A Rambouillet en 1917 la vie continue ...
L’année 1917 est marquée en France par la bataille du Chemin des Dames qui commence le 16 avril sous les ordres du général Nivelle et qui se prolonge jusqu’au 24 octobre 1917. Elle s’achève par de très lourdes pertes humaines dans les deux camps.
Outre le drame humain, et la détresse des familles qui ont un père ou des fils au front, les villes éloignées des combats subissent naturellement des privations. Cependant, la vie continue.
Un article paru le 29 juin 1917 dans « La Presse Rambolitaine » ( « journal d’union nationale paraissant pendant la guerre », qui remplace le Progrès, l’Indépendant et l’Union Républicaine) en minimise les difficultés pour Rambouillet, avec quantité de détails pittoresques.
Voici un large extrait de cet article paru « à la une » du journal…
« Peu de sous-préfectures ont été et sont aussi bien ravitaillées que la nôtre : il suffit de voyager pour s’en rendre compte. Le chauffage grâce au bois, au coke, et aux stocks de charbon des négociants et de la mairie, a été cet hiver plus facile et moins onéreux que partout ailleurs. Nous avons actuellement le charbon à 163 fr. et l’anthracite à 225 fr. Quant au gaz 0fr32 le mètre cube, alors que tant de grandes et petites usines sont fermées, nous en avons manqué à peine une journée depuis 3 ans et actuellement l’usine a une provision de 3 mois. Depuis quelques semaines, on ferme le compteur la nuit par mesure de prévoyance.
Le lait n’a jamais manqué à 0fr35 le litre, le pain à 1 franc, et, appelé à devenir un centre d’élevage important, Rambouillet fournit son superflu de volailles, lapins et œufs aux revendeurs versaillais et parisiens. Les fruits et légumes ne viennent sans doute pas en primeur comme un autre coin de l’arrondissement, la région de Marcoussis qui approvisionne les Halles de Paris, mais les récoltes sont abondantes et toutes les maisons ont leur potager. Citons pour mémoire le poisson pêché dans les étangs et rivières, et le gibier provenant des destructions et, bientôt, des chasses.
Certes, la guerre a causé ici comme partout une gêne et un renchérissement manifestes, mais que les mécontents aillent faire un petit tour ailleurs, ils verront combien d’heures il faut stationner chez les épiciers ou les charbonniers pour y quêter, pas toujours avec succès, une maigre pitance cher payée.(…)
L’article défend ensuite l’image de Rambouillet, dont il estime que la revue « La Mode » de Paris a donné une description peu flatteuse.
Un tel souci de relations-publiques est sans doute à l’honneur d’un journal rambolitain, mais en cette année de guerre il montre bien le fossé qui existe entre le front et l’arrière, et permet de comprendre la difficulté qu’ont eue les rescapés des tranchées pour se réaccoutumer à la vie civile.
Les poilus qui auraient eu la chance de venir en permission quelques jours, avant de retourner au front, auraient sans doute eu du mal à comprendre que l’image de Rambouillet, le tourisme, ou la beauté de la forêt en hiver puissent passionner autant les lecteurs, ni que l’on puisse se vanter d’être en dessous d’un « taux de mortalité moyenne » calculé sans tenir compte des morts au combat !
« Un journal de mode publie dans sa correspondance, cette réponse à une lectrice : « Rambouillet, petite ville (6.000 hab) assez agréable à habiter, à 1 heure trois quarts de Paris environ. La présence de la caserne des cuirassiers et de l’école des enfants de troupe y apporte une certaine animation. Le principale agrément de la ville est le parc, très grand, très joli et la forêt assez pittoresque. »
On nous permettra de remarquer que les express mettent 1 heure en temps de guerre pour Paris, et les omnibus mettent 1 heure et demie. La ville, très calme toute la semaine pour le grand bien de ceux qui viennent s’y reposer, est animée le dimanche par les touristes beaucoup plus que par une garnison très réduite. Et notre forêt, comme étendue de beauté, est une des plus remarquables de France : ce n’est pas un jardin populeux comme certains bois trop fréquentés, mais un site grandiose, sauvage et très sain.
« La Mode » vante avec raison les environs comme les Vaux-de-Cernay et la vallée de Chevreuse, auxquels on pourrait ajouter Clairefontaine, Poigny, Saint-Léger, Montfort, Grosrouvre et tant d’autres jolis coins, mais nous nous demandons pourquoi elle parle d’un air excessivement vif et humide, d’un froid pénétrant, des hivers rigoureux.
Il existe certainement dans un climat forestier, une fraîcheur que justement les Parisiens recherchent, mais Rambouillet compte moins de brouillards et de pluies que la Vallée de la Seine. La basse ville est construite sur un sol sablonneux où les pluies ne séjournent pas, la haute ville et les environs ont été recommandés comme cure d’air par des spécialistes des maladies pulmonaires. La forêt abat les poussières et régularise le degré hygrométrique de l’atmosphère.
Naturellement il ne fait pas meilleur se promener pendant un orage comme celui de la Pentecôte, que sur les boulevards de la capitale pendant le dégel, mais ces inconvénients se retrouvent partout, même sur la Côte d’Azur ou dans les stations balnéaires et thermales.
Quant aux loyers « assez élevés », dit « la Mode », quoique les pavillons, appartements et chambres ne manquent pas, il y en a à tous les prix. Ce qui manque, ce sont les logements meublés. C’est l’organisation de la villégiature que le Syndicat d’initiative se préoccupait de faciliter avant la guerre. Ce sont les petites villas avec jardin que réclament nos visiteurs, mais qui, étant louées à l’année, ne sont pas disponibles pour trois mois.
Rambouillet est en effet une villégiature d’été jusqu’au jour où le public appréciera les charmes de la forêt sous la neige ou à l’époque où les arbres ne sont pas cachés par les feuilles. Il n’y a donc pas à se préoccuper de la rigueur des hivers, tout le monde ne pouvant se livrer aux sports de patinage, de la chasse à tir et à courre.
La mortalité moyenne est très au-dessous du pourcentage normal; il n’y a pas d’épidémies et le grand air n’ayant jamais tué personne, il faut un peu de patience aux personnes frileuses qui veulent aguerrir leur santé contre les intempéries de la mauvaise saison, et qu’en attendant nous recevrons cordialement sous les ombrages pendant les beaux jours. »
Dont acte !
Certes, on comprend quand même bien, à lire à travers les lignes, que l’hiver à Rambouillet n’était pas particulièrement chaud. On patinait déjà à Noël, comme on le fait aujourd’hui place Félix-Faure, cependant c’était sur les canaux du parc, et il n’était pas nécessaire de créer de la glace artificielle.
Toutefois, comme le fait très justement remarquer l’article : « le grand air n’a jamais tué personne !»
Il est vrai que dans les tranchées de l’Aisne, il y avait bien d’autres façons de mourir, hélas!
Christian Rouet