Les rues de Rambouillet au début du siècle
Souvenirs de Pierre Quémard
Pendant longtemps le magasin d’antiquités-brocante de Pierre Quémard est resté le seul magasin de la rue Raymond Poincaré, ancienne rue des Juifs (et au préalable « Grand chemin pavé de Paris à Chartres ») .
Cependant, au début du XXème siècle, cette portion de rue était commerçante, ainsi qu’en témoigne cette carte postale, où son magasin était entouré d’une épicerie-tabac, et d’un café.
Aujourd’hui son emplacement, qui n’a pas eu de successeur, est divisé en deux boutiques, et l’on n’accède plus à l’atelier où il savait si bien restaurer ses meubles, que par les petites cours arrières. La rue a perdu une part de son attractivité, malgré la présence de plusieurs commerçants, de deux restaurants, d’un tatoueur et d’un coiffeur low-cost, en raison notamment d’un trottoir inexistant d’un côté et trop étroit de l’autre …
Doté d’une excellente mémoire, et d’une grande culture générale, Pierre adorait conter ses souvenirs. Sans doute son métier expliquait-il en partie son intérêt pour Rambouillet et son patrimoine.
Il avait fort logiquement été l’un des premiers à rejoindre Mme Champrenault lors de la création de la S.A.V.R.E. (sauvegarde architecturale du vieux Rambouillet et de son environnement ) puis plus tard Mme Comas à la P.A.R.R. ( patrimoine et avenir de Rambouillet et de sa région).
Il nous a quitté le 24 décembre 2019.
A l’occasion d’une exposition sur le vieux Rambouillet il avait écrit quelques uns de ses souvenirs, et la PARR les avait publiés dans sa revue annuelle de 2003.
Voici le récit qu’il aurait pu nous faire de la circulation dans les rues de Rambouillet, telle qu’il l’avait connue dans sa jeunesse.
Je me souviens des transports…
Noël CORBIN, installé à Groussay, assurait les transports et les déménagements avec son cheval et un plateau à ridelles. Son chien suivait. Entre deux courses, il faisait le rebouteux dans l’arrière-salle des cafés.
Souvent, c’était son cheval qui le ramenait à son domicile…
En face de la gare de marchandises, la Maison Gaillard, reprise ensuite par Monsieur Christy, également déménageur, assurait les livraisons des particuliers et des commerçants avec une charrette à cheval.
La Maison Targe (charron, carrossier, réparateur et fabricant de fiacres, calèches, carrioles, chars à bancs) et la Maison Gaillard transportaient les gens à partir de la gare de Rambouillet.
Elles utilisaient des fiacres pour la ville et des omnibus de 12 à 15 places, tirés par des chevaux, pour les petites communes environnantes.
Je me souviens de la gare…
Dans les années 30, la Société Citroën a mis en place un service régulier de cars sur des moyennes distances pour permettre aux personnes de voyager sur des parcours non desservis par les chemins de fer.
A Rambouillet, une halte était prévue Place de la Libération (à l’époque Place d’Armes) sur la ligne Paris-Porte Maillot / Chartres / Tours. Ce service a cessé au début de la seconde guerre mondiale.
La C.G.E.A., dont le siège principal était à Saint-Germain-en-Laye, avait des autobus qui desservaient les communes environnantes.
Les bureaux et le dépôt étaient situés rue Sadi Carnot vers l’actuel Crédit Mutuel.
Avant de partir en excursion et après avoir loué un fiacre à la gare, si vous voulez vous approvisionner, allez au n°2 de la rue du Petit Parc où se trouve la charcuterie André Dubois, téléphone 60.
Vous pourrez acheter un carton repas « rambolitain » pour 2F50.
La publicité du guide édité par A. Douchin de l’imprimerie de l’Indépendant, en précise le contenu :
· 1 serviette, 1 assiette, 1 fourchette, 1 couteau, 1 verre,
· 1 tire-bouchon, 1 cure-dents, 1/2 bouteille de vin blanc,
· 1/2 bouteille d’eau minérale, 1 hors d’œuvre, 2 œufs durs,
· 1 plat de viande, 2 desserts.
Je me souviens des rues de la ville …
Le matin, de bonne heure, passaient les éboueurs ou boueux (ce terme était davantage employé à Rambouillet). Ils ramassaient les ordures avec un tombereau, c’est-à-dire une charrette à deux roues dont les quatre côtés étaient entourés de ridelles. L’arrière basculait pour décharger les immondices.
Il y avait deux hommes : le premier, debout sur le tombereau, tenait les rennes du cheval et tassait les déchets avec ses pieds, tandis que le second suivait à pied et vidait les poubelles dans le tombereau.
Les artisans et les entreprises aussi avaient leurs carrioles à chevaux. La maison Deneux, marchand de charbon, livrait encore pendant la guerre 39-45 ses sacs avec une voiture à cheval.
