Les glacières

En cette période de fêtes, malgré l’offre abondante de produits frais dont nous bénéficions à Rambouillet, avec notre marché bi-hebdomadaire, nos magasins du centre-ville et nos grandes surfaces, le congélateur de la maison est plein.

Le magasin Picard est plutôt froid ? A l’évidence ceci ne nous arrête pas, et le développement de l’enseigne depuis la création par les frères Bajante des Glacières de Fontainebleau en 1906 semble indiquer que nous ne sommes pas les seuls à nous laisser tenter par leur offre.

Comment vivions-nous avant d’avoir un congélateur ? Et nos parents, avant d’avoir un frigidaire ?

Ce sont les quelques glacières encore visibles dans le parc du château de Rambouillet ou dans celui de Pinceloup à Sonchamp que je voudrais évoquer ici, après quelques rappels.

En remontant le temps

Souvenir personnel : notre frigidaire a été l’un de nos tous premiers achats, lors de notre mariage… en 1969. Il possédait un tiroir à glaçons. Quand les premiers plats surgelés sont apparus, il était possible d’en conserver dans ce compartiment durant un jour ou deux. S’il n’était pas décongelé régulièrement, ses parois se chargeaient d’une épaisse couche de glace qui finissait par l’obstruer totalement.

Pour être précis, c’était un réfrigérateur de marque Frigeco. Cependant, la marque Frigidaire, créée par Général Motors avait eu un tel succès que leur nom était devenu un nom commun. C’est même l’exemple que l’on donne quand on veut expliquer ce qu’est un onomastisme !

Il me semble que ce frigidaire n’était guère différent de celui de mes parents. Ils avaient un Kelvinator. Dans les publicités du cinéma, à un personnage qui avouait sa peur en disant « ça jette un froid… » un voix d’outre-tombe répondait « ah non ! Le froid c’est moi… Kelvinator ! » J’adorais cette publicité !

Ma grand-mère, à la campagne, est restée jusqu’au bout fidèle à son garde-manger : une armoire entièrement grillagée, en mailles assez fines pour arrêter les plus petites des mouches. Placé dans une cave, à défaut de produire du froid, il maintenait les aliments à une température assez basse pour les conserver quelques jours à l’abri des rongeurs. 

À quelques mètres sous la surface du sol, la température se stabilise toute l’année et correspond à la moyenne annuelle de la température extérieure dans la région. En France, cette température est généralement comprise entre 10 et 13 °C. Toutes les maisons individuelles qui le pouvaient ont donc possédé une cave, notamment pour y conserver le vin à température constante.

La glacière

En résumé, une glacière n’était rien de plus qu’une cave optimisée pour que la glace déposée durant l’hiver n’y fonde pas.

« On sait qu’il suffit d’enfouir de la glace à une certaine profondeur, dans ces espèces de caves ou de puits larges que l’on appelle glacières, recouvertes de substances qui se laissent difficilement pénétrer par la chaleur (paille ou chaume), pour conserver cette glace jusqu’au milieu des plus grandes chaleurs de l’été. Ajoutons à cela une entrée tournée au nord. » Extrait du « Magasin pittoresque » (1855).

LLeur principe est connu dès l’Antiquité, cependant les Français ne s’en sont équipés que tardivement.

On raconte que lorsque François 1er rencontra Charles-Quint et le pape Paul III à Nice, en mai 1538, son médecin fut surpris de voir qu’on faisait venir des morceaux de glace des montagnes proches de la ville, et qu’on en mettait des morceaux dans le vin pour le rafraîchir.

