La Maison de Santé de Vieille-Eglise
De nos jours chaque projet immobilier, chaque implantation fait l’objet de longues concertations avec les riverains. Des associations de défense se créent, souvent pour de bonnes raisons, parfois pour de moins bonnes, et avec la conviction que le projet serait encore meilleur … s’il était installé chez le voisin.
Des négociations s’engagent, car passer en force est devenu quasi-impossible. Des aménagements donnent parfois satisfaction aux opposants, et le projet peut aboutir. Il peut aussi être définitivement écarté.
Ces procédures ne retardaient certainement pas les projets royaux sous l’Ancien Régime. Pour autant, elles ne sont pas récentes : c’est une loi de 1833 qui a introduit l’enquête préalable (dite de « commodo et incommodo ») pour la Déclaration d’utilité publique (ou DUP).
Pour illustrer la difficulté de plaire à tout le monde, et montrer que ces problèmes se posaient déjà au siècle dernier, je voudrais évoquer ici la construction de la « Maison de santé de Vieille-Eglise », rendue possible par une concertation constructive avec le promoteur.
Vieille-Eglise-en-Yvelines
Cette petite commune, mitoyenne du quartier de la Clairière, ne comptait que 207 habitants en 1936. L’économie reposait sur de rares cultures et un peu d’élevage, et sur l’extraction de la meulière, abondante dans son sous-sol. Ses terres étaient surtout des terrains de chasse, que se partageaient le Comte Potocki et le baron de Rothschild, ainsi que l’équipage de chasse à courre de la duchesse d’Uzès.
L’instituteur qui rédigea la nomenclature de Vieille-Eglise pour sa présentation lors de l’Exposition Universelle de 1900, n’était guère optimiste quant au développement d’un territoire qu’il voyait comme « ce qu’il a toujours été et ce qu’il a bien des chances d’être encore longtemps » !
C’est dire qu’un projet de clinique psychiatrique, nécessitant des travaux, et employant ensuite plusieurs centaines de salariés, aurait dû enthousiasmer les Abattiens et Abattiennes. ( ah, je vous ai appris quelque chose ? ).
Nous allons voir que ce ne fût pas aussi simple !
Le projet
Depuis deux ans le Conseil général de la Seine, cherche à construire un asile d’aliénés sur le territoire de Vieille-Eglise. Un emplacement conviendrait : le lieu-dit Clérambaux, occupé plusieurs siècles avant par un monastère dont il ne reste aucune trace. L’ancien propriétaire, le comte Potocki, a cédé le terrain à divers propriétaires qui ont été approchés discrètement.
En 1936 le projet est sur le point d’aboutir, et une société a déjà été retenue pour les travaux. Quand les Abattiens le découvrent, les réactions sont vives au terme d’asile d’aliénés.
Ecoutons les arguments des pro et des anti.
Les premiers :
« Il n’est pas possible qu’une construction qui coûtera 30 millions, ne permette pas à des ouvriers chômeurs de trouver du travail, alors même que les entrepreneurs seraient de Paris ou d’ailleurs.
De plus il faudra pour assurer le fonctionnement de l’asile (1 200 internés), un personnel de 320 à 350 personnes. Il est impossible que le commerce local ne soit pas favorisé par au moins une partie de ce personnel. »
Et de conclure « Il y a tout intérêt, et pour tout le monde, à ce que cet asile soit construit et fonctionne, d’autant plus que dans les villes où il en existe – en plein centre des villes– jamais on n’eut à déplorer d’incidents. » (cité dans le Progrès de Rambouillet du 17 janvier 1936)
Sans doute, rétorquent les autres, mais …
« Cet asile, s’il était installé à Vieille-Eglise, serait la cause de l’abandon des touristes dans notre région. Les promeneurs ne viendraient plus à Rambouillet ou dans les forêts voisines. De plus, aucun intérêt pour les commerçants, tous les achats pour l’asile, étant fournis par des coopératives du département de la Seine.
Les ouvriers eux-mêmes viendraient de Paris pour la construction. Et puis il faut craindre des incidents avec les malades que l’on peut laisser sortir. »
Pour les adversaires du projet, il s’agit d’une « affaire montée par un ou deux propriétaires de terrain, soucieux avant toute de faire une affaire. » (même source)
Des réunions d’information sont organisées pour confronter les points de vue, et M. Brandon, mandataire de la société qui doit édifier l’établissement, prend publiquement les engagements suivants:
- « 1– les entrepreneurs de travaux publics de Rambouillet et de sa région seront appelés à soumissionner aux travaux en concurrence avec une Société générale d’entreprises de Paris, et en qualité de sous-traitants, si leurs devis sont inférieurs à ceux de la Société d’entreprises générales, la totalité des travaux leur sera confiée.
Au cas où les conditions offertes par la Société générale d’entreprises seraient plus avantageuses, un quart des travaux lui serait confié, les 3 autres quarts devant être exécutés par les entrepreneurs locaux.
- 2—L’exécution des travaux pour tous les corps d’état sera tout d’abord, et par préférence, réservée à la main d’oeuvre disponible de Rambouillet et la Région.