La Maison Chastang avait des fardiers tirés par des chevaux, généralement des percherons, pour débarder des billes de bois en forêt.
Les débardeurs traversaient la ville à la nuit tombante pour livrer les grumes de bois dans les deux scieries rambolitaines : Béhague ou Morin Yvernaud.
Toutes les entreprises de couverture, plomberie, maçonnerie se rendaient sur les chantiers en voiture à bras sur lesquelles les ouvriers chargeaient le matériel et les outils..
On mettait les apprentis dans les brancards, ils tiraient la voiture tandis que le ou les compagnons « poussaient au cul » (comme on disait à l’époque). Dans les années 30, il y avait encore beaucoup de ces voitures dans les entreprises Aube, Biaise, Houze et Gondran.
La Mère André qui logeait quai de l’Étang à Groussay faisait la chine avec un tricycle en criant : « Peaux de lapin ! Peaux ! ».
C’est à vélo que le Père Payent faisait la chine des peaux de lapin. Licencié en droit ou lettres, il s’arrêtait volontiers dans les cafés pour déclamer des textes classiques.
Le Père Piton faisait lui aussi du porte à porte en vélo, dans la campagne et dans les fermes environnantes, pour vendre des vêtements de travail, en chantant des romances et des chansons paillardes.
A Groussay, la Mère Bonhomme chinait les peaux de lapins, les vieux chiffons et les débarras avec une charrette tirée par un âne.
Quant à Monsieur Caschelin, rétameur, il faisait en triporteur le tour des fermes et des restaurants pour exercer son métier.
Je me souviens que les voitures automobiles étaient rares.
Pour passer le permis de conduire, il fallait s’inscrire, puis se présenter avec son propre véhicule Place de la Gare devant l’inspecteur, ingénieur des mines. Ce dernier comptait les inscrits et donnait le départ vers Épernon. Il fallait rejoindre le poteau d’Eure-et-Loir.
Les candidats qui y parvenaient « avaient le permis », les autres étaient recalés. C’était alors le permis de conduire des véhicules à pétrole.
La Duchesse d’Uzès a été la première femme en France à passer le permis de conduire. :
Le docteur Bergonnier avait eu un cheval pour faire ses visites, et par temps de neige ou de verglas, il entourait les sabots de son cheval de chiffons pour pouvoir assurer ses visites. Mais plus tard il avait acheté une automobile, une C4 Citroën. C’est son chauffeur, Jean, qui la conduisait, parce que lui-même était handicapé, à la suite d’un accident survenu en gare de Rambouillet en mai 1903. (voir ci-dessous)
Je me souviens bien de lui. A l’âge de 5 ans, lorsque je me rendais à l’école au cours privé Levieux, rue Lachaux, dirigé par Mademoiselle Ribet, et je passais tous les jours devant sa maison. Son cabinet médical se trouvait à droite de sa maison dans la cour derrière la grille (cette porte d’entrée a depuis été obturée).
En chapeau haut-de-forme et jaquette, le Docteur Bergonier visitait les malades, dans les quartiers défavorisés, entre autres « La Pologne » (quartier Groussay). Il oubliait souvent de réclamer ses honoraires.
Je me souviens aussi de la calèche du Comte Potocki !
Elle était attelée de cinq chevaux de robe différente avec à l’arrière deux sonneurs de trompette.
Lorsque le Comte, propriétaire du château de La Grange Colombe, traversait la ville, son passage était un événement. Ma grand-mère disait : « Écoutez les enfants, c’est Potocki qui passe ».
Pierre Quemard a vu passer la population de Rambouillet de 7 000 à 27 000 habitants. Il a connu les principales rues de Rambouillet à double sens, puis en sens unique, dans une direction, puis dans l’autre, et vu apparaître avec le développement de la ville, et celui des automobiles, toutes les difficultés de circulation et de stationnement qui sont aujourd’hui le lot de nos villes.
Il n’en a pas connu les dernières adaptations, avec l’extension de certaines terrasses de café sur la chaussée, afin de compenser partiellement la baisse de fréquentation due à la Covid.
Christian Rouet
Comme Pierre Quémard, de nombreux Rambolitains de son époque se souviennent du docteur Bergonnier, dont le père exerçait déjà à Rambouillet.
Le Progrès de Rambouillet, du 23 mai 1903 relate l’accident qu’il évoque ci-dessus.
Ping : Des Russes en Yveline - le Pays d'Yveline
Je laisse ce commentaire de la part de mon père Yves Prompsaud qui était un ami de Mr Quémard chez qui nous allions quasiment tous les dimanche matin dans son magasin d’antiquaire.
J’ai le souvenir d’un homme très gentil et très cultivé.