Sous le règne de Henri III les Parisiens ont commencé à se régaler de boissons glacées. Les Italiens avaient trouvé la possibilité de rendre l’eau très froide par une solution de nitrate de potasse. C’est un Florentin, Procope (Procopio dei Coltelli ) qui se rendit célèbre à Paris par son café et ses glaces mousseuses au suc de fruits dont le succès ne s’est jamais démenti. Elles impliquaient l’utilisation de lait, de crème, de sucre et d’arômes (vanille, cannelle, citron). Ces ingrédients étaient refroidis en les plaçant dans des contenants en métal entourés de glace et de sel, ce qui abaissait la température nécessaire pour les solidifier.

glacière du Petit Trianon, à double entrée

Sous Louis XIII le nombre de glacières augmente. Tous les châteaux veulent en avoir. Louis XIV en possède 13 dans le domaine de Versailles (il en reste 2 au Petit Trianon et une à Sartory). Elles ont de 10 à 30 mètres de profondeur. Des ouvriers cassent la glace des canaux, l’hiver, et les déposent dans ces glacières après avoir garni les parois de paille pour mieux les isoler. Entre chaque couche de glace on jette de l’eau, qui se congèle aussitôt. Des planchers de bois lestés de pierre maintiennent compressées les couches de glace.

L’entrée de la glacière est toujours orientée au nord, et parfois, un sas, entre deux portes améliore encore son isolation.

« La grande glacière du château de Chantilly faisait 9,25 mètres de diamètre et 11 mètres de profondeur, la fonte naturelle pouvait représenter jusqu’à cinq cents kilogrammes de glace par jour, mais elle pouvait en contenir six cents tonnes.»(Wikipedia)

les glacières Jamais à court d’imagination pour enrichir le Trésor, Louis XIV, en 1659, promulgue le privilège national de la Glace. Il donne permission de faire construire et bâtir des glacières en tous lieux et endroits du Royaume et d’y vendre de la glace, mais en acquérant un privilège, transmissible à ses enfants, et moyennant une taxe sur les ventes. Les particuliers sont autorisés à avoir librement des glacières, mais réservées à leur seul usage.

L’usage des glacières était double. En premier lieu, elles fournissaient de la glace : extraite de la glacière elle était transportée dans des seaux ou des blocs vers des lieux spécifiques, comme les cuisines, les caves ou des armoires réfrigérées (ancêtres des réfrigérateurs). Cela permettait de conserver les aliments ou de rafraîchir des plats ou des boissons.

Mais parfois, et notamment lorsque la glacière était à proximité immédiate de la maison, certains aliments étaient directement entreposés dans la glacière. Dans ce cas, ils n’étaient jamais en contact direct avec la glace pour éviter qu’ils ne soient détrempés, mais placés dans des caisses ou suspendus à des crochets.

Le nombre de lieux-dits, de rues, de sentes dont le toponyme est « glacières » est significatif. Pour n’en citer que quelques uns, en Yveline : la rue et l’impasse des glacières à Versailles, la glacière près de Saint-Léger, le chemin de la glacière qui conduit au lieu-dit la glacière à Saint-Rémy-lès-Chevreuse, la rue de la glacière à Rochefort-en-Yvelines, etc…

De création plus récente, Rambouillet dispose aujourd’hui dans le parc, d’un Parcours des glacières entre le château et la Laiterie de la Reine…

Dans la description des châteaux ou des propriétés de la région, il est rare de ne pas voir mentionnées une ou plusieurs glacières.

Par exemple, dans des articles de l’Annonciateur, lors de la mise en vente du château de Voisins « derrière lesdites serres chaudes, une glacière et un pavillon chinois… » (2 décembre 1830) »; dans celle du domaine des Hautes Bruyères : « …glacière construite en maçonnerie, recouverte en terre, et formant à l’intérieur deux berceaux voûtés… » (2 avril 1835); dans celle du domaine du Bel-Air au Bois-Nivet (près de Montfort-l’Amaury) : «… orangerie, glacière en très bon état et abondamment garnie…» (23 juillet 1840); au château de Groussay « … parc, communs, glacière, serres et pavillons… » (11 juin 1846)…

Au XIXème siècle la glace devient plus accessible, grâce à l’essor des transports qui la livrent de la montagne ou des pays froids. Les glacières restent utilisées pour la stocker. La déperdition, grâce à de meilleures techniques d’isolation n’y dépasse pas 1/20ème. C’est l’époque où le livreur de glace apporte dans sa carriole, puis dans son camion de grands pains de glace qu’il fait glisser avec un grand crochet avant de le débiter au gré de son client.

le marchand de glace

Durant l’année 1865, pour des raisons climatiques, la glace est plus rare. La presse parisienne signale alors que tous les glaciers de Paris se sont entendus pour porter le prix de la glace sucrée, qui était restée à 1franc pièce depuis Procope, à 1,25 franc. On parlerait aujourd’hui d’entente illicite !  