Ce n’est qu’après résorption du chômage dans les industries du bâtiment, que la Société pourra rechercher ailleurs la main d’oeuvre nécessaire.
- 3– De même le personnel assurant le fonctionnement de l’établissement sera recherché parmi la population de Rambouillet et sa région, et les offres d’emploi lui seront d’abord réservées.
- 4– Enfin M. Brandon s’est également engagé au nom du groupe qu’il représente, à rechercher par mi les commerçants de Rambouillet et sa région, les fournisseurs pour tous les besoins d’approvisionnement de l’établissement (ces approvisionnement étant répartis par voie d’adjudication, une entente parfaitement réalisable entre les commerçants, cultivateurs, maraichers permettra à leurs collectivités respectives d’assurer le ravitaillement de tous les besoins de l’asile projeté, ce qu’individuellement ils ne pourraient faire.) »
On voit combien ces engagements garantissent des retombées économiques intéressantes pour la région de Rambouillet. Rares sont aujourd’hui les implantations qui promettent autant aux collectivités locales !
Le 25 janvier 1936, à l’issue de la réunion d’information qui donne toutes ces précisions à plus de cinq cents personnes venues en débattre, une large majorité se prononce en faveur du projet, et une pétition est signée afin « qu’il soit fait tout le nécessaire par tous les groupements et autorités locales pour faciliter l’édification de la Maison de Santé de Vieille-Eglise, ceci dans l’intérêt général de la Région Rambolitaine ».
Les mots ont leur importance : comme on le voit, le terme officiel « asile d’aliénés » a été remplacé dans cette pétition par celui de « Maison de Santé ». Il est beaucoup moins impressionnant !
En latin « asylum » désignait un lieu sacré, ( en grec « asulon ») et l’asulia correspondait au privilège juridique accordé à certaines personnes pour garantir leur sécurité ( les ambassadeurs par exemple, ou les athlètes au moment des Jeux Olympiques…) . D’où notre droit d’asile.
En 1859 le terme d’asile s’applique aux établissements de bienfaisance servant de retraites aux infirmes, aux vieillards, en concurrence avec les termes d’hospice et d’hôpital. Il est ensuite étendu aux crèches, garderies d’enfants, orphelinats, et surtout aux établissements recevant les aliénés : ce que le grand public appelle un asile de fous !
Et c’est en 1938 que l’expression « asile d’aliénés » est remplacé dans la terminologie administrative par celui « d’hôpital psychiatrique ». Un article publié en 1939 (voir plus loin) utilise d’ailleurs ce terme.
A la suite de cette pétition, on pourrait croire que le projet va pouvoir être mené à bien.
Il n’en est rien, car six conseillers municipaux, adversaires irréductibles du projet, démissionnent et il faut procéder à de nouvelles élections le 16 février 1936. Cependant la population a fait son choix : les membres du conseil, favorables au projet, sont réélus à une très forte majorité.
Le 25 février le nouveau conseil municipal de Vieille-Eglise, siégeant pour la première fois depuis son élection en séance extraordinaire, vote à l’unanimité la résolution suivante :
«…Considérant que cette création apportera à la commune un renouveau d’activité et un bien être profitable à tous,
approuve la construction dudit asile et demande aux Pouvoirs publics d’appuyer leur projet. »
Le 12 juin, pour mieux se couvrir, le préfet juge utile d’organiser un référendum local, et recueille ainsi les dernières observations.
Il peut ainsi prendre son arrêté d’autorisation des travaux. sans crainte de nouvelle opposition.
Baroud d’honneur : jusqu’au bout les opposants au projet multiplient les fausses informations, et cherchent à dresser la population contre le projet. D’où la mise au point ci-dessous, publiée par le conseil municipal de Vieille-Eglise.
Pour souligner que ce type d’établissement n’avait pas bonne presse, et que toutes les négociations ne se terminaient pas aussi bien, je relève qu’un projet similaire, prévu en 1939 à l’Agio sur le territoire des communes de la Verrière, Maurepas et Elancourt, a été soumis pour avis à la Chambre de Commerce et d’Industrie, consultée par le Préfet de Seine-et-Oise.
Voici, ci-contre, les arguments qui l’ont amené à s’y opposer catégoriquement.
On l’a compris : mettre les « fous » au bord d’une route nationale (son trafic n’était naturellement pas celui d’aujourd’hui !) ne risquait pas d’être une gêne pour l’hôpital, mais seulement mauvais pour les affaires, en éloignant les touristes.
On mesure ici combien notre époque a évolué ! Aujourd’hui aucun riverain ne s’opposerait sans doute à l’installation d’un établissement de santé par peur de voir fuir les touristes…
Comment ?
Pourquoi s’opposer à l’implantation d’un « centre d’accueil de … » ? Ah, mais ça c’est différent ! Pour le coup, effectivement, installer ces gens là ici, ferait fuir les touristes. Il faut les installer ailleurs, dans l’intérêt de tous, et même du leur !
