

Notons accessoirement que la tour, qui équilibre par sa verticalité l’horizontalité du bâtiment, est éclairée la nuit par un jeu de phares «  dont les faisceaux forment dans la nuit, comme un signe de ralliement » (« Architecture d’aujourd’hui »).

La salle porte le nom de Raymond Patenôtre. homme politique et patron de presse; époux divorcé de Jacqueline Thome-Patenôtre, ancienne sénatrice et maire de Rambouillet.

La rénovation :

En 1984 la salle Patenôtre change de look, en même temps que l’intérieur bénéficie d’un plan ambitieux de rénovation et de décoration interne, avec pose de moquette murale.

Certes, l’esthétique du bâtiment a vieilli, et n’est sans doute plus tout à fait dans le goût de l’époque. Mais ce sont des considérations de sécurité qui sont mises en avant pour justifier cette transformation radicale.

La commission de sécurité relève notamment :

  • « le mauvais état de la tour, située à proximité des sorties, dont le revêtement risque de tomber sur le public occasionnant de ce fait des blessures qui pourraient être sérieuses,
    Les pavés translucides en verre se désolidarisent de la façade et présentent un risque de chute sur le public aussi bien situé à l’intérieur en balcon, qu’à l’extérieur du bâtiment …»
  • ainsi qu’un certain nombre de problèmes annexes concernant l’électricité, la ventilation, les crémones des portes de secours etc….

Il est intéressant d’ailleurs de relever de façon générale combien certains problèmes peuvent être grossis ou au contraire être présentés comme de simples détails, selon qu’il s’agit de justifier une démolition ou un simple programme d’entretien !

Mais ceci dit, il y avait probablement d’excellentes raisons à cette rénovation.

démolition de la tour

C’est l’architecte Marcel Joubert qui est chargé de ce chantier. Il supprime la tour, et remplace les pavés de verre par des briques, rappelant ainsi le style de l’hôtel des Postes, situé cent mètres plus loin.

Confié à des entreprises de la région ( Houze, Fournier, Schoonyans, Goulard, MVA, Pichot… ) le chantier coûte environ un million et demi (de francs) et la salle ainsi transformée est prête en novembre 1984.

Et c’est ainsi que Rambouillet dispose désormais de ce bâtiment discret dont les briques rougissent aujourd’hui de la comparaison avec la très belle réalisation de la Lanterne, et dont nous attendons tellement la réouverture pour un usage autre que la vaccination intensive qui y est actuellement dispensée.

la salle Patenôtre en 2020

Christian Rouet

 

 

 

 

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