Les dernières glacières du sud Yvelines

On a conservé peu de ces glacières, leur intérêt architectural était, par nature, beaucoup plus limité que leur intérêt culturel.

Je citerai donc seulement les deux glacières du château de Rambouillet et celles de Sonchamp.

cadastre Napoléonien les glacières du parc de Rambouillet

Dans le parc du château, celles de Rambouillet ont été installées au XVIIème siècle entre le château et la Laiterie.

Leur entrée est naturellement bouchée. On en devine seulement la masse, recouverte de végétation.

Il faut emprunter le sentier de découverte et de détente, dit « parcours des glacières » (actuellement en transformation) pour passer au bord de la première. On découvre la seconde, à gauche de la route, en montant vers la Bergerie.

Plus originales sont celles du château de Pinceloup, à Sonchamp.

En 2018, un équipe de jeunes volontaires de l’association Études et Chantiers est venue les dégager. L’une de ces glacières se présente sous la forme d’un silo maçonné. L’autre avait une entrée maçonnée, mais la glace était conservée dans un puits surmonté d’une armature en métal. Elle était jadis recouverte de tuiles, mais aujourd’hui n’en subsiste que l’armature métallique. 

Pinceloup
photos Renaud Vilafranca pour Actu 78

Les temps modernes

Avec le développement des matériaux d’isolation, le terme « glacière » a cessé de désigner un « Grand creux fait en terre, & ordinairement maçonné, & recouvert de paille, pour y conserver de la glace ou de la neige, afin de boire frais.» (4ème édition du dictionnaire de l’Académie de 1472) pour désigner aujourd’hui un « Meuble ou récipient isotherme contenant de la glace, et où l’on conserve des aliments, des boissons. » ( 9ème édition du dictionnaire de l’Académie de 2000)

Ces meubles apparaissent dans la seconde moitié du XIXème siècle. On y dépose de la glace dans un compartiment, où elle doit être changée tous les 3 ou 4 jours. Les aliments sont conservés au froid dans des compartiments voisins.

Le réfrigérateur est l’étape suivante de son évolution : il n’est plus nécessaire d’y mettre de la glace, puisque son mécanisme produit du froid, sur le principe de la pompe à chaleur.

Cependant, la glacière continue d’exister sous la forme de récipients portatifs aux parois isolantes utilisés, par exemple, pour un pique-nique. On y dépose des accumulateurs de froid qui ont été refroidis préalablement dans un congélateur, et la glacière met plusieurs heures avant de revenir à la température extérieure.

Et pour terminer, quelques chiffres pour une application de la glace qui n’a cessé de nous enchanter, depuis Procope : le dessert glacé. En 2024 on recensait 728 glaciers en France métropolitaine. La crème glacée est le type de glace le plus consommé par les Français (41% des consommateurs), suivi par la glace à l’italienne (33%), puis les sorbets (22%). Et parmi les formats les plus appréciés par les consommateurs en France, le bâtonnet est en tête, consommé par 63.5% des foyers acheteurs de glace.

Qui se souvient de l’époque où seules les ouvreuses en proposaient au cinéma durant l’entr’acte : « esquimaux, chocolats glacés… Demandez !»

Un Français mange en moyenne 6 litres de glace par an. Mais dans ce domaine nous sommes loin derrière les Néo-Zélandais, champions du monde avec 27 litres par personne ! Alors, qu’attendez-vous ?

Christian Rouet
janvier 2025

Cette publication a un commentaire

  1. Olivier Dufournier (SARRAF)

    Encore un article remarquable, fort bien documenté et illustré, et comme toujours aussi distrayant.
    Que cette nouvelle année vous apporte joie et santé et nous apporte encore beaucoup d’articles aussi passionnants.

Laisser un commentaire


La période de vérification reCAPTCHA a expiré. Veuillez recharger la page.