Le charnier de Montfort-l'Amaury

l’entrée du cimetière

J’aime les cimetières.

Outre leur calme et la variété des monuments funéraires, ce sont de merveilleux livres d’histoire. Où peut-on trouver une évocation d’artistes ou d’hommes politiques plus complète et plus variée qu’au Père Lachaise ?

J’ai raconté l’histoire des cimetières de Rambouillet, celle des tombes des carriers de Maincourt, et évoqué les tombes orthodoxes de la ferme russe de Grosrouvre. Cependant notre région compte bien d’autres cimetières intéressants.

Parmi ceux-ci, l’un des plus connus est le cimetière de Montfort-l’Amaury. Ou plus exactement son charnier, qui pour bien des raisons est unique en France.

Victor Hugo, qui séjourna à Montfort, chez son ami Saint Valry, l’évoque dans son ode 18 « Aux ruines de Montfort-l’Amaury » (livre 5ème d’Odes et ballades).

« Et je vois dans le champ où la mort nous appelle,

Sous l’arcade de pierre, et devant la chapelle,

             Le sol immobile onduler »

Je le cite, en avouant ne pas bien comprendre son oxymore !

Qu’est-ce qu’un charnier ?

Le sujet est macabre, je le confesse, encore que nos ancêtres n’avaient pas la même relation que nous avec la mort…

A l’époque médiévale, l’inhumation se fait, selon les règles chrétiennes, en fosse individuelle, pour les personnages importants, et en fosse commune pour les autres. L’aître, du latin atrium, la pièce principale de la maison romaine, c’est le parvis de l’église, puis l’endroit où l’on enterre les morts. C’est en effet généralement ad sanctos (près des saints), que les défunts sont mis en terre afin de profiter de leur vertu. Le mot cimetière, lieu où l’on dort, utilisé par les clercs finit par supplanter le terme populaire d’aître.

Or, l’église est généralement au coeur de la ville, et la place dont dispose le cimetière est donc limitée, même si les emplacements ne sont pas matérialisés avant le XIXème siècle (sauf pour les notables religieux ou laïcs qui ont le privilège d’être enterrés sous les dalles de l’église, ou dans des chapelles attenantes : l’égalité n’existant pas plus après la mort qu’avant !). A partir de XIIIème siècle on complète donc les cimetières par des charniers.

Le terme vient du latin « carnarium : endroit ou récipient où l’on conserve la viande » attesté en latin médiéval dès le VIIIème siècle. Il désigne d’abord, et paradoxalement, l’ossuaire, lieu où l’on garde les os secs retrouvés dans les tombes, une fois le corps décomposé dans son linceul (l’usage du cercueil était réservé aux riches). La tombe ainsi vidée peut donc être réutilisée.

Par la suite, le terme désigne les galeries construites autour des cimetières les plus importants, pour recueillir ces ossements. En période d’épidémie, le nombre de corps à « traiter » est tel que l’étape intermédiaire de décomposition en terre est supprimée, et les corps sont mis à pourrir dans les combles de ces galeries, avant que les os ne s’en détachent. Je vous épargne les détails, ainsi que les considérations hygiéniques et olfactives…

Toutefois, à partir du XIVème siècle, avec la peur de la décomposition des chairs et de la disparition des corps, l’usage du cercueil se répand dans toutes les couches de la société, ainsi que celui du sarcophage en plomb, pour les plus riches. Tous deux permettent une meilleure conservation du corps. Au XVIIIème siècle on range encore, en partie haute des charniers, les excédents des fosses communes, mais on n’en construit plus de nouveaux.

L’édit royal du 10 mars 1776 oblige les communes à déplacer leur cimetière en dehors de la ville, et la réutilisation des emplacements n’est donc plus nécessaire, sauf absence d’entretien ou réorganisation des lieux. Du reste, à partir de 1840, l’usage des concessions se généralise.

Toutefois c’est à l’époque moderne que le mot charnier est réutilisé, et cette fois il désigne la fosse commune où sont versés les cadavres des victimes d’exécutions sommaires. Il a donc aujourd’hui une connotation encore plus sinistre, dans un contexte de crimes de guerre.

Le charnier de Montfort-l’Amaury

Vers 1491, Anne de Bretagne décide de remplacer la petite église romane Saint-Pierre, du XIème siècle, par une nouvelle et majestueuse église gothique (il ne reste aujourd’hui qu’un pan du clocher de l’ancienne église).

Cette construction se fait aux dépens du cimetière qui entoure l’église. Celui-ci reste cependant suffisant pour les besoins de la paroisse durant près d’un siècle, mais l’accroissement de la ville, et les nombreux décès dus aux épidémies, entrainent sa fermeture au XVIème siècle.

Il est alors déplacé un peu plus au nord, en dehors de la cité, au lieu dit La Brosse, son emplacement actuel.

XVIIIème siècle , plan paroissial

La porte de style gothique flamboyant, sans doute de la fin du XVème siècle, provient d’un autre bâtiment non déterminé. Elle donne directement dans l’angle des deux galeries Sud et Est du charnier.

Une inscription latine gravée en lettres gothiques, aujourd’hui effacée, a été reprise maintenant sur une plaque apposée à la droite de la porte:

Une statue occupait autrefois le centre de l’ogive. Elle a été remplacée en 1850 par des motifs flamboyants.

Une gravure d’avant 1850 (à gauche) retrouvée par F. Lorin met en évidence la transformation (à droite une carte postale des années 1920).

En 1831, cette porte sert de décor pour le troisième acte de l’opéra « Robert le diable » et procure une certaine publicité au charnier de Montfort.

La forme de ces galeries fait naturellement penser à un cloître, et on explique alors l’origine de ce charnier par la transformation d’un ancien cloître. Cette erreur dure longtemps. On la retrouve notamment sur les cartes postales des années 1910-1930, dont la légende est, par exemple, « Montfort-l’Amaury : le cloître transformé en cimetière »… Dans la monographie communale qu’il rédige pour l’Exposition Universelle de Paris de 1900, l’instituteur de Montfort précise même qu’il s’agirait d’un couvent de capucins. Sans doute parce que des célestins, de l’ordre des capucins s’installent effectivement à Montfort vers 1650.

En fait, l’analyse des documents anciens de la ville, et l’étude des galeries, prouvent, sans doute possible, qu’elles ont été construites directement pour leur usage de charnier, et ceci est maintenant souligné dans toutes les documentations.

la galerie Sud

A gauche de l’entrée, la galerie sud est la plus ancienne. La brique y alterne avec la pierre. Son sol était primitivement de 0,80m plus bas, mais il a été remblayé par la suite.

le buste de Ravel

En face de la porte d’entrée, la galerie Est s’allonge sur environ 60 mètres. A sa jonction avec la galerie nord, une ouverture cintrée a offert, à l’origine, une seconde entrée au cimetière. L’élévation de la rue Saint-Nicolas l’a condamnée. C’est là qu’est placé aujourd’hui le buste du compositeur Ravel, qui a vécu à Montfort.

La construction de ces trois galeries commence au début du XVIème siècle. Les mémoires des entrepreneurs, conservés dans les archives de la ville, permettent d’en suivre les progrès : 8300 tuiles en 1598, 24000 en 1607 et les travaux se poursuivent durant le XVIIème siècle  (cité par le comte De Dion, « l’église de Montfort l’Amaury et ses vitraux » SHARY 1902).

Les trois galeries s’harmonisent parfaitement, bien que la galerie sud soit à dominante de briques, et les deux autres, de pierres tendres. Ce sont souvent des matériaux récupérés lors des travaux de l’église : c’est ainsi que l’assise des piliers est parfois constituée de plusieurs morceaux. 

Ces galeries sont complétées par 3 chapelles : une à l’extrémité de chacune des galeries Sud et Nord, et la troisième, qui a été déplacée, est maintenant au centre de la galerie Est. L’ensemble est donc parfaitement symétrique.

Les belles charpentes apparentes soutiennent les toitures de tuiles. Des solives supportaient des planches sur lesquelles étaient entassés les ossements récupérés dans les tombes.

Un accord passé le 2 juillet 1820, met l’entretien du charnier à la charge de la ville, et la paroisse lui abandonne en contrepartie la moitié des frais d’inhumation dans le charnier et les chapelles. C’est donc la ville qui doit consolider vers 1900 les arcades qui menacent ruine. Anatole de Baudot, architecte de l’église de Rambouillet, fait rajouter un contrefort toutes les trois arcades et rétablit ainsi de façon discrète la solidité de l’ensemble.  

deux contreforts, galerie Est

Placées le long du mur extérieur de chacune des galeries, des stèles du XIXème siècle rappellent désormais quelques personnalités locales enterrées dans ce cimetière. Elles ont pris la place qu’occupaient les entassements de crânes et d’os. Le spectacle est moins macabre… et les épitaphes sont toujours intéressantes à lire !

une épitaphe intéressante !

La plus curieuse est sans doute celle de Louis Joseph de la Boëssière, comte de Chambors.

Selon l’usage, sa fille, madame de Polignac, qui fait graver cette stèle, n’omet aucun des titres de noblesse de son père. Il est savoureux de voir qu’elle mentionne aussi le fait que son grand-père a eu l’honneur d’être victime d’un accident de chasse provoqué le 15 février 1755 par monseigneur le Dauphin.
A titre de réparation, le roi lui avait attribué immédiatement une rente de 4000 livres réversible sur sa femme et sur ses héritiers. Elle attendait alors son premier enfant.

Cette pension fut portée à 6000 livres en 1783 et à 10 000 livres en 1789. En 1791, la Révolution, qui avait supprimé les pensions royales décida de maintenir pourtant celle-ci, et son fils la toucha jusqu’à sa mort, le 7 février 1840, malgré les changements de régime successifs.

Sa fille hérita de cette rente (cela méritait bien qu’elle finance cette stèle !), puis après elle, ses deux enfants, le comte de Sainte-Aldegonde et la marquise de Champagne Bongers, se la partagèrent.

A la mort du comte de Sainte-Aldegonde, en 1902, la marquise demanda à bénéficier de la rente de feu son frère, mais le gouvernement prit mal cette demande et annula purement et simplement l’ensemble de la rente. Le décès de la marquise intervint avant que la justice ne se soit prononcée sur son recours.

D’après des calculs de l’époque, rapportés par F. Lorin, ce coup de fusil, indemnisé durant trois générations, aurait coûté 900 000 francs à la France, soit environ… 365 millions d’euros.

La chasse est décidément un sport coûteux, et l’on comprend que notre pays ait perdu l’habitude détestable de tenir ses engagements !

Je n’ai pas parlé du cimetière lui-même.

hier …

On voit sur cette carte postale d’avant guerre, que les tombes n’occupent alors qu’une bande de terrain limitée à environ deux fois la profondeur des galeries du charnier. Vers 1875 le cimetière s’agrandit d’un jardin offert par le propriétaire voisin, en l’échange d’une concession perpétuelle. Cependant, en 1969, il faut à nouveau repousser les murs.

C’est le moment de rappeler l’observation très pertinente de Marc Twain : « il n’y a rien de plus inutile qu’un mur de cimetière : ceux qui y sont ne peuvent en sortir, et ceux qui n’y sont pas ne cherchent pas à y aller… »

La législation actuelle impose l’ouverture d’un cimetière en dehors de la ville, mais Montfort tient à le conserver sur son lieu actuel, et obtient une autorisation dérogatoire exceptionnelle en raison de l’existence de son charnier, classé monument historique depuis 1875.

La ville achète donc les jardins qui prolongent le cimetière, en terrasse, au grand dam de certains habitants qui voient, en juillet, commencer les travaux qu’ils ont, en vain, cherché à bloquer.

Aujourd’hui le cimetière a ainsi doublé de surface.

aujourd’hui

Et le charnier ?

C’est maintenant un lieu de promenade, plein de charme, qu’empruntent les visiteurs pour aller se recueillir sur la tombe de Charles Aznavour…

Christian Rouet
octobre 2022

Cet article a 3 commentaires

  1. Evelyne PAPILLARD

    Passionnant, merci

  2. Malherbe Michel

    Article remarquable. Bien documenté et digne du plus grand intérêt. Bravo !

  3. Anonyme

    très intéressant, merci
    J. Noyelle

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