En tous cas, après toutes ces controverses, le chantier de la « Maison de santé de Vieille-Eglise » avance rapidement, et l’établissement ouvre en 1937, avec près de 250 salariés.
Quelques vues des travaux :
La Clinique d’Yveline
La Maison de santé fonctionne de façon satisfaisante pendant des années, mais elle connait en 1982 – 1983 des difficultés financières qui l’obligent à déposer son bilan en 1984, et à négocier un étalement de créances avec ses fournisseurs.
Cet accord est homologué par le tribunal en 1986, mais la Ville de Paris dénonce alors la convention qui la lie à cet établissement depuis 1972, jugeant plus intéressant de travailler uniquement avec l’hôpital Sainte-Anne, et sans doute inquiète par la fragilité financière de la Maison de santé.
Après plusieurs années difficiles, durant lesquelles son avenir demeure incertain, la clinique entre en 1991 dans le groupe MEDIPSY, filiale du groupe Générale de Santé. L’établissement est alors entièrement réorganisé.
En 1995, la Clinique est rebaptisée Clinique d’Yveline. C’est son nom actuel.
En 2015, le groupe Générale de Santé devient Ramsay Générale de santé,
leader européen de l’offre globale de soins. Aujourd’hui, la Clinique d’Yveline est classée comme « clinique psychiatrique privée, de Catégorie A ».
Elle dispose de 12 places en hôpital de jour, et de 145 lits en hospitalisation. Une équipe médicale de 9 psychiatres, 1 médecin généraliste, 1 neurologue et un effectif de 86 personnes assurent de façon coordonnée la prise en charge du patient ainsi que de leur entourage.
Et les touristes n’ont pas fuit !
Christian Rouet
Annexe : les asiles d’aliénés
« Le premier hôpital psychiatrique est fondé à Bagdad en l’an 705, et les asiles psychiatriques ont été bâtis à Fès au début du VIIIe siècle, au Caire en l’an 800 ainsi qu’à Damas et Alep en l’an 1270. Les patients étaient bénévolement traités à l’aide de bains, médicaments, musiques et autres activités thérapeutiques. Le plus ancien « asile des fous » en Europe est l’hôpital de Bethlem, ouvert en 1247 dans la banlieue de Londres et toujours en fonctionnement aujourd’hui. » (Wikipedia)
En Europe, jusqu’au milieu du XXème siècle, les asiles d’aliénés tiennent plus de la prison que de l’hôpital. Et pour cause ! La science ne sait, ni comprendre les troubles dont souffrent les « fous », ni encore moins, les traiter.
Ces établissements sont donc destinés essentiellement à protéger la société du danger que peuvent représenter des individus au comportement imprévisible.
Des méthodes comme la saignée, l’utilisation de purgatifs, de sédatifs (du bromure de potassium, des vomitifs ou de l’eau), la balnéothérapie pour ses vertus relaxantes (techniques relevant de la théorie des humeurs) côtoient des méthodes violentes, et l’isolement avec camisole de force est souvent le seul moyen de calmer un aliéné.
Les médecins ont tout pouvoir pour décider d’un internement – souvent à la demande de la famille– de sa durée et de ses conditions. Sans procédure de contrôle, tous les abus sont possibles. La plupart des internements sont à vie, car les traitements utilisés ne font qu’aggraver l’état des internés.
Parmi tous les anonymes qui finissent leurs jours dans un asile, on trouve des noms connus comme le marquis de Sade, Guy de Maupassant, Georges Feydeau ou Camille Claudel…
L’évolution de ces établissements est lente:
« Étant donné que les pratiques utilisées à l’intérieur des murs de ces asiles sont cachées de la société, le gouvernement ne prend pas conscience des changements à faire au niveau du personnel et n’envoie pas d’enquêteur sur place.
C’est seulement en 1961 que les pratiques ont commencé à changer lorsque l’écrivain et ancien patient Jean-Paul Pagé sort son roman intitulé «Les fous crient au secours». Pagé critique les mauvais traitements infligés aux patients des hôpitaux psychiatriques et les changements qui doivent être mis en place dans ceux-ci. Cette sortie de roman pousse donc les professionnels en psychologie à enquêter dans les asiles psychiatriques. » (Wikipedia)
Aujourd’hui, si elle s’est considérablement améliorée, la situation est encore loin d’être satisfaisante. Il suffit de lire à ce propos le rapport de la Contrôleuse Adeline Hazan sur l’hôpital psychiatrique du Rouvray publié en 2019.
Et l’on sait que les mêmes débats sont relancés chaque fois qu’un malade mental, interné à la suite d’un délit ou d’un crime, puis considéré comme guéri, récidive après sa sortie. Quant à la notion d’irresponsabilité pénale pour trouble psychique, elle est loin de satisfaire l’opinion publique (et surtout pas les victimes!).
Ch.R.
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Effectivement, cet établissement dit « de santé » ressemblait plutôt, lors de son ouverture, à un établissement carcéral. Mais ce fut tout de même un pas en avant vers une meilleure prise en charge des patients.