Breteuil
Sans doute avez-vous déjà fait partie des quelque 120 000 visiteurs annuels du château de Breteuil, au sud de Choisel, 5ème destination touristique d’Yvelines en 2023, derrière Versailles, la base de plein-air de Saint-Quentin, Thoiry et France-miniature ?
C’est la promenade à laquelle je vous convie aujourd’hui, en remontant à son origine, et en rencontrant quelques uns des membres illustres de la famille Le Tonnelier de Breteuil, qui le possède depuis 1712.
A l’origine
Dominant la vallée de Chevreuse, Bevilliers (ou Bevillers sur la carte de Cassini) à l’extrémité sud du village de Choisel tient probablement son nom de l’existence de deux fermes à l’époque gallo-romaine (bis villae).
Au XIème siècle, un château fort dont il ne subsiste que le colombier succède aux fermes et passe entre les mains de plusieurs propriétaires jusqu’à Nicolas Le Jay, conseiller, notaire et secrétaire du Roy. Sans doute est-ce lui qui fait construire un nouveau château sur l’emplacement du précédent, avec son plan actuel : une cour carrée, des fossés, un pavillon d’entrée avec pont-levis…
A moins que cette construction n’ait été réalisée par Thibault Desportes, Grand Audiencier de la Chancellerie de France, qui se rend acquéreur par adjudication du domaine en 1596.
A sa mort, c’est son beau-frère Pierre de Chanteclerc qui hérite du domaine, puis sa belle-soeur Marie Renouard, et le fils de celle-ci : Charles Renouard de Bévilliers.
Charles Le Tonnelier de Breteuil reçoit en donation le domaine en 1712, et le château reste dans cette famille jusqu’à aujourd’hui.
La famille Le Tonnelier de Breteuil
En 1572, Jean Le Tonnelier est anobli par son achat d’une charge de secrétaire du roi Charles IX. Il devient ainsi seigneur de Conti en Picardie et de Breteuil en Beauvaisis. La famille Le Tonnelier de Breteuil connaît un destin brillant. Parmi ses membres, on peut citer :
François Le Tonnelier de Breteuil (1638-1705). Il est fait marquis par Louis XIV, et son titre disparait faute d’héritiers. La branche cadette obtient les titres de comte de Breteuil et de l’Empire, puis de baron de Breteuil et de l’Empire, qui disparaissent ensuite, et elle conserve aujourd’hui celui de baron, obtenu en 1824.
Cependant, les barons de Breteuil sont couramment désignés « marquis de Breteuil » : simple marque de courtoisie, comme la République sait en utiliser de façon inattendue.
Louis Le Tonnelier de Breteuil a, le premier, rang de ministre, devenant en 1657 Contrôleur général des finances, sur proposition de Mazarin. Colbert, qu’il initie aux comptes de la nation, lui retire sa charge en 1665, mais Louis de Breteuil reste conseiller d’Etat jusqu’à sa mort en 1685.
Son petit-fils, François-Victor, protégé du cardinal Dubois, devient ministre de la guerre en 1723. Il perd son poste à la mort de son protecteur et du Régent, mais le récupère en 1740 et devient ministre d’Etat en 1743, un mois avant son décès.
Louis-Auguste Le Tonnelier de Breteuil est ambassadeur de France en Russie, en Suède, aux Pays-Bas, en Autriche. Il sert ainsi Louis XV puis Louis XVI. Médiateur durant la guerre de succession de Bavière, il négocie le traité de paix de Teschen à la satisfaction des deux partis, et reçoit en cadeau la superbe table sur laquelle a été signé le traité.
Sous la Révolution, il cherche à organiser la fuite du roi, puis à obtenir l’intervention des souverains étrangers, mais échoue. Il rentre en France en 1802 et meurt dans le dénuement en 1807. Paris lui a dédié une place et une avenue. Et le pavillon où il habitait lorsqu’il gérait le domaine de Saint-Cloud (et qu’il n’a pas pu récupérer après la Révolution) porte toujours son nom.
Citons aussi Gabrielle Emilie de Breteuil, qui sera Marquise du Châtelet, reconnue dans le monde scientifique pour avoir traduit et commenté les Principes Mathématiques de Newton, et fait connaître l’oeuvre physique de Leibniz. Et connue aussi pour avoir été durant quinze ans la maîtresse de Voltaire. Une personnalité hors du commun !
L’article que Wikipedia consacre à cette noble famille ne passe pas sous silence le destin de Jean de Breteuil, surnommé « le junkie aristo ». Fournisseur de drogue du show business il connaît une triste notoriété pour avoir fourni une dose mortelle à Jim Morrison en juin 1971. Il meurt l’année suivante d’une overdose.
Le château
Il a conservé son plan initial : une cour carrée, entièrement enserrée de murs ou de constructions et bordée de fossés. A l’entrée, deux pavillons d’angle autour de la grille centrale; en fond de cour, sur toute la largeur, un grand bâtiment de style du XVIIe siècle, avec sa structure en brique et remplissage sous enduit.
Il a connu à plusieurs époques d’importants travaux. Au XVIIIème siècle Claude Stanislas Le Tonnelier de Breteuil transforme l’intérieur et agrémente son parc de bosquets et de fabriques.
Sous l’Empire, Charles de Breteuil fait crépir les façades en blanc, dans l’esprit de la Malmaison, et crée un jardin à l’anglaise dans le goût de l’époque.
Joseph, son fils, dote le château d’une nouvelle chapelle. Il fait démolir les communs qu’il juge trop proches du château, n’en conservant que le pigeonnier féodal, et fait construire en 1874 les nouvelles dépendances actuelles, en pierre meulière.
Son fils Henri poursuit l’amélioration du château, le dotant vers 1910 de l’électricité, chauffage central, eau courante, et construit les nouvelles cuisines en sous-sol que l’on visite encore aujourd’hui. Il revient à la tradition du jardin à la française, et les façades se reflètent maintenant dans un élégant miroir d’eau.
Occupé durant la seconde guerre mondiale, le château, récupéré par François fils d’Henri de Breteuil, nécessite de gros travaux de remise en état, et son propriétaire préfère le mettre en vente en 1958. Mais le château ne trouve pas preneur, et finalement c’est son fils, Henri-François, l’actuel propriétaire qui en hérite.
Une exploitation commerciale
Entretenir un tel patrimoine exige des revenus considérables. Henri-François et son épouse Séverine Decazes restaurent le château à partir de 1967, et pour le rentabiliser, ils l’ouvrent au public en 1969.
Les visiteurs apprécient tout d’abord la beauté du site : les jardins à la française, le « jardin des princes » classé jardin remarquable, le labyrinthe de verdure ou ses arbres majestueux au sous-bois fleuri.
Et puis il y a le château, son mobilier, ses oeuvres d’art. Pendant longtemps la pièce maîtresse en était la table de Teschen, une table orfévrée de « bronze doré sur âme de bois » comportant 128 pierres précieuses dites « pierres dures » et médaillons en porcelaine de Meissen. Aujourd’hui elle est remplacée par une copie (d’excellente qualité) l’original ayant été vendu au Louvre en 2014 pour plus de 12 millions.
Une petite anecdote : lorsque les troupes d’occupation quittent Breteuil, la table n’est plus dans le château. Un vol compréhensible, compte tenu de sa valeur ! Mais la table reprend sa place quelques jours après : un domestique du château avait pris l’initiative de la dissimuler dans le parc, et les Allemands n’ont jamais connu son existence !
Mais il faut offrir plus, et notamment attirer les enfants. Des personnages créés part le musée Grevin proposent donc des tableaux des contes de Perrault : le Chat Botté, Peau d’Ane etc… A dire vrai, le rapport entre Charles Perrault et le château de Breteuil n’est pas évident. Il est justifié par le fait que le fabuliste a travaillé avec Louis de Breteuil, au ministère de Colbert.
Les adultes ont aussi leurs personnages de cire, illustrant cette fois des épisodes de la vie de quelques membres de la famille de Breteuil, ou d’événements liés au château. Là aussi, le lien n’est pas toujours évident. On y voit même Proust, dont il est affirmé que son héros Hannibal de Bréauté serait inspiré de Henri de Breteuil, ce que la similitude d’initiale rend possible, mais pas du tout certaine. Mais qu’importe, puisque cela donne un intérêt supplémentaire à la visite.
Et le succès est au rendez-vous depuis des années.
Il est également possible de louer des salles, pour des événements privés. Pendant un temps, M de Breteuil avait même eu l’idée de recevoir de riches japonais pour un « mariage français ». Accueillis en calèche à la gare de Rambouillet, ils étaient reçus au château, dînaient à la table des châtelains, renouvelaient leurs voeux de mariage dans la chapelle, et après un weekend de rêve, repartaient avec un VHS à montrer à leurs amis.
Aujourd’hui l’exploitation a surmonté les pertes liées à la Covid. Mais le château va avoir un nouveau concurrent de poids, à Dampierre, et le château de Rambouillet se montre de plus en plus attractif.
Il va donc falloir que Breteuil continue à faire preuve d’imagination pour continuer à enchanter ses visiteurs.
Christian Rouet
juin